Les cinq semaines de Jean Moulin à Lisboa : Moment historique de la Résistance et de son organisation


Jean Moulin, Président du Conseil National de Résistance, avant de rejoindre De Gaulle à Londres, a séjourné 5 semaines à Lisboa, entre le 13 septembre et le 20 octobre 1941. Cinq semaines déterminantes pour la Résistance française contre l’envahisseur allemand.

Jean Moulin réfléchit et rédige le rapport à l’origine de ce qui va devenir la Mission Rex, qui, sous son commandement, va unifier les forces résistantes dispersées en une véritable armée de l’ombre (1).

Salazar et son gouvernement sont restés neutres pendant la II Guerre mondiale. Une neutralité qu’on pourrait qualifier d’«arrangeante», jouant avec les uns et les autres, selon l’humeur et les dividendes que Salazar pense pouvoir en tirer.

Jean Moulin, alors qu’il avait été le plus jeune Préfet de France, sous conseil de l’allié anglais, passe par Lisboa avant de rejoindre Londres et le Général.

Nombreux étaient les réfugiés, les espions, les polices secrètes qui passaient ou séjournaient à Lisboa, la liste des visas délivrés par le Registo Civil de Lisboa, en témoignent. Une partie de l’histoire et la préparation du débarquement, se joue à Lisboa, grâce à l’action de l’espion Juan Pujol Garcia (voir ICI).

Jean Moulin obtient un visa pour le Portugal et quitte clandestinement Marseille. Il passe par Barcelone et Madrid avant de rejoindre le Portugal et Lisboa le 12 septembre 1941.

Il s’installe au 1er étage de la Pensão do Algarve, 16 Largo da Trindade, juste en face du Teatro da Trindade.

Dès le lendemain de son arrivée, Jean Moulin rencontre un représentant des services secrets britanniques à l’Ambassade du Royaume-Uni.

Au vu de sa mission, pendant son séjour au Portugal, Jean Moulin va rester le plus discret possible, les traces retrouvées de son passage par Lisboa, ne sont pas en grand nombre, il sera toutefois observé et testé. On devait s’assurer qu’il n’était pas un agent double. Alors que la capitale portugaise est le théâtre de réunions secrètes, le Français doit prouver qu’il n’y a pas de danger à le laisser se rendre à Londres pour y rencontrer le Général De Gaulle.

À Lisboa il y rédige, en deux exemplaires dactylographiés, le fameux rapport de la Mission Rex, qu’il fera signer, plus tard, à Londres, au Général De Gaulle.

Jean Moulin aimait lire et a fréquenté, juste à côté de son lieu de résidence, une boutique de livres anciens, le quartier du Chiado étant son lieu de rencontres.

Depuis sa jeunesse, Jean Moulin aimait dessiner, essentiellement de personnages, les rares paysages qu’il a exécutés, l’ont été à Marseille et à Lisboa. Pour les paysages de Lisboa, c’est en se promenant au belvédère emblématique avec une vision sur la ville, à 180 degrés sur la capitale, le Miradouro de São Pedro de Alcântara que l’inspiration lui vient pour dessiner la capitale portugaise.

Peu après son arrivée à Lisboa, Jean Moulin se fait vacciner. Le Musée de la Résistance de Paris-Musée Général Leclerc-Musée Jean Moulin, détient le document Guia n°929 de la Defesa Sanitária Anti-Epidémica do País, au nom de Joseph Jean Mercier, en date du 22 septembre 1941.

Un rare témoignage sur le passage par Lisboa de Jean Moulin, est celui de l’écrivain Jorge Reis (2). Il rapporte dans son livre «Memória Resguardada», deux rencontres avec Jean Moulin, l’une dans une librairie d’occasion de la Rua da Trindade et l’autre au Jardim de S. Pedro de Alcântara.

À Lisboa, la Polícia de Vigilância e Defesa do Estado – Secção Internacional – émet, en date du 7 octobre 1941, un reçu dans lequel est indiqué que Joseph Mercier a payé 10 escudos pour la prorogation de son visa sur son passeport.

Dans les archives de la Torre do Tombo, livre 22 du Registo Civil de Lisboa est également noté qu’un visa a été émis par le Governo Civil de Lisboa au nom de Joseph Mercier.

Jean Moulin quitte la capitale portugaise, sous le nom de Josephe Jean Mercier, pour rejoindre Londres, le 20 octobre, à bord d’un hydravion. À Londres, des membres du Conseil National de la Résistance l’attendent.

Les Anglais ayant bien étudié le personnage de Jean Moulin, voulaient le séduire pour qu’il travaille avec les services anglais. Jean Moulin leur répond qu’effectivement, il y avait lieu de collaborer, toutefois il leur a indiqué qu’il devait parler tout d’abord au Général De Gaulle.

