Dans “Alma Viva”, Cristèle Alves Meira raconte «des croyances, encore actives aujourd’hui, qui se transmettent de génération en génération»

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“Alma Viva”, le film de Cristèle Alves Meira, sort ce mercredi, 12 avril, dans les salles de cinema françaises.

«Comme chaque été, la petite Salomé retrouve le village familial, niché au creux des montagnes portugaises, le temps des vacances. Tandis que celles-ci commencent dans l’insouciance, sa grand-mère adorée meurt subitement. Alors que les adultes se déchirent au sujet des obsèques, Salomé est hantée par l’esprit de celle que l’on considérait comme une sorcière».

La réalisatrice franco-portugaise explique justement ce lien du film à la sorcellerie.

Pouvez-vous nous parler des origines du projet, sa genèse?

Le projet est né d’un sentiment d’injustice que j’ai ressenti à la mort de ma grand-mère maternelle. J’avais une vingtaine d’années et j’ai vu mes oncles et mes tantes se déchirer autour de sa dépouille pour une vulgaire question d’argent. Elle n’était pas encore enterrée qu’on se disputait déjà pour savoir qui allait payer sa pierre tombale. Elle est restée sans sépulture pendant deux ans. Cette brutalité dans les rapports humains m’a frappée au point de vouloir en faire un film. J’avais besoin de comprendre ce qui pouvait mener à ça. De cette histoire personnelle, il reste seulement une scène dans le film. Parce que très vite, mon attention s’est focalisée sur la relation d’une grand-mère avec sa petite-fille. Une histoire d’amour entre deux générations de femmes, celle d’avant et celle d’aujourd’hui, liées à tout jamais par un héritage puissant. «Alma Viva» c’est donc l’histoire de Salomé (9 ans) qui revient au Portugal le temps d’un été auprès de sa grand-mère adorée. C’est le Portugal du soleil, des bals, des après-midis de pêche à la rivière. Mais c’est aussi le Portugal des sorts, des esprits et des morts. Lorsque sa grand-mère meurt brusquement dans des conditions étranges, Salomé découvre un héritage troublant. Comme sa grand-mère, elle a le pouvoir de dialoguer avec des forces invisibles.

Cet héritage de sorcière, c’est quoi pour vous?

On observe un regain d’intérêt pour les rituels, la magie et les superstitions. Ces histoires de sorcières, d’un «autre temps», continuent d’exalter notre sens de l’imaginaire mais la fascination qu’elles suscitent est parfois mal interprétée. «Alma Viva» n’est pas un film de genre. C’est un film de terrain, presque anthropologique qui s’inspire des pratiques réelles de la sorcellerie que j’ai côtoyées de près. J’ai passé mon enfance à entendre des histoires de mauvais sorts et de malédictions. J’ai grandi avec l’occulte, avec des femmes qui sont de grandes mystiques, qui croient au pouvoir des plantes et aux esprits. On pratique réellement la sorcellerie dans ces montagnes du Nord-Est du Portugal. Ce sont des rituels qui se font en cachette et c’est tabou d’en parler. Au début, j’avais peur d’aborder ce sujet au cinéma, de le rendre public. Je ne savais pas si j’avais le droit de le faire. Parce que j’ai toujours vu les gens se cacher pour en parler. La magie fascine tout autant qu’elle effraie. Quand on touche à la sorcellerie, on craint d’être pris dedans pour toujours, de ne plus en sortir. C’est ce qui se passe pour Salomé (Lua Michel), elle prend conscience que la magie génère des forces dangereuses. Elle est possédée par un démon qu’elle aime, sa grand-mère adorée (Ester Catalão), qui la pousse à réparer ce qu’elle n’a pas pu faire de son vivant. Avec ce film, je reviens sur des pratiques et des pensées «primitives» sans tabou. Je raconte des croyances, encore actives aujourd’hui, qui se transmettent de génération en génération mais qui se racontent habituellement dans un cadre privé et intime. Parce que je crois que le cinéma permet de réinvestir l’espace par le merveilleux et de répondre à une vision désincarnée du monde.

Pourquoi est-ce que ce sont des femmes, de toutes générations, qui détiennent des pouvoirs surnaturels dans votre film?

Disons que même s’il existe des «bruxos», ce sont en grande majorité des femmes qui étaient (et sont encore) accusées de sorcellerie. Les temps ont changé bien sûr, il n’est plus question de les brûler mais on continue de s’en méfier, de pointer du doigt celles qui pratiquent la magie. Elles continuent d’intriguer, de générer de la crainte mais aussi de l’admiration. À l’époque de ma grand-mère (sous le régime dictatorial de Salazar), être sorcière, c’était surtout une façon d’avoir du pouvoir dans une société où les pauvres et les femmes n’avaient aucun droit. C’était une façon d’exister, de se faire respecter. La grand-mère de Salomé s’inquiète de transmettre son savoir ancestral et «secret» à sa petite-fille, dans un souci de transmission et d’émancipation. Le processus initiatique de Salomé débute à la mort de sa grand-mère: elle va alors pénétrer dans un territoire inconnu et développer sa propre conscience du danger pour acquérir son autonomie. Comme dans les contes, elle est prise dans des évènements surnaturels et s’aventure dans une zone obscure, dans sa part d’ombre, animée par un désir de vengeance et de mort. Le village l’accuse d’être le «Diable» parce qu’elle sort du cadre, elle n’est pas conforme au modèle de la fillette gentille et raisonnable que la société impose aux femmes. Elle perturbe l’ordre établi et s’affranchit des limites.


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