Felicia da Assunção Pailleux: l’adieu à un symbole de la participation du CEP à la I Guerre mondiale

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Felicia da Assunção, épouse Pailleux, vient de nous quitter dans sa 97ème année.

Un bel âge.

Nous avons pour habitude de dire qu’avoir de l’âge est le privilège de ceux qui ont été longtemps jeunes, même si la vie n’a pas toujours été un long fleuve tranquille.

Mourir est l’étape la plus sûre de notre destin, on n’est toutefois jamais préparés à voir partir un des siens, une amie, un ami, une personnalité!

Honorer ceux qui partent, c’est aussi réconforter ceux qui restent: la famille, les amis et tous ceux qui ont partagé un moment de la vie de celui ou celle qui nous quitte.

L’information du départ de Felicia nous a touché. Un des emblèmes du devoir de Mémoire portugais nous quitte.

Merci Felicia d’avoir consacré une partie de votre vie à témoigner, à transmettre.

Merci Felicia, merci de votre exemple, merci d’avoir su transmettre pour que la Mémoire n’oublie pas.

L’année passée lors des cérémonies de la Bataille de la Lys, Felicia était présente et tenait fièrement le drapeau, à ses côtés, sa petite-fille Aurore et son arrière-petit-fils.

L’histoire de Felicia est liée à la Guerre, à la I Guerre mondiale. Les drapeaux de La Liga dos Antigos Combatentes Portugueses Nucléo de Lillers que Felicia a portés pendant quatre décennies, rappellent la guerre en prônant la paix.

Le drapeau et Felicia sont devenus deux symboles.

La Présidente du Núcleo de Lillers de la Liga dos Combatentes a pendant quatre décennies porté le drapeau lors de cérémonies annuelles au Cimetière militaire portugais de Richebourg et au Monument aux morts de La Couture, dans le nord de la France.

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Rester en France par amour

Le père de Felicia, João Manuel da Assunção Costa, est né à Ponte da Barca le 28 décembre 1894. Il a embarqué à Lisboa le 22 février 1917, faisant partie du Corps Expéditionnaire Portugais lors de la I Guerre mondiale. Il faisait partie de la 2ème Division, matricule 13.089.

Comme la presque majorité des soldats portugais il a débarqué à Brest rejoignant le village de Roquetoire, pour quelques entraînements, un enseignement en complément de celui reçu à Tancos. João da Assunção sera envoyé au front, du côté de Neuve-Chapelle. Il s’est retrouvé à plusieurs reprises en première ligne. Lors de la Bataille de La Lys, son Régiment a énormément souffert, perdant 75% de ses soldats, João da Assunção a survécu.

La Guerre terminée, il prend la décision de ne pas embarquer, décidant de rester en France par amour pour Mélanie, demoiselle rencontrée à Ecquedecques. La famille de Mélanie recevait des soldats lors de leurs permissions, ces derniers aidant parfois dans quelques travaux agricoles.

João da Assunção n’a pas été considéré «déserteur» à l’inverse d’autres collègues qui ont décidé de ne pas rentrer au pays.

Le mariage entre João da Assunção et Mélanie Augustine Beugny a lieu le 14 septembre 1920 à l’aube, à 7h00 du matin. Il pourra quitter le couloir où il a dormi, par respect jusqu’au mariage.

Felicia Glória d’Assunção vient au monde le 5 avril 1926, mais João da Assunção et Mélanie élèveront 15 enfants, 10 filles et 5 garçons.

João da Assunção et Mélanie choisissent de donner à cette petite fille née le 5 avril 1926, les deux prénoms de la mère de João da Assunção. C’est une curiosité familiale, car les quatre premiers enfants portaient des prénoms français. Déjà une question de transmission, qui se confirmera plus tard quand Felicia deviendra naturellement le Porte-drapeau de la Liga dos Combatentes de Lillers et Porte Drapeau de la Bataille de La Lys.

Les années qui ont suivi la Guerre ne furent pas simples. João da Assunção va travailler à la mine en vélo (c’est gratuit) et en portant son seul vêtement: l’uniforme de l’Armée portugaise. De «mineur/agriculteur», il se lance avec un ami portugais dans la création d’un commerce de vélos, plus tard João da Assunção sera même co-propriétaire d’un deuxième magasin.

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La première femme Porte-drapeau en France

L’esprit entrepreneur et défenseur de certaines valeurs, João da Assunção le prouvera en faisant partie du Bureau qui, dès 1929, a créé la Liga dos Combatentes de Lillers. Un groupe folklorique voit lui aussi le jour.

João da Assunção deviendra le Porte-drapeau de la Liga de Lillers et de la Bataille de La Lys jusqu’à son décès en 1975.

Dans la «normalité» de la passation, le nouveau Porte-drapeau, après le décès de João da Assunção, devait être un homme de la famille, mais ça n’a pas été le cas. Tous les frères et sœurs de la famille ont été unanimes dans la nomination de Felicia. Une première: Felicia da Assunção devient alors la première femme en France à avoir l’honneur de d’être Porte-drapeau.

