Les origines portugaises de Pierre Mendès France


Pierre Mendès France a des origines portugaises. La question est de savoir à quand remontent ces origines. Il était un passionné de généalogie et il a fait (ou a fait faire) un travail colossal sur ses origines.

Dans un ouvrage de Jean Lacouture sur Pierre Mendès France, aux éditions Le Seuil, ce dernier relate son intérêt pour la généalogie. «Cette fièvre de généalogie m’est parvenue vers le milieu des années 1930 quand j’étais en possession de documents de souvenir et de papiers de famille conservés par mon grand-père paternel. Il se trouve que ces recherches m’ont tout de suite orienté vers le Portugal, où l’on est très férus de généalogie. On trouve à Lisbonne 10 fois plus de généalogistes qu’à Paris. Quand j’ai commencé cette enquête, je n’étais pas au courant des lois talmudiques (1)… je retrouve des Mendes França au Portugal dès le début du seizième siècle».

Pierre Mendès France et Claude-Levi-Strauss auraient été, sans doute, intéressés d’apprendre qu’ils ont eu des ancêtres communs, ancêtres communs aussi avec la femme d’André Breton, Simone Kahn, la femme de Léon Blum, Lisa Bloch, ainsi qu’avec la résistante Lucie Aubrac.

De son nom complet Pierre Isaac Isidore Mendès France, est né le 11 janvier 1907 dans le 7ème arrondissement de Paris et il est décédé le 18 octobre 1982, à l’âge de 75 ans, dans le 16ème arrondissement de la capitale.

Entre ces deux dates, une vie bien remplie : le plus jeune avocat de France à 21 ans, résistant, rejoint De Gaulle à Londres, Ministre des Affaires Étrangères, Président du Conseil des Ministres, Ministre d’État, un opposant à De Gaulle… deux mariages, deux enfants…

Si nous tenons compte de Pierre Mendès France comme étant la première génération, on a pu remonter jusqu’à la 21ème génération, pour trouver Afonso Lopes da Costa, né vers 1333 Julien (2).

Remonter les générations de Pierre Mendès France, c’est remonter dans une partie de l’histoire du Portugal.

D’origine juive, la famille de Pierre Mendès France n’est pas arrivée au Portugal, comme bon nombre d’autres juifs, à la suite du décret de l’Alhambra de 1492. Par ce décret, les Juifs sont expulsés d’Espagne en 1492. Certains choisissent le Portugal comme refuge. Le terme utilisé pour qualifier Pierre Mendès France, d’origine Séfarade-Judéo-Portugaise, ne nous semble pas totalement correct.

Nos dires s’appuient sur le fait qu’à la 20ème génération, né Fernão Lopes da Costa Galvão à Évora, région de l’Alentejo, au Portugal, vers 1363. Il décédera également à Évora.

Signalons qu’il y a eu des périodes anti-juifs dans la Péninsule Ibérique même avant le décret d’Alhambra, toutefois, à partir du VIIIème siècle, moment de la conquête Arabe, trois religions ont cohabité plus ou moins pacifiquement : musulmane, juive et chrétienne, période qu’on a qualifiée de Convivência.

À la génération suivante, est né, vers 1400, João Fernandes Galvão, qui meurt à Évora en tant que Prieur.

João Fernandes Galvão et Mécia Martins Silveira auront comme fils, Rui Galvão, né à Evora. Ce dernier aura un rôle important pendant le règne du roi D. Afonso V. Il occupera de nombreux postes : clerc de messe, prieur d’Evora, il sera chevalier de la maison royale, greffier du Conseil, secrétaire du roi D. Afonso V. Ce dernier va l’envoyer en tant qu’ambassadeur à Castille en 1431 et le 30 octobre 1431 est signé le traité de paix de Medina Del Campo, un traité qui se veut perpétuel. Petite anecdote : Rui Galvão était surnommé «la jambe de vin».

Rui Galvão et Branca Joana Tição Gonçalves donnent naissance à Duarte Galvão vers 1446. Il devient une espèce de Maire – alcaide-mor – de Leira. Diplomate, historien développant la théorie de la mystification de l’empire portugais, il meurt lors d’un voyage diplomatique en Éthiopie en 1517. On connaît de lui le livre «Chronique du très haut et très suprême D. Afonso Henriques, 1er Roi du Portugal».

Le couple Duarte Galvão e Catarina Sá de Vasconcelos donne naissance à Leonor Mendes de Vasconcelos. On voit arriver ici le nom de Mendès. Pour quelle raison ? On voit souvent dans généalogie portugais ce type de phénomène.

