Le gouvernement d’Hitler remet le drapeau du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) au Portugal en 1935


Le 13 juillet 1935, à 15h00, a eu lieu, au Palais de Belém, à Lisboa, une cérémonie bien particulière, pleine de symboles, qui peuvent être jugés, à la lumière de 2024, comme contradictoires, à 89 ans de distance. Il s’agit de la cérémonie de remise au Chef de l’État portugais, Óscar Carmona, de la part du Ministre (Ambassadeur de nos jours) d’Allemagne, le Baron Von Hoyningen-Huene, du drapeau du Bataillon d’infanterie numéro 4, drapeau trouvé sur le champ de la Bataille de La Lys à la suite des violents bombardements de l’artillerie allemande.

Le dit Bataillon appartenait à la cinquième Brigade du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP), qui, le 9 avril 1918, était placé dans le secteur de la Ferme du Bois, à Richebourg. Le bataillon était commandé par le lieutenant-colonel Sande e Lemos, deux compagnies étaient à l’avant et deux plutôt à l’arrière. Ces deux dernières occupaient, plus précisément, la rue Chavattes, là où était placé le poste de commandement du Bataillon d’infanterie n°4.

Le bombardement effectué dans la matinée du 9 avril fut violent, prolongé, provoquant nombre important de pertes chez les soldats portugais, le village étant, quant à lui, complètement détruit.

L’Infanterie allemande rencontra le lendemain, le 10 avril, le poste de commandement en ruine et à côté de celui-ci un drapeau couvert de rosée éclaboussé de sang des courageux soldats portugais qui n’ont laissé le drapeau désemparé que quand le souffle de la vie les quitta. On peut même dire, d’une certaine façon, que l’étendard resta sous surveillance de la garde d’honneur des tués dans le champ de bataille, loin de la patrie, le Portugal.

Le Bataillon d’Infanterie 4 s’est toujours distingué sur le Front avec une attitude noble. Le 9 avril 1918, restera comme un jour d’énorme souffrance et de pertes pour le valeureux régiment.

Ont assisté à la remise du drapeau du Bataillon d’infanterie 4, le Chef d’État portugais, le Général Óscar Carmona, venu de Tavira, siège du Régiment d’infanterie 4 son commandant, le Colonel Mário Oom do Vale, en compagnie du Capitaine Victor Corvo et du Lieutenant Moura Diniz.

Le Ministre Allemand est arrivé au palais accompagné de l’attaché militaire, le Capitaine de frégate Weber, c’était ce dernier qui portait le drapeau, symbole d’un peuple, du CEP, d’un régiment, de soldats qui ont donné leur vie.

Óscar Carmona attendait les représentants du Reich dans la salle de réception, en compagnie de ses aides civils et militaires : le Ministre des Affaires Étrangères avec ses Secrétaires de guerre et adjoints. Étaient également présents le Secrétaire général du Président, Commandant Jaime Athias, le Directeur des protocoles Luiz Barreto da Cruz, le Lieutenant Pinto Ferreira, le Colonel Esmeraldo de Carvalhais et le Capitaine Luiz Santana.

Le baron Von Hoyningen-Huene et le Commandant Weber ont été introduits dans la salle par le Directeur du protocole.

Le Ministre allemand à Lisboa, dans son discours, dira : «Monsieur le Président, par ordre du Gouvernement du Reich, j’ai l’honneur de remettre entre les mains de votre excellence, le drapeau du Régiment l’Infanterie numéro 4 de l’Armée Portugaise qui a été retrouvé le 11 avril 1918 après la Bataille de La Lys, parmi les soldats morts dudit Régiment couvert de rosé couleur sang. Ce drapeau a été transporté en Allemagne où il a été conservé sous garde privée, le Gouvernement allemand n’a pris connaissance que tout dernièrement de son existence».

Le Ministre de la Guerre Allemand considérait qu’il était le leurs devoir, en honneur des soldats guerriers du Bataillon d’infanterie 4, de la restituer au pays auquel ils appartenaient et pour qui, ils ont donné leur vie, scellant par leur sang et fidélité l’attachement à un symbole de la Patrie.

Le Chef d’État Portugais, répond : «Monsieur le Ministre, je me sens heureux de recevoir des mains de votre excellence le drapeaux du Régiment d’infanterie 4 qui est parti du Portugal pour accomplir en Flandres leur devoir militaire. Le drapeau a été retrouvé dans le champ de bataille, toutefois c’est à cause de motifs d’organisation de nos unités du front que le Régiment n’a pas eu la gloire qu’il mérite. Le souvenir que Votre Excellence évoque et qui m’émeut, transforme le drapeau en un symbole sacré : à ses côtés sur le champ de bataille sont tombés à jamais d’honorables soldats portugais qui ont versé leur sang sur le drapeau pour la défense de la Patrie, le sang tombé sur ce drapeau lui confère une noblesse supplémentaire qui lui manquait. Posséder ce drapeau a, pour nous, une grande valeur, le Gouvernement du Reich l’a bien compris et a fidèlement voulu qu’on nous le restitue. Monsieur le Ministre, tout le peuple portugais, vous en remercie».

Le Baron Huene, prend le drapeau des mains du Commandant Weber, le remet au Chef d’État portugais et celui-ci le transmet, à son tour, au Ministre portugais de la Guerre.

Le Colonel Passos et Souza, déclare à l’occasion : «C’est avec un immense plaisir que je reçois une telle preuve de courtoisie internationale, preuve des bonnes relations qui existent entre l’Allemagne et notre pays».

