Tribune dans L’Humanité: “Pour que l’histoire ne se répète pas dans le pays qui nous a accueillis”


Un groupe de Portugais et de Lusodescendants ont publié hier une tribune dans le journal L’Humanité contre l’arrivée de l’Extrême Droite au pouvoir, en France, au deuxième tour des élections législatives françaises de ce dimanche.

Le texte est signé par le réalisateur José Vieira, la traductrice, éditrice et autrice Ana Maria Torres, le journaliste et réalisateur Hugo dos Santos, l’historien Victor Pereira, le sociologue Ugo Palheta, entre autres.

LusoJornal transcrit cette tribune.


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Nous sommes d’origine portugaise et nous vivons en France. Alors que le Rassemblement national est aux portes du pouvoir, nous appelons les personnes dont l’histoire familiale est liée à l’immigration portugaise à s’organiser et à s’opposer par tous les moyens nécessaires à la montée de l’extrême droite en France, qui ne doit pas être inéluctable.

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Nous sommes immigrés et fils et filles d’immigrés portugais. Comme beaucoup d’autres avant et après eux, nos parents sont venus en France pour construire une vie meilleure. Ils ont connu la dureté de l’exil et du passage clandestin des frontières, l’humiliation des files interminables à la préfecture. Comme d’autres, ils éprouvèrent de graves difficultés à se loger dans une France où ils étaient arrivés par effraction. Beaucoup d’entre eux ont connu les bidonvilles, les cités de transit ou les cabanes de chantier.

Ils occupèrent les emplois les plus précaires : ouvriers du bâtiment ou agricoles, femmes de ménage et gardiens d’immeuble. Le patronat français vantait alors les mérites d’une main-d’œuvre servile, domestiquée au Portugal par le régime fasciste de Salazar.

Moqueries sur la non-maîtrise de la langue française, accusation de voler le travail des Français, agressions verbales et parfois physiques d’ouvriers par les employeurs… En France, nos parents subirent brimades, moqueries racistes, et autres violences symboliques. Parfois, cela débouchait sur des crimes. Comme en 1973, lorsqu’un groupe de nervis fascistes assassine l’ouvrier portugais Fernando Ramos sur les quais de Vitry-sur-Seine à la sortie de l’usine où il travaillait.

Nos familles nous ont transmis ces histoires et leurs souffrances, parfois sans un mot. Nous avons grandi en France, où la condition sociale de nos parents et nos origines nous ont été régulièrement jetées à la figure. Nous les assumons et nous en sommes fiers. Nous avons fini par prendre racine en France, où nous sommes devenus citoyens français, privilégiant quand cela était possible la double nationalité. Autour de nous, nos amis étaient d’origines diverses. Dans les médias et dans la classe politique, nous avons assisté à la montée en puissance d’un discours raciste qui touche les immigrés issus d’anciennes colonies françaises.

Au contraire, les Portugais de France ont progressivement été vantés pour leur «bonne intégration». Et si le racisme n’a pas disparu pour autant, ils sont souvent construits par les médias et le discours public comme une «communauté modèle». Mais ces propos ne visent pas tant à décrire l’insertion des immigrés portugais et de leurs descendants, qui restent sur-représentés dans les classes populaires. Ils cherchent surtout à légitimer un discours raciste à l’égard des immigrations postcoloniales.

À dresser les communautés les unes contre les autres. L’extrême droite ne se prive d’ailleurs pas de vanter les mérites de la pseudo-intégration à la portugaise, exploitant les faits divers qui semblent corroborer ses stéréotypes. C’est ce que le sociologue Albano Cordeiro avait surnommé le «paratonnerre maghrébin»: l’apparente et fausse bienveillance de la société française envers les immigrés portugais permet de concentrer la majeure partie de la violence raciste sur d’autres communautés.

À l’époque du bidonville de Champigny-sur-Marne, durant les années 1960, il convient de se rappeler que les immigrés portugais vivaient et se mobilisaient en solidarité avec les immigrés algériens, tunisiens, marocains. Dans nos archives, il existe des journaux écrits en langue portugaise et arabe, des associations de soutien, des articles de journaux racontant des luttes communes anticoloniales. C’est de cette solidarité dont nous souhaitons être les héritiers et les héritières aujourd’hui.

Car les Portugais et les descendants de Portugais qui se laissent séduire par les paroles doucereuses des dirigeants du Rassemblement national devraient y prendre garde. L’exclusion et la discrimination sont au cœur du projet de ce parti xénophobe et raciste. Ne l’oublions pas : le Rassemblement National, même dédiabolisé par les médias de Bolloré, reste un avatar des mêmes idées qui ont poussé nos parents et grands-parents à fuir en France. Voulons-nous que l’Histoire se répète dans le pays qui les a accueillis?

Cette année, nous commémorons les 50 ans de la Révolution des œillets. Le 25 avril 1974, la plus longue dictature d’Europe et son vieil empire colonial s’effondraient comme un château de cartes. Il s’ensuivit une période intense d’expérimentations sociales et révolutionnaires qui posa les jalons de la société portugaise d’aujourd’hui. L’espoir qui est né ce jour-là s’est matérialisé dans un slogan simple et populaire: «25 avril toujours, fascisme plus jamais». Il n’a jamais été aussi actuel.

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Signataires

Mickaël Correia, journaliste

Céline Costa, chanteuse

Laurent Duarte, militant associatif

Barbara Gomes, maîtresse de conférences, élue de Paris

Ugo Palheta, sociologue

Victor Pereira, historien

Lucas Roxo, documentariste et éducateur

Hugo dos Santos, journaliste et réalisateur

Ana Maria Torres, traductrice, éditrice et autrice

José Vieira, réalisateur

LusoJornal