Glorieux sommeil

La participation portugaise à la I Guerre mondiale accessible aux enfants

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L’accessibilité c’est ce que souhaitait l’auteur, de l’ouvrage titré «João Ninguém: Soldado da Grande Guerra», le Capitaine João Guilherme de Menezes Ferreira. En préface il écrit qu’il souhaite honorer les soldats portugais en écrivant un livre de bonne humeur, dans un langage simple pour qu’il soit facilement compréhensible par tous, y compris les plus jeunes.

En 1921, sont publiés ses textes et dessins humoristiques «Impressões humoristicas do CEP 1917-1919». Le personnage central est João Ninguém (Personne en français). Le soldat décrit comme analphabète, naïf et bon, raconte ses années de guerre en Flandres.

Gavroches, Grisettes, Mademoiselles (surnoms donnés par les Alliés?): «les Portugais sont toujours-gais!» dit João Ninguém, sous la plume de Menezes Ferreira, il y a plus de 100 ans.

Des photos d’époque montrent en effet les soldats portugais souriants (photos de groupes en août 1918 en Angleterre et camps de prisonniers après la Bataille de La Lys, ou accompagnés de Françaises).

En 2014 pendant le Centenaire de la Grande Guerre, une exposition temporaire s’est tenue au Musée Bordalo Pinheiro de Lisboa. Elle a rendu hommage à l’œuvre de l’artiste militaire et Officier du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) qui a participé à la guerre en France.

L’exposition précédemment signalée par le petit-fils Vasco Manuel de Menezes Ferreira Pitschieller était intitulée «Menezes Ferreira Capitão de Artes». Celui-ci était un jeune membre fondateur de la Société des humoristes portugais.

La I Guerre, Menezes Ferreira l’a décrite et illustrée avec humour, jugements personnels et états d’âmes justifiés par cette période difficile en France. Le mélange des textes et dessins en fait une œuvre utile pour représenter les différents moments de la vie des soldats au front et à l’arrière.

Pour un enfant (comme il le souhaitait…), un non-lusophone, l’analyse des dessins peut en effet être explicite. La guerre, les gens, les sentiments… tout est abordé et dessiné avec humour (et caricature parfois) jusqu’à l’aspect historique, les éléments de déclenchement de la participation portugaise à la guerre, la victoire des «Boches» (sic), les soldats morts inconnus.

 

La période de guerre, les relations interalliées

Menezes Ferreira commence son livre par un hommage à deux Capitaines portugais morts en Afrique.

Quelques symboles sont omniprésents en feuilletant les pages du livre: le blason portugais, l’accordéon, la guitare, la croix de guerre, le casque militaire, le «barda».

Menezes Ferreira évoque la traversée de 4 longs jours, pour aller loin du Portugal, sur le bateau Pedro Nunes. Le mal de mer, en janvier 1917, les estomacs s’en souviennent. La barbe de 4 jours des soldats portugais n’a pas gênée l’accueil sympathique, écrit-il, de la population française à Brest. (L’occasion est donnée de rappeler la bretonne Madame Héliès (1))

A la descente du bateau en France, le voyage se poursuit en train. Amenant les soldats en Flandres, le train est dessiné, toits couverts de neige (João Ninguém signale une température de 10 degrés en-dessous de 0).

Les soldats portugais sont emmitouflés, armés, pieds dans la neige et dos courbés par le froid pesant: les dessins plantent le décor de l’hiver rigoureux français de 1917.

Le voyage en train est long (un interminable paysage couvert de neige, écrit-il). Les hommes et chevaux sont répartis dans les wagons. Le train amène les soldats du Finistère vers le Pas-de-Calais, en traversant la fertile région de la Somme.

«Boulogne… Calais… Saint-Omer… Terminus du premier voyage en terres de France: Aire-sur-La-Lys en février 1917!»

John Bull est cité de nombreuses fois, c’est le nom donné à un petit personnage ventripotent représentant l’Angleterre. Le corned-beef, nourriture anglaise servie lors des 4 jours de bateau pour arriver en France, les estomacs portugais s’en souviennent également.

