Joséphine Baker : Une chanteuse, une espionne à Lisboa


Joséphine Baker a visité Lisboa à plusieurs reprises pour y chanter mais aussi pour délivrer des informations aux renseignement anglais et français en tant espionne, la capitale du Portugal étant une plateforme de transmission d’informations pendant la II Guerre mondiale – capitale à la fois des espions et des artistes, des millionnaires et des réfugiés venus de toute l’Europe.

À Lisboa, Josephine Baker a fréquenté presque les mêmes lieux que Jean Moulin (lire ICI). À quelques mois près, ils auraient pu s’y rencontrer. Joséphine Baker a chanté et dansé dans le Teatro da Trindade, en face de la pension que Jean Moulin a occupée en 1941, avant de rejoindre De Gaulle à Londres.

La première fois que Joséphine Baker débarque à Lisboa, c’est en 1939, d’autres visites et spectacles s’ensuivent jusqu’à 1960.

Le 17 mars 1939, le paquebot qui devait l’emmener jusqu’à Buenos Aires, pour une série de spectacles, s’arrête pour quelques heures à Alcântara, port de Lisboa. Connaissant par sa renommée, le Diário de Notícias, elle s’y dirige, accompagnée de sa secrétaire, Madeleine Chaillot, et de son amie Monique Lemb, rua dos Califates, actuelle rue Diário de Notícias, le but étant d’être conseillée d’un bon restaurant pour manger à la portugaise dans la capitale. On lui suggère le Restaurant Primavera do Jerónimo, Travessa da Espera.

C’est un autre journal de Lisboa, le Diário de Lisboa, qui donne l’information sur ce que les trois consœurs ont mangé : «des sardines en conserve, du bar grillé, de la morue mijotée à la Primavera, du veau foie, salade de laitue, riz au lait et fruits». Et à la fin, elles ont porté un toast avec un Porto en proclamant: «Vive le Portugal».

Des photos ont été prises à cette occasion de Joséphine Baker en compagnie de Félix Correia, Augusto Fraga et Baltazar Ortega, tous les trois journalistes. Augusto Fraga était à l’époque, entre autres, rédacteur du journal «O Século», Baltazar Ortega était dessinateur caricaturiste pour le même journal. Quant au journaliste Félix Correia en 1941 il écrivait un long article dans «gazeta dos caminhos de ferro» intitulé «a guerra vai acabar», «la guerre va terminer»… oui, mais quelques années plus tard.

Les journalistes n’ont pas manqué d’accompagner la chanteuse jusqu’au paquebot et, face à l’invitation insistante, ils ont visité l’intérieur de sa cabine, sortant enchantés de voir que: «La cabine où voyage Joséphine Baker est littéralement pleine de fleurs».

Lors de son passage par la capitale portugaise pour la première fois, Joséphine Baker était déjà française de nationalité et cela depuis 1937.

Joséphine Baker, qui avait fait ses débuts à Broadway, à New York, déménage vers Paris pour échapper aux persécutions racistes alors qu’elle était au sommet de son art, de sa carrière.

Le Capitaine Jacques Abtey, employé des services secrets français, en 1939, deux ans après que Joséphine Baker ait obtenu la nationalité française et alors que la guerre était imminente, a contacté l’artiste lui demandant d’obtenir des informations secrètes pour les Français. Malgré le danger, elle accepta immédiatement en affirmant : «La France a fait de moi ce que je suis… les Parisiens m’ont tout donné… Je suis prête à leur donner ma vie».

Dès le début de la II Guerre mondiale, en 1939, Joséphine Baker devient donc Agent de contre-espionnage, sa grande qualité étant le fait qu’elle fréquente la haute société parisienne et plus tard la Croix Rouge. Dans des rendez-vous mondains, personne ne soupçonne une telle artiste… elle écoute, puis transmet des informations importantes à la Résistance et aux services d’espionnage.

Après la Bataille de France, elle s’engage réellement le 24 novembre 1940 dans les services secrets de la France Libre, toujours via le Commandant Abtey, qui restera son officier de direction jusqu’à la Libération, en France. Après la première fuite depuis les États-Unis, elle s’enfuit une deuxième fois, cette fois-ci vers l’Afrique du Nord à la suite de l’invasion de la France par les troupes nazies.

En Afrique du Nord, Joséphine Baker sera sous la protection de Si Ahmed. Belbachir Haskouri, Chef du Cabinet du Calife du Maroc espagnol.

Josephine Baker reste au Maroc entre 1941 et 1944. En soutien aux troupes alliées et américaines, elle entreprend un long voyage en jeep, de Marrakech au Caire, puis à travers le Moyen-Orient, de Beyrouth à Damas, rassemblant toutes les informations possibles par l’intermédiaire des officiers qu’elle rencontre.

