Jean-Pierre Estournet

Fado dans les veines: le public a repondu present

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L’affaire n’était pas gagnée d’avance: un thème qui a bien peu à voir avec les bonhomies boulevardières qui firent les délices de ‘Au théâtre ce soir’, pas de Pierre Arditi ou de Josyane Balasko pour attirer les foules, du théâtre musical certes, mais sans Patrick Fiori, ni Hélène Ségara, un théâtre engagé, bon, mais pas signé par Berthold Brecht et Kurt Weill, une autrice metteuse en scène et comédienne principale, Nadège Prugnard, fort respectée dans les milieux du théâtre, mais peu connue du public francilien, une salle pourtant proche du périphérique, mais dont l’aide d’un GPS est très utile, pour un.e non initié.e, pour la trouver commodément, sans même compter les hésitations causées par la pandémie, autant d’éléments qui pouvaient laisser augurer que les cinq représentations de ‘Fado dans les veines’ auraient du mal à trouver un public.

Eh bien non, et c’est tant mieux. Quelques articles élogieux ou chaleureux (Télérama, le Canard Enchaîné, LusoJornal bien sûr…), le réseau artistique et/ou militant de Nadège Prugnard, la fidélité des spectateurs du Théâtre de l’Echangeur, à Bagnolet, qui, comme son nom l’induit, se veut ouvert à l’accueil de spectacles venus des quatre coins de la France et au-delà, le soutien de l’association Cap Magellan et le (discret) appui du Coin du fado auront peut-être contribué au succès de ce spectacle, proposé par la compagnie Magma Performing Théâtre.

Nadège Prugnard a des origines portugaises. Son grand-père émigra en 1926, fuyant la misère et la dictature établie cette même année par le général Gomes da Costa (*). Elle-même naquit, en France, un an après la Révolution des œillets. N’ayant recueilli que peu d’informations de son grand-père, elle a depuis longtemps essayé de retrouver un lien plus étroit, plus intime aussi, avec le Portugal. Une sorte, paraphrasons Marcel Proust, de recherche du Portugal perdu. On sent bien que la saudade n’est pas bien loin.

Nadège Prugnard est une autrice éprise de poésie, et nous avons ressenti cette pièce comme un long poème avec une langue musicale, accompagnée de plus par des musiciens. Un poème entrecoupé de témoignages, enregistrés ou déclamés par les acteurs, émanant d’émigrants ayant connu le «salto», qui pour échapper à la misère, qui pour fuir la Pide, qui parfois les deux, de citations, eux aussi enregistrés ou déclamés, de communiqués de presse, de scénettes (par un exemple un repas à portuguesa amusant où s’épanouissent les «caralho»), de trouvailles de mise en scène. Et des musiques, beaucoup de musiques.

Autre originalité du spectacle: tous les artistes sont comédiens, même si les chanteuse s (deux) sont avant tout chanteuses, les musiciens (trois) avant tout musiciens, et les comédiennes (deux) avant tout comédiennes. Mais tout le monde y va d’au moins une chanson, et tous entonnent ‘Grândola Vila Morena’. Et les musiciens sont parfois une fanfare (tuba, trombone, trompette), parfois un groupe de rock (guitares électriques, batterie). Et même la fadiste de la bande (Carine Salvado) se met à la batterie quand les trois compères jouent d’autres instruments. Et même l’artiste lyrique Laura Tejeda utilise sa voix davantage comme un instrument que comme une interprète de chansons, le tout emporté par l’omniprésence et la folle énergie de Nadège Prugnard, qui perpétue le sens du mot «troupe» celui qu’il avait du temps de Molière. De «fado-fado» là-dedans, un seul. Le fado est dans les veines, et peu sur scène. Nous autres, «fadisants», savons reconnaître les titres à double sens, depuis au moins ‘Fado alexandrinho’, le roman magistral d’António Lobo Antunes, qui ne parle pas de fado, ou, plus près de nous chronologiquement et géographiquement, ‘Le fado pour tout bagage’, de l’amie Altina Ribeiro, qui n’en dit mot. Tous ces textes sont cependant imprégnés de saudade, et peut-être peut-on penser que l’esprit du fado est le véhicule le mieux adapté pour transmettre la saudade. A celles et ceux qui ne pourront pas voir Fado dans les veines, le texte est disponible en librairie (Editions Moires).

 

Nota:

(*) Ne surtout pas confondre avec le maréchal Costa Gomes, qui assuma la présidence de la République pendant deux ans après la Révolution des œillets avant de remettre le pouvoir à António Ramalho Eanes, premier Président de la République portugaise élu au suffrage universel!

 

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