António Joaquim Cerqueira : Soldat du CEP, déporté, entrepreneur et maire

C’est une histoire à la fois émouvante et l’exemple des relations entre le Portugal et la France grâce à l’action, à l’héritage, laissé par des hommes nés au Portugal et adoptés par la France. António Joaquim Cerqueira est né le 14 juillet 1892 à Infesta (Celorico de Basto), fils de Manuel Cerqueira et de Maria Joaquim de Magalhães.

Faisant partie du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) qui participe à la I Guerre mondiale, il embarque à Lisboa le 25 mars 1917, direction Brest. De sa fiche militaire on sait qu’il a été puni d’abord à dix jours, puis à vingt jours. Ils ont été extrêmement rares les soldats qui n’ont pas eu de punition pendant leur passage par les Flandres, cela étant une des preuves de faiblesse du Commandement portugais.

Le «crime» d’António Cerqueira a lieu après la fin de la Guerre, début février 1919. Pour aller voir, probablement sa bien-aimée, António Cerqueira emprunte un vélo réglementaire modèle anglais, dont il ne peut donner d’explication sur sa provenance.

Le 25 mars 1919 il rentre à l’hôpital B1, après quoi, le 1er avril, il rejoint Ambleteuse, venant renforcer l’effectif sur cette base portugaise, en attente de rapatriement au Portugal.

Le 28 juin 1919, il se présente à la Délégation de Paris du CEP en vue de rentrer au Portugal par voie terrestre, il sera signalé à la Délégation d’Hendaye le 1 juillet.

Un aller au Portugal, puis c’est son retour en France pour se marier le 29 décembre 1919 dans la commune de Leubringhen (Pas-de-Calais) avec Léonie Marie Victoire Baheux, née le 21 avril 1899 à Bazinghen, encore mineure au moment du mariage. Il est intéressant d’apprendre que, grâce à l’acte de mariage, l’épouse était couturière et António Cerqueira était déjà déclaré commerçant.

Le premier enfant du couple voit le jour le 5 octobre 1920, à Berlinghen, Anne Marie Léonie Cerqueira, exactement dix ans après l’Implantation de la République au Portugal. Anne Marie se marie le 27 novembre 1957, à Boulogne-sur-Mer, à Alfred Henon. Elle décédera à l’âge de 75 ans, à Leulinghen-Bernes.

Le deuxième enfant du couple, Marie Antoinette Cerqueira, verra le jour à Leulinghen-Bernes, le 22 février 1932. Elle décédera à l’âge de 62 ans, à Boulogne-sur-Mer.

Au recensement de 1926, cinq personnes occupent les 47, 48 et 49 de la Route Nationale, à Leulinghen-Bernes: António Cerqueira, son épouse, sa fille, une servante du nom de Jeanne Bellaert et Carlos Ferreira, un ami portugais qu’il a fait venir du Portugal, où il était né le 3 février 1893.

Vingt ans plus tard, au recensement de 1946, on retrouve la famille Cerqueira habitant le hameau de Uzelot, au numéro 36 : la fille d’António et Léonie, Anne Marie, le mari de celle-ci et leurs deux enfants, Annette née en 1938 et Hervé né en 1945. Le couple António et Léonie Cerqueira occuperont la maison juste à côté, le numéro 37 de l’Hameau d’Uzelot, en compagnie de la plus jeune des ses filles, Marie Antoinette, d’une tante âgée de 84 ans coté épouse, du nom de Marie Falempin-Bahieu, la sœur d’António, qu’il a fait venir du Portugal, Victória Cerqueira, née à Infesta le 18 décembre 1908 et le fils de cette dernière, Jean, né le 8 septembre 1937 de son nom complet Jean Dominique Avelin Cerqueira.

Victoria Cerqueira, qui décédera le 29 décembre 1994 et son fils, qui décédera le 1er janvier 2017, à Leulinghen-Bernes. Dans le caveau familial du village sont enterrés : António Cerqueira, son épouse Léonie, sa fille Anne Marie, son beau-fils, Alfred, sa sœur Victória et le fils de cette dernière, Jean.

Antonio Joaquim Cerqueira n’obtiendra la nationalité française qu’en août 1937 (publication au Journal Officiel le 10 octobre 1937). Son épouse, qui avait perdu sa nationalité du fait de son mariage avec un étranger, redevient par la même occasion à nouveau française.

Dès son retour en France, et même avant son mariage, fin 1919, António Joaquim Cerqueira se lance dans le commerce, preuve en est une annonce qu’il fait publier : «Charbons anglais et français, Boulets, Cerqueira, Leulinghen-Bernes, R.C. Calais 064, transport à domicile, grains lavés pour forges, prix réduits».

