Fado : Katia Guerreiro en toute serenité


En écoutant «Mistura», le nouvel album de Katia Guerreiro, puis en participant à la traduction française des textes (chansons incluses) du très beau livret accompagnant le CD, j’avais eu le sentiment que ce CD était le produit d’une réflexion de Katia sur elle-même : qui suis-je aujourd’hui ? Et c’est la première question que je lui poserai dans un salon de son hôtel en cette fin de matinée le jour de son concert au Théâtre des Abbesses, à Paris.

Une Katia souriante et détendue qui répond : «J’avais envie de me situer, moi, aujourd’hui, et de m’y aider avec celles et ceux qui ont contribué à me construire. Ce n’est pas un bilan, si ç’avait été un bilan, j’aurais fait un ‘best of’. Il s’agit plutôt de se situer en avançant, en demandant à beaucoup de mes proches, anciens ou plus récents, poètes, compositeurs, musiciens de m’accompagner dans de nouvelles musiques, de nouveaux textes. Cet album est aussi une forme de remerciement pour eux».

Nous avons aussi échangé sur la situation du Fado au Portugal : «C’est vrai qu’il y a une invasion du tourisme dans les maisons de Fado, mais il y aussi des lieux épargnés et qui assurent la continuité avec l’ancrage du Fado». Elle cite, entres autres, la Mesa de Frades, la Tasca do Chico à Alfama et le Fado ao Carmo. «Et surtout, il y a énormément de nouveaux jeunes talents, musiciens ou chanteuses» et elle cite Maria Emilia «qui chante si bien le Fado», Diana Vilarinho, Ana Margarida (*), Matilde Cid («des fadistes authentiques») «qui démontrent que l’avenir du fado est assuré».

Des projets ? Katia Guerreiro n’en manque pas : «Pendant le Covid, j’ai voulu apprendre à jouer du piano pour m’aider à composer, et écrire aussi. Pas forcément des Fados, plutôt des chansons. Faire plus tard un album de chansons ? Peut-être, ou en inclure une ou deux dans mes concerts de Fado, comme je le ferai ce soir avec le ‘Lisboa’ de Charles Aznavour et une autre chanson en français».

Elle parle aussi de ses musiciens : «Ce que je préfère, c’est chanter avec deux guitarras, une viola et une viola baixa. Mais ce n’est pas toujours possible. Je me sens très proche de Pedro de Castro et de Luis Guerreiro, deux virtuoses de la guitarra. Pedro est de plus un formidable arrangeur, compositeur et producteur, qui a eu un rôle majeur dans l’album ‘Mistura’. Luis, qui ne sera pas là ce soir, a une capacité et une qualité d’écoute impressionnantes».

Elle nous apprendra, enfin, que Pedro de Castro a décidé de renoncer aux tournées internationales, dirigeant à Lisboa trois lieux de Fado, et très actif dans la vie artistique locale.

Le concert du soir, comme prévu, largement consacré aux thèmes de l’album, fut, comme toujours avec Katia Guerreiro, un délicieux moment de Fado. Pas de mise en scène ou de glamour hollywoodien, pas de triche. «Je recherche toujours la vérité», nous a-t-elle dit le matin.

La vérité, sa vérité, nous l’avons entendue ce soir-là. Avec aussi des moments d’émotion, comme cette courte interruption et quelques larmes discrètes lors de l’interprétation de l’un des deux fados écrits pour elle par Manuela de Freitas, délicate poétesse, grande dame du théâtre portugais, et compagne de José Mário Branco, autre grande figure de la musique portugaise et qui fut, avant de disparaître, le producteur de l’avant-dernier album de Katia, et l’émotion, en fin de concert de ses «adieux», qu’elle et tout le monde espère momentanés, de Pedro de Castro après une magistrale guitarrada.

Que du bonheur, on vous dit.

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(*) Ana Margarida sera à Paris, aux Affiches, le 12 avril, et à Bourges, au Théâtre Le Hublot, le 13 avril.