On peut se demander pourquoi Jean Moulin a choisi le Portugal pour son départ vers l’Angleterre. Un des éléments de réponse est dans une lettre que Jean Moulin a écrite depuis Lisboa à son ami, Pierre Cot, qui vivait aux Etats Unis, une lettre qui ne sera postée qu’au départ d’Angleterre. On peut lire : «…maintenant que je suis dans un pays où j’ai des conditions de liberté pour t’écrire…».

Jean Moulin n’avait pas de parti politique, toutefois il savait très bien qu’au Portugal la liberté n’était pas complète, toutefois, bien meilleure qu’en France et même qu’en Espagne.

Lors de sa deuxième mission, en partance de Londres, le 20 mars 1943, à destination de la France, Jean Moulin utilisera des documents fournis par les Anglais, toujours au nom de Joseph Jean Mercier, dans lesquels on peut lire que son adresse était à «Lisbon».

Quatre vingt ans après le passage de Jean Moulin – le héros de la Résistance française – par Lisbonne, la Casa da Imprensa a accueilli et promu plusieurs initiatives remarquables pendant la «Quinzaine Jean Moulin» que s’est déroulée du 27 septembre au 10 octobre 2021, avec notamment l’édition d’une carte postale en honneur de Jean Moulin, l’exposition «Jean Moulin Lisboa 1941», un cycle de films sur Jean Moulin et la Résistance, un débat sur le thème «Résistance et héros» et le lancement du livre «Jean Moulin : não apaga a cor» de João Cotrim et Tiago Albuquerque.

Moment ô combien important et symbolique, le 5 octobre 2021, jour anniversaire de l’implantation de la République Portugaise, dans le cadre de la Quinzaine, une plaque a été inaugurée dans le Jardim de São Pedro de Alcântara, en honneur de Jean Moulin et de son passage par Lisboa. Une initiative du Collectif Jean Moulin-Lisboa 1941, à la tête duquel, son Président João Soares, fils de Mário Soares, présent pour l’inauguration, ainsi que des membres de l’Assemblée municipale du quartier de la Misericórdia, de différents membres du Collectif, de l’auteur de la plaque, Jorge Silva, d’António Borges de la Casa da Imprensa et de Cécile et Gilbert Benoit, familiers de Jean Moulin.

Pendant le discours prononcé par Gilbert Benoit, on peut entendre : «…en France il y a plusieurs milliers de rues au nom Jean Moulin, plusieurs centaines de collèges et lycées. La plaque que nous allons inaugurer est le premier hommage au monde, hors de France. Je suis heureux que cet hommage le soit ici, là où Jean Moulin a rédigé son fameux rapport à destination du Général De Gaulle sur la Résistance française et heureux, aussi, que cela soit tout près du banc où il est venu se détendre et pratiquer ce qu’il aimait le plus au monde : le dessin».

L’historien Jean Paul Grasset, qui se déplaça à Lisboa pour assister également aux hommages au Résistant Jean Moulin, se dit ravi de voir Lisboa et les Portugais rendre un si bel et vibrant hommage à Jean Moulin.

Notons ici que la plaque en hommage à Jean Moulin a été fabriquée par l’entreprise parisienne de Manuel Soares, Real Marbre, spécialiste du revêtement à base de la pierre naturelle.

Jean Moulin décédera, presque deux ans après son passage par Lisboa, dans des conditions, qui en partie, restent un mystère. Officiellement Jean Moulin meurt de ses blessures en gare de Metz, le 8 juillet 1943, dans le train qui devait l’emmener de Paris à Berlin. L’acte de décès allemand ne sera rédigé que 6 mois plus tard, le 3 février et indique Metz comme lieu du décès.

Les cendres de Jean Moulin seront transférées du Cimetière du Père-Lachaise au Panthéon, le 19 décembre 1964. Le discours d’André Malraux à cette occasion lui rendit un vibrant hommage.

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(1) La mission Rex consiste en trois points : développer la propagande ; centraliser l’action résistante paramilitaire sous l’autorité du Comité national ; et réaliser «l’unité d’action de tous les éléments qui résistent à l’ennemi et à ses collaborateurs». Doté d’un poste émetteur-récepteur et d’un modeste budget, sans autre personnel et sans autre autorité que celle que lui confère le prestige de De Gaulle, l’ex-Préfet entreprend une tâche difficile, faite de contacts, de discussions et de négociations clandestines.

(2) Né à Vila Franca de Xira, Jorge Atilano dos Reis Ambrósio a vécu en exil à Paris de 1949 jusqu’à sa mort en 2005. Entre 1946 et 1948, il a participé à la revue Vértice, où il s’est lié d’amitié avec Carlos de Oliveira, Joaquim Namorado ainsi que d’autres écrivains appartenant à cette même revue. Ayant milité pour le Parti communiste portugais (PCP) et participé aux grèves des 8 et 9 mai 1944, il s’est réfugié en France pour échapper à la PIDE.