Le Général Carmona, Chef de l’État, remercie et invite le Ministre de l’Allemagne et les deux Ministres portugais à rentrer dans son bureau.

Après le départ du Baron Hoyningen-Huene et de l’Attaché naval allemand, le Ministre de la Guerre portugais confie le drapeau au Colonel Maria Oom do Vale qui le conduit au Musée Militaire où il restera exposé.

Comme dans l’histoire du Christ des Tranchés (lire ICI), il y a parfois des différences dans les récits, avec parfois des versions bien différentes.

Dans le cas présent : il est dit que le drapeau a été récupéré par les Allemands, soit le 10, soit le 11 avril. Il y également la version, selon laquelle le drapeau que les Portugais avaient dû abandonner après une résistance héroïque, avait fini dans les mains d’un riche propriétaire inconnu et que les Allemands auraient acheté le dit drapeau et s’en allèrent le remettre solennellement au Portugal, comme que dans un acte de réparation de la Bataille de La Lys.

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Un deuxième drapeau ?

Dans nos recherches, nous avons trouvé une photo aux Archives de la Torre do Tombo avec trois personnages. Dans la légende de ladite photo nous pouvons lire : «Le président du Conseil, en compagnie du Ministre allemand et du Général Kuehlenthal, a remis à Oliveira Salazar, un drapeau qui a été récupéré de la 5ème Brigade portugaise le 9 avril 1918, pendant la Grande Guerre». La photo date du 04 novembre 1937.

Le même drapeau ? Deux drapeaux différents remis, l’un au Président de la République, le deuxième au Président du Conseil portugais à plus de deux ans d’intervalle ? Si deux drapeaux, tous deux de la 5ème Brigade, car le 4ème Bataillon d’infanterie en faisait partie ?

À part la photo, nous n’avons pas trouvé d’éléments pour clarifier cette remise de drapeau à Salazar.

On sait que l’attitude d’Oliveira Salazar n’a pas été trop claire concernant sa position face aux deux blocs pendant la II Guerre mondiale : selon le moment et l’enjeu, Salazar soufflait le chaud ou le froid.

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Une interview d’Hitler au Diário de Notícias

Hitler n’est jamais allé au Portugal, toutefois, chose extraordinaire il a accepté de donner une interview au journal Diário de Notícias, alors même qu’il ne donnait jamais d’interviews à un organe de presse étranger. L’interview a été accordée au journaliste Armando Boaventura, le 25 janvier 1935, à 19h30, la publication a eu lieu le 31 janvier. Il se dit que l’interview a pu avoir lieu que grâce à l’intervention du Ministre portugais à Berlin, très culte, il était bien vu en Allemagne, Alberto da Veiga Simões.

Le journaliste décrit le lieu, l’accueil, une certaine intimidation…

Pendant l’interview, Hitler dira : «Les relations entre l’Allemagne et le Portugal ont d’autant plus raison d’être, qu’il existe d’étroites, intimes et franches relations cordiales, de plus l’actuelle situation politique portugaise s’inspire beaucoup des principes, directrices et objectifs du régime national-socialiste de la nouvelle Allemagne». La photo de l’article est celle du Führer. À la demande du journaliste portugais, Hitler signe son autographe sur la photo.

Coïncidence ? Le drapeau a été restitué en juillet de la même année au Portugal.

Quand on reçoit, il faut aussi savoir donner. Salazar envoie à Hitler une édition spéciale des Lusíadas. Pour effectuer cette remise solennelle, d’éminents personnages furent désignés, des personnages de confiance pour leur fidélité salazariste : le Ministre à Berlin, Alberto da Veiga Simões ; un spécialiste très germanophile et hitlerophile, bien connu dans le secteur de l’Éducation, le professeur Cordeiro Ramos ; l’Ambassadeur Huene, grand animateur de ces cérémonies de courtoisie ; ainsi que Costa Veiga, Directeur de la Bibliothèque Nationale.

Rappelons-nous que, nous sommes au milieu des années 1930, des intervenants, dont on vient d’évoquer leur nom, s’éloignent des régimes allemand et portugais quelques années plus tard, les deux régimes se radicalisant et la guerre détruisant, tuant, anéantissant.

Alberto da Veiga Simões sera démis de ses fonctions de Ministre en Allemagne. En tant qu’Ambassadeur, il aurait délivré un nombre important de visas qui sauveront des juifs. Salazar l’aurait démis de ses fonctions sous prétexte qu’Alberto da Veiga Simões aurait communiqué, aux autorités françaises, la date exacte de l’attaque allemand.

Hoyningen-Huene a été Ministre (Ambassadeur) d’Allemagne au Portugal entre 1934 et 1944. Tout au début, il eut des désaccords avec Salazar, à cause de la censure dans les journaux. Puis ils devinrent de grands amis, et pas une année ne passait sans qu’ils s’adressent les vœux. Huene faisait partie de l’aristocratie allemande, toutefois il ne s’identifie pas avec la politique d’Hitler, mais il la tolérait au nom de la patrie allemande.

Salazar disait à son peuple : «Salvo-vos da guerra, mas não da fome», «Je vous sauve de la guerre, mais pas de la faim»… ambiguïté de l’attitude de Salazar : il admet les espions des deux côtés à Lisboa : Jean Moulin passe par le Portugal avant de rejoindre De Gaulle à Londres et il accepte le 4 septembre 1941 de recevoir comme cadeau, le portrait signé de Pétain.

L’histoire se construit d’histoires parfois oubliées, qu’il faut parfois rappeler, rappeler aussi son contexte.