Au terminus français, la ville d’Aire-sur-La-Lys est dessinée et décrite avec «sa vieille cathédrale, sa maison espagnole (vestige d’une ancienne occupation) et sa Grande Place de l’Hôtel de ville».

Les parcelles cultivables et les meules de foin dans la campagne environnante sont représentées, en souvenir d’une terre natale lointaine?

João Ninguém parle de ses 800 camarades de bataillon et des villages d’Artois et du Pas-de-Calais qu’ils traversent: St Quentin (Aire-sur-La-Lys), Marthes, Mametz, Herbelles, Moulin-le-Comte (Aire), Thérouanne, Roquetoire, Enguineguatte et tant d’autres…

Dont les lieux proches du front: Estaires, Merville, Pont du Hem (La Gorgue), Lestrem, Saint-Venant, Laventie.

Menezes Ferreira dessine ses frères d’armes, ‘Tommies’ (soldat anglais en tenue kaki) et ‘Poilus’ (soldat français en tenue bleu). Après lecture d’un croquis, il est possible de reconnaître un «Poilu qui passe à Marthes» (Pas-de-Calais), secteur arrière portugais, venant de Remilly-Werquin. Il a aimé «croquer» le soldat écossais en ‘demoiselle des tranchées’ du fait du kilt.

Des moments plus douloureux sont également représentés, toujours en évoquant un élément historique: les caillebotis au milieu des tranchées de la ligne de front (écrit ‘Front Line’ à l’anglaise, pour se souvenir que le secteur portugais était auparavant britannique), les croix de bois rappelant les morts à la guerre, les tranchées, le 9 avril 1918 date de la bataille où les soldats portugais se sont illustrés.

 

Les dessins ne sont pas tous décrits ici, rondes sous la neige, tranchées de communication enneigées (Picadilly), scènes de patrouille faisant prisonniers des Allemands, Noël, l’hiver rigoureux de 1917-18 est omniprésent dans le livre «João Ninguém».

Le dessin «A atração da espécie» est riche d’enseignements concernant le regard porté sur la hiérarchie militaire. Une voiture du Corps Expéditionnaire Portugais se fait courser par des oies, un soldat agite ses fanions de «laisser-passer» à leur passage. Dans le véhicule, un chauffeur conduit des Hauts-gradés habillés de manteaux fourrés, surnommés dans le livre les «palmipèdes».

Et encore, le «sniper», l’école des gaz, les infirmières de l’hôpital britannique de Camiers (près d’Etaples), l’abri demi-lune dit «elefant» (2), les nuits de S.O.S., la présence britannique est omniprésente.

Et toujours, les villages en ruines (La Couture en feu le 9 avril 1918 avec des corps de soldats portugais, Calonne-sur-La-Lys après la Bataille de La Lys, les arbres du secteur allemand calciné avec corps de soldat ennemi), je rappelle que l’auteur voulait que ce livre soit accessible aux enfants de l’époque.

Certains dessins ont perdu l’humour et la caricature prisés, vu la gravité de la période de guerre. Le dessin titré le «Glorieux sommeil» représente un soldat portugais se recueillant devant les sépultures de fortune du front (terre, croix de bois, un casque retrouvé en guise d’identification).

Sépultures du front qui seront ensuite déplacées vers les cimetières communaux ou militaires britanniques.

A ce moment précis du «Glorieux sommeil», Menezes Ferreira écrit que le soldat portugais João Ninguém (Personne) est le «soldat inconnu» d’une grande nation inconnue.

 

Aparté: la commune de Neuve-Chapelle, sur le front, était en partie détruite, avant que les soldats portugais n’arrivent dans leur secteur de combats. La population civile est évacuée dès le début de la guerre, le retour est sinistre dans les gravats après-guerre. La ville est en zone rouge, à nettoyer de ces munitions et reconstruire. Des raisons qui expliquent la présence de mariages luso-français tardivement dans cette commune. Un mariage identifié est celui de Manoel Joaquim, marié sous ses 2 prénoms (3).

