Décès d’un citoyen du monde : Albano Cordeiro, sociologue et chercheur engagé



Albano Cordeiro nous a quittés le 30 décembre dernier, à Paris, à l’âge de 85 ans. Économiste-sociologue, chercheur au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), à l’Université de Grenoble puis à l’Université Denis Diderot – Paris VII (dernière affectation avant sa retraite en 2002), auteur de nombreux travaux sur l’immigration en France, et particulièrement sur l’immigration et le mouvement associatif portugais, lauréat en économie et démographie par l’Université La Sapienza, à Rome, Albano Cordeiro était également militant dans plusieurs associations et organisations de défense des droits des immigrés, s’intéressant notamment à la question des droits civiques, à la citoyenneté et à la démocratie participative.

Albano Cordeiro a vécu son enfance et son adolescence au Mozambique, puis a effectué une partie de ses études à Porto. En 1961, il s’exile à Rome et plus tard à Paris, où il habitait depuis plus de 40 ans. Dans un entretien qu’il nous avait accordé en 2017, il se définissait ainsi (avec une pointe d’ironie qui le caractérisait) : «C’est simple, je suis luso-mozambicain-italo-français, né dans une famille portugaise transplantée en Afrique. Ma culture dominante est portugaise mais le contexte africain (bien que mis à ‘distance’ par le système) m’a fourni également des éléments d’identité. Je suis devenu aussi mozambicain parce que j’avais fait le choix de me projeter dans un avenir, construire un nouveau pays, en rupture avec l’époque coloniale».

Militant pour les droits civiques des résidents étrangers, militant politique au sein des Verts, Albano Cordeiro a été co-fondateur et membre de très nombreux mouvements associatifs et organismes sociaux, tels que l’Association Franco-Portugaise de Grenoble, le Collectif d’Études et de Dynamisation de l’Émigration Portugaise (CEDEP), l’Association Portugais de France Actifs et Solidaires, l’Association Française d’Économie Politique (Économistes atterrés), Convergence 84 pour l’Égalité, le Conseil des Associations d’Immigrés de France (CAIF) ou l’Association Memória Viva.

Dans une interview publiée dans la revue Hommes & Migrations (septembre 2006) Albano Cordeiro, à propos du lien entre son travail de chercheur et son engagement, déclarait ceci : «Le chercheur qui soutient l’approche de la citoyenneté de résidence pour les résidents étrangers, par exemple, se doit de participer aux mouvements émergeants dans la société civile en vue d’aboutir à son inscription dans la Constitution. Car cette reconnaissance porte à considérer tous ses membres majeurs comme étant des acteurs de la société civile œuvrant pour l’Intérêt Général». Il s’inscrivait ainsi dans une démarche opposée aux conceptions traditionnelles de la citoyenneté qui associent celle-ci à une appartenance nationale définie par filiation, par naissance dans le territoire national ou encore par naturalisation.

Dans les années 80, Albano Cordeiro avait pris une part importante dans les débats à propos de «l’invisibilité des Portugais» en France et de leur faible participation aux activités sociales et civiques dans les quartiers populaires, comme les conseils scolaires, les comités d’organisation de fêtes locales, les séances d’information des Mairies, ou encore les activités concernant la défense des travailleurs sans papiers, situation touchant de très nombreux travailleurs portugais pendant une longue période (années 1960 et 1970). Selon lui, «l’émergence, au début des années 80, d’un important mouvement revendicatif des jeunes dits ‘issus de l’immigration’, dont des jeunes portugais, permettra de voir que le battage médiatique sur l’immigration maghrébine, considérée comme l’immigration ‘qui-pose-problème’, cachait des initiatives émergeant dans d’autres communautés, en particulier dans la communauté portugaise».

Le vote des immigrés aux élections locales et la nécessité d’une nouvelle Constitution, toujours d’actualité, étaient également des thèmes de prédilection d’Albano Cordeiro. Toujours dans notre entretien de 2017 il affirmait ceci : «La démocratie représentative actuelle fonctionne en s’appuyant sur la combinaison d’opinions distillées auprès des citoyens. Opinions en grande partie façonnées par l’éducation, l’environnement culturel, les médias à grande diffusion et la plupart appartenant à des puissants de l’élite économique et financière, dont l’intérêt est le maintien d’un système qui préserve les inégalités. Il s’agirait donc de mettre en place une Démocratie Réelle qui sollicite et organise la participation des citoyens, par vote ou par consensus, à la définition des politiques respectant l’intérêt général et la justice sociale».

En 1994, à la fin d’une longue guerre civile (1975-1992), Albano Cordeiro retourne au pays où il «avait ouvert les yeux sur le monde», le Mozambique, où ont lieu les premières élections libres, avec le mandat d’observateur international (ONU, France). Il racontera ce séjour, et reviendra sur son enfance et son adolescence, dans un très beau texte autobiographique que nous avons publié en 2019, également dans le LusoJornal.

Rappelons, opportunément, que dans le cadre d’une convention signée en 2016 entre l’Université de Paris Ouest Nanterre, La Contemporaine (Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine) et l’Association Memória Viva, un fonds d’archives sur l’immigration portugaise a été créé et est alimenté par cette dernière association, et que le fonds Albano Cordeiro constitue le premier apport documentaire important résultant de cette convention.