Il tiendra également un commerce de boisson-restauration. Le journal «L’Avenir de Marquise» du 2 octobre 1924 conviait : «Leulinghen-Bernes : Chez M. Cerqueira, Estaminet de la Pierre Bleue, le dimanche 5 octobre et lundi 6 octobre 1924, à 3 heures de l’après-midi, grand tir à la carabine pour canards et lapins. Après le tir, grand bal à grand orchestre, tartes et bonnes consommations».

Dévoué au service de la population de son village d’adoption, son entreprise sera détruite par les Allemands pendant la II Guerre mondiale.

António Cerqueira voyagera à plusieurs occasions au Portugal. Le Vice-Consul du Portugal à Boulogne-sur-Mer, lui délivrant un passeport dans ce but. Un de ces passeports aurait été émis en 1929.

Arrêté par les Allemands, le 19 octobre 1942, il sera déporté en septembre 1943 vers le Camp de Graz, en Autriche. Sur sa carte de la Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes, il porte le numéro 44.892. De retour, après la fin de la Guerre, il devient Maire de Leulinghen-Bernes pendant de nombreuses années (1). Il reprendra, aussi, son entreprise de transport qu’il devra rééquiper, tout ou presque, ayant été détruit pendant la Guerre.

Un calvaire sera construit avec l’image de la Vierge et du Christ sur la Croix et inauguré le 22 juin 1947 dont les inscriptions indiquent: «Reconnaissance de Leulinghen-Bernes. A. Cerqueira étant Maire et L.Bailleul étant curé».

António Cerqueira était très religieux. Encore aujourd’hui, une chapelle est consacrée dans le village, à Notre Dame de Fátima. À côté de l’image de la vierge, une plaque indique : «Don de la famille Cerqueira Baheux».

Attestant des bons et loyaux services, il recevra plusieurs décorations, notamment du Gouvernement portugais en tant que combattant du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) et la croix du mérite industriel du Gouvernement portugais. Cette dernière lui ayant été remise un 14 juillet 1955, par le Consul de Boulogne-sur-Mer (2), José Almeida Santos. Lors de cette cérémonie, António Cerqueira est entouré par tout le Conseil municipal, Mr Febvay, Député du Pas-de-Calais, Mr Senechal, Conseiller Général, Mr Delabre, Président des Anciens Combattants, des représentants de sociétés de transports, notamment le directeur de Mory, entreprise de transport qui vit le jour en 1804 à Calais, et par d’autres personnalités officielles et amis. Au nom de la commune, Mr Colbrant remerciera Mr Cerqueira, lui qui a toujours été dévoué au services de tous et soulignera toutes les étapes de sa vie et notamment, comment, après avoir été déporté par les Allemands, il reprit la tête de son entreprise.

Mr Colbrant terminera par : «Souvent, les autorités officielles firent appel à lui pour ravitailler les communes en difficultés, il le fit toujours avec dévouement… tous les habitants de Leulinghen ont été heureux de le mettre à la tête de la commune».

Mr Febvay, Député du Pas de Calais, félicitera à son tour, António Cerqueira, pour tout ce qu’il a fait pour le Portugal et la France. Mr Cerqueira prit la parole pour remercier le bon accueil que les gens du Boulonnais lui ont toujours réservé. La cérémonie se terminera par le verre de l’amitié, et quoi de mieux, sinon un Porto, un geste qui réunit les deux pays de Mr le Maire : le Portugal, pays de naissance, et la France, pays d’adoption.

Un courrier de réclamation de entreprise A. Cerqueira, charbons, anthracites, boulets, gros et détails, adressé à Gérard Ramon, à Estaires, concernant le déchargement d’une péniche, atteste qu’au 14 novembre 1967, l’entreprise d’António Cerqueira était encore active.

António Cerqueira décédera le 16 janvier 1975 et son épouse, Léonie Cerqueira Baheux, décédera le 20 novembre 1975.

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(1) Une fiche de renseignement du Cabinet du Préfet du Pas-de-Calais atteste qu’il a été Maire entre 1945 et 1947, toutefois il nous a été dit que, le Maire actuel du village aurait été Adjoint d’António Cerqueira. Une donnée sur internet indiquait qu’António Cerqueira aurait été également Maire du village de Maninghen-Henne à partir de 1959, donnée qui ne nous a pas été confirmée.

(2) Un article de la Voix du Nord du 14 juillet 1955 a été publié sur cet hommage au Maire de Leulinghen-Bernes. António Cerqueira aurait été donc Maire au moins entre 1945 et le 14 juillet 1955. Malgré nos relances téléphoniques, et par mails, la Mairie de Leulinghen-Bernes, malgré les promesses, ne nous a jamais répondu sur la période exacte.