 

L’occasion est donnée de parler de ces gens, cités dans les livres écrits après-guerre, parfois de simples prénoms, parfois des noms, des adresses. Ces indications sont utiles et permettent d’aller plus loin dans l’identification de personnes au contact des soldats et enrichir l’histoire militaire.

 

L’arrière, les relations avec les civils

Bien sûr les femmes sont évoquées, jeunes et vieilles. Les hommes partis à la guerre, elles maintiennent l’activité familiale et économique.

Les «demoiselles» sont souvent citées, les demoiselles qui accompagnent leur parcours français à Brest, Cherbourg, Boulogne, Calais, Saint-Omer, Aire-sur-La-Lys,… les «demoiselles des fermes» qui apportent un peu de joie de vivre dans leurs cantonnements à l’arrière.

João Ninguém nomme Madame Faes, la papetière de la Grand Place d’Aire, et Germaine. Il écrit d’elle: «A Princesa Magalona dos teus sonhos de méridional», en référence à la légende moyenâgeuse de la Belle Maguelone, dans le sud de la France.

Selon les recensements de 1911 de la commune d’Aire-sur-La-Lys, une seule libraire tient commerce sur la Place et permet d’identifier Mme Faes. Il s’agit de Lydie Flajollet, son nom de jeune fille, native d’Isbergues, 2 enfants sont connus Emile et Alfred Faës.

Un dessin de Menezes Ferreira donne des renseignements concernant une dame accueillante dans sa maison à Marthes, village à moins de 5 kms de Roquetoire, Thérouanne, Blessy.

Il la nomme Madame Dufeutrelle, elle est dessinée accompagnée d’une autre femme et d’un soldat, buvant le café près de la cheminée. Les recensements permettent d’identifier Marie-Thérèse (nom de jeune fille non connu), une dame d’environ 60 ans, veuve, cultivatrice rentière, native de Haringhe, en Belgique (une civile évacuée dès le début de la guerre?).

A noter que la commune belge de Haringhe disposait pendant la I Guerre d’hôpitaux Alliés, elle a encore aujourd’hui un cimetière militaire britannique.

Des mariages luso-français, résultant de la I guerre mondiale, existent dans la région d’Aire-sur-La-Lys (Thérouanne, Mametz, Witternesse, Roquetoire…), à l’arrière du front. La zone n’était pas évacuée de sa population civile, comme l’était la région de Neuve-Chapelle. Des liens se sont créés, plus ou moins éphémères. La fiancée de guerre est parfois devenue épouse (aussi lorsqu’il fallait reconnaître une naissance hors-mariage).

 

Dans le livre «João Ninguém», l’auteur Menezes Ferreira dédit un dessin à Alice Rey Colaço, profondément reconnaissant pour ses indications données. Illustratrice et artiste portugaise, elle avait comme thème d’illustrations les costumes populaires portugais (4).

 

En savoir plus:

(1) https://lusojornal.com/brest-1917-la-mere-des-soldats-portugais-a-mae-dos-soldados-portugueses/

 

(2) https://lusojornal.com/i-guerre-mondiale-abri-fortifie-ou-habitat-provisoire/

 

(3) https://lusojornal.com/i-guerre-mondiale-et-apres-integration-en-france-semee-dembuches-administratives-et-humaines/

 

(4) https://comjeitoearte.blogspot.com/2015/07/trajes-populares-portugueses-na.html

 

https://museubordalopinheiro.pt/

 

Le livre est disponible sur le site de la Bibliothèque nationale numérique du Portugal : http://hemerotecadigital.cm-lisboa.pt/EFEMERIDES/IGuerraMundial/IGuerraMundial_monografias.htm

 

En 2022, une guerre mondiale possible, ce livre mérite-t-il une traduction et publication en Français?

L’auteur voulait que ce soit accessible aux enfants, ils n’ont jamais autant vu la guerre. Comment ne pas banaliser les guerres ? Comment transmettre la paix ?

 

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LusoJornal