Tant que Felicia a été de ce monde, elle a participé aux différentes manifestations, notamment les cérémonies commémoratives de la Bataille de la Lys, à Richebourg et La Couture. Elle s’est liée, par une espèce de serment, de promesse, faite en 1975. C’était une évidence pour elle d’être là, pour elle, pour ses parents et comme passeuse de témoin aux générations qui la suivent, fille, petite-fille, arrière-petits-enfants… nous vient ici l’image d’Elizabeth II, récemment disparue, de sa longévité, son exemple, sa transmission.

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Une reconnaissance en vie

L’année 2018 est riche. A l’occasion de la venue des Présidents portugais et français aux cérémonies de la Bataille de la Lys, la petite fille, Aurore Descamps-Ronsin, accompagne sa grand-mère à l’Arc en Triomphe, à Richebourg et à La Couture. La relève du Porte-drapeau se fait en douceur… le 2 avril 2022 Felicia, assise, tiendra fièrement le drapeau, lors des cérémonies de la Bataille de La Lys, à ses côtés Aurore et ses enfants.

Ce jour-là nous avions interrogé Felicia, notre «grand-mère» à tous, de petite taille, avec un sourire qui ne laisse pas indifférent, une simple personne, mais que pour tous ceux qui avons assisté aux cérémonies de la Bataille de La Lys, c’était un emblème celle qui sans sa présence les cérémonies perdraient un peu de sa signification.

Le changement de Présidence de la Liga de Lillers se fait en janvier 2023. Aurore devient Présidente, Felicia devient Présidente d’honneur jusqu’à son décès.

Felicia dira le 2 avril 2022 à LusoJornal: «Papa a dû demander la nationalité française pour ouvrir son magasin de vélos…». À la question que nous lui posons: «êtes vous heureuse d’être ici pour les cérémonies?». Elle répondra: «Oh! Depuis huit jours on ne vit plus à la maison… avec les filles, ont fait tous les petits défilés». Sa petite-fille, Aurore, se souvient d’avoir porté le drapeau avec sa grand-mère à l’âge de 8 ans… Virgile, 15 ans, et Horace, 11 ans, les fils d’Aurore, sont déjà membres de l’Association et se proposent de continuer la tradition ou plutôt de faire rappeler aux jeunes de sa génération l’importance du Devoir de Mémoire.

Eh oui, dans la famille de Felicia, les cérémonies de la Bataille de La Lys ont pris autant d’importance que les autres grandes fêtes: Noël et Pâques.

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Deux nationalités pleines

Dans le faire-part de décès de Felicia da Assunção, veuve de André Pailleux, il est écrit: «Notre Dame de Fátima, intercédez pour elle!». Plein, plein de symboles… le papa de Felicia part de Lisboa en bateau le 22 janvier 1917 pour rejoindre Brest et plus tard le front. Le 13 mai de la même année, la vierge apparaît aux trois «Pastorinhos» à Cova da Iría…

De l’histoire de Felicia et de son père, des dates, des moments de vie, marqueront: Felicia Pailleux est née portugaise en France, elle a été naturalisée française à l’âge de 4 ans, lorsque son père a acquis la nationalité française, afin d’ouvrir un atelier de vélos. La naturalisation de João da Assunção est une façon aussi de s’intégrer à la population française.

En 2004, Felicia demande, elle, l’obtention de la nationalité portugaise.

Le grand regret de Felicia est celui de ne jamais avoir appris la langue portugaise. Les Portugais restés, «tout le monde au village voulait que les Portugais partent».

Médaillée de la Liga dos Combatentes, Felicia da Assunção recevra le 9 avril 2018, jour pour jour du centenaire du début de la Bataille de La Lys, la Médaille de la Défense Portugaise, 4ème classe, des mains du Président portugais Marcelo Rebelo de Sousa.

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Les trois drapeaux de la Liga dos Combatentes

À l’image de Felicia et de João da Assunção, le drapeau, les drapeaux, de la Liga dos Combatentes de Lillers et environ a/ont leur(s) histoire(s).

Un premier drapeau est reçu en 1929 lors de la création du Núcleo de Lillers, envoyé par la Liga dos Combatentes au Portugal. Ce drapeau a été remis en 2008 à la Présidence de la République Portugaise, le Président de l’époque étant Aníbal Cavaco e Silva. Il est depuis conservé au Musée de la Liga do Combatentes, à Lisboa.

Un deuxième drapeau a ensuite été porté par Félicia.

Fabriqué par les établissements Doublet, depuis août 2021 c’est un troisième drapeau qui est porté lors des cérémonies.

Le 11 novembre 1929, le journal «La Liberté», à Lille, écrivait que, parmi les 9 associations d’anciens combattants portugais présentes à La Couture, figurait celle de Lillers.

De la vingtaine d’associations d’anciens combattants portugais créés en France à la suite de la I Guerre mondiale, celle de Lillers est la seule encore en activité. Les documents auxquels nous avons eu accès aux archives départementales du Pas-de-Calais nous permettent de comprendre ses débuts et les difficultés administratives à un moment de son existence.

À suivre l’histoire de la Liga dos Combatentes, Núcleo de Lillers, son passé, son présent… l’avenir étant assuré par les générations qui suivent Felicia.

À suivre Felicia da Assunção, veuve de André Pailleux, lundi prochain, lors des cérémonies en son honneur, à l’église et vers sa dernière demeure au Cimetière de Burbure.

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