Remarquons toutefois que, les juifs qui sont partis d’Espagne à la suite du décret l’Alhambra en 1492, dès le 5 décembre 1496, ils sont à nouveau pourchassés, expulsés, à moins qu’ils se convertissent, qu’ils soient de longue date établis au Portugal ou nouveaux arrivants d’Espagne. Apparaissent à ce moment-là, dans la Péninsule Ibérique, ce qu’on appelle les juifs marranes (3) (4), des juifs qui ont fait «semblant» de se convertir au christianisme, mais qui, en réalité, ont continué à pratiquer leur religion juive en secret, parfois dans la cave de leurs maisons, voir dans une cave en dessous de la première.

Leonor Mendes de Vasconcelos et Lopo Martins Leitão donnent naissance à Filipe Mendes de Vasconcelos qui se marie à Inês Anes, le couple donne naissance à Gaspar Mendes Vasconcelos qui décédera en 1549.

Gaspar Mendes Vasconcelos et Catherina Ribeiro donneront naissance, à Sertã (Castelo Branco), à Pedro Mendes Ribeiro, né entre 1540 et 1550.

Pedro Mendes Ribeiro se marie à Isabel França… – nous y arrivons au França, plus tard les France. Pedro et Isabel donnent naissance à Luis Mendes França. Ce dernier fera des études à l’Université de Coimbra, et chose qui nous paraît étonnante, il sera employé par l’Inquisition en Espagne.

Luis Mendes França sera le père de Francisco Mendes de França qui est né vers 1610 et qui décède en 1683 au Portugal, il exercera le métier d’orfèvre à Lisboa. Il aura eu trois surnoms selon le pays : Ruivo, Le Rouquin et El Rojo.

On arrive à la partie française des Mendès France.

Francisco Mendes França se marie à Antónia la Molana Freire (1619-1683), donnant naissance à Luis Mendes de França, à Lisboa, en 1619, appelé aussi O Ruivo (le Rouquin). Après son décès, on lui donnera également le surnom de Mardochée (5).

Luis Mendes de França est arrêté en 1683 sur ordre de l’Inquisition et est déféré au Saint Office. Il se dit un quart (6) de nouveau chrétien, il dénonce frères, sœurs, famille et amis dans la Maison des supplices. Il sort de prison et s’enfuit vers la France. Il arrive à La Rochelle et, le 27 octobre 1683, il écrit à l’Inquisition démentant toutes ses accusations. Il est signalé dès septembre 1684 à Bordeaux. Il s’établit entre-temps à Agen. Luis Mendes de França a d’abord été employé des douanes et, après, marchand de tabac et d’étoffes.

En 1695, à l’âge de 55 ans, Luis Mendès se suicide à Bordeaux d’un coup de pistolet qui le décapite. L’enquête menée à l’époque a conclu que Luis Mendes était fou et donc non coupable du crime de suicide. Selon certaines hypothèses, il aurait utilisé un pistolet de type silex, chargé d’une quantité extraordinairement importante de poudre noire.

Luis Mendes França se marie en 1681 à Maria Vivès (1663-1695), un des enfants aura le nom de Jean-Marouchée Mendès France (7), né le 17 juillet 1687, à Agen. Jean aura comme métier, marchand de toile. Il meurt à Bordeaux, le 19 mars 1764.

Jean Marouchée Mendès France se marie en 1710 à Marie Raquel Peixoto (1690-1732 ou 1735). Notons que Marie Raquel faisait partie de la 3ème génération arrivée à Bordeaux, son grand-père, Joan Jacob Léon Peixoto étant, probablement arrivé d’Espagne. Ce dernier a reçu des «Lettres de bourgeoisie» en 1683, au temps du roi Louis XIV. Jean Marouchée Mendès France décède à l’âge de 76 ans le 19 mars 1764.

Du mariage de Jean et Marie Raquel naît, entre 1724 et le 4 août 1725, Moise Joseph Mendès France, exerçant le métier de courtier en change. Il meurt à Marseille, en 1804.

Moïse se marie le 20 avril 1747 à Rachel Lopez (1727-1811) et de leur mariage est né Isaac Mendès France, le 22 mars 1785, à Bordeaux. Marchand chocolatier, il décède à Bois Colombe, en Haute Seine, le 27 janvier 1859.

Du mariage d’Isaac le 17 juillet 1815, à Bordeaux, avec Esther Fonseque (1793-1844), est né, le 27 novembre 1821, à