Josephine Baker revient au Portugal par avion, celui-ci atterrit à l’aérodrome de Estoril. Le but avoué de sa venue à Lisboa était de donner un spectacle le 27 mars 1941 au Teatro da Trindade. Les billets sont vite vendus, on a dû programmer deux nouveaux spectacles les 28 et 29 mars. Josephine Baker va même jouer les prolongations les 3 et 4 avril.

Partie d’Afrique du Nord, sa venue à Lisboa avait tout un autre caractère, les spectacles étaient un subterfuge. À partir de la partie française de l’Afrique du Nord, elle transporte clandestinement jusqu’à Lisboa des documents, notamment des photographies, cachées sous ses vêtements, dans son soutien-gorge un microfilm est logé avec une liste d’espions nazis, qu’elle remet à des agents britanniques. D’autres messages sont transcrits à l’encre invisible sur les partitions de musique qu’elle a utilisées lors de ses spectacles à Lisboa. Des documents informent sur les positions des nazis en France.

Josephine Baker a également écrit des messages sur des morceaux de papier qu’elle déposait à la librairie Barbateira, en face du Teatro da Trindade, elle plaçait les dits messages stratégiquement dans des livres, qu’un agent anglais récupérait ensuite.

Chanter dans un pays dont la liberté était conditionnée, même s’il était plus facile que dans l’Europe en guerre, demandait tout de même une certaine précaution. En 1941, comme par ailleurs en 1958, en période de paix, la chanteuse a dû remplir à chaque fois un formulaire auprès de l’Inspection Générale des Spectacles.

Joséphine Baker, après la fin de la guerre, revient en 1958 pour à nouveau chanter au Portugal.

Alors qu’elle avait déjà adopté une dizaine d’enfants, elle cherche à recueillir un petit portugais. Le 22 juillet, elle visite la Misericórdia de Lisboa. Aucune adoption n’aura lieu, l’institution n’ayant d’enfant d’âge, selon le critère de la chanteuse, de moins d’un an, jugeant qu’un enfant de cet âge ressent moins les changements de nouvelle résidence et de nouvel entourage.

La dernière fois que Joséphine Baker a chanté au Portugal, ce fut en novembre 1960, pour un spectacle transmis par la chaîne de télévision RTP. Pendant la diffusion, Joséphine Baker a prononcé une prière pour l’émancipation de la race noire et un appel aux hommes à se respecter les uns les autres et à ce qu’ils soient tous égaux. Le message est passé inaperçu dans un premier temps, car il avait été rédigé en français. Les journalistes ne l’ont pas cité dans leurs chroniques ou bien la censure a coupé l’information. Ce n’est qu’en janvier de l’année suivante que le journaliste José Neves de Sousa a fait référence à ce fait dans un magazine – un scandale sous le règne de Salazar évité de peu.

Joséphine Baker meurt en 1975, à l’âge de 68 ans, à Paris, ville où elle est devenue star en octobre 1925, lors de son spectacle au Théâtre des Champs-Élysées. Un an après, elle rentre aux Folies Bergères.

Personnalité charismatique aux multiples talents, une femme libre, au destin exceptionnel, Joséphine Baker sera la 6ème femme à rentrer au Panthéon le 30 novembre 2021.

Les spectacles de Joséphine Baker n’ont toujours pas eu bonne presse au Portugal, on le comprend, Salazar veillait. Le journal «O Século», lors de la visite de la chanteuse en 1941, écrivait : «Baker est une star que seul le mauvais goût, ou plus précisément la dépravation du mauvais goût, peut supporter».

Pour la petite histoire, voir la grande histoire, Amália Rodrigues a chanté pour la première fois à l’Olympia de Paris en 1956, lors d’une soirée d’adieu à Joséphine Baker. Amália Rodrigues a gardé un cuisant et mauvais souvenir de son premier passage en vedette américaine de Joséphine Baker, son imprésario d’alors, voulant absolument la présenter au Tout-Paris ce qui la terrorisa plutôt qu’il ne la mit en confiance. Les choses ne se sont pas si mal passées pour Amália Rodrigues, puisqu’elle se produira l’année suivante, sur cette même scène, en tant qu’artiste principale.

A titre anecdotique, signalons le fait que Joséphine Baker a inspiré une publicité pour les bananes de Madeira – Joséphine dansant, à ses débuts, avec des bananes autour de sa ceinture.

Les 11 et 12 mars 2011, pour fêter les 70 ans du premier spectacle de Joséphine Baker au Portugal, une manifestations s’est tenue à Lisboa, notamment au Teatro da Trindade, avec la présentation du livre «Joséphine Baker au Portugal», conférence sur l’espionnage en 1940 au Portugal et présentation les 11 et 12 mars de la comédie musicale «Une nuit avec Joséphine Baker au Teatro da Trindade».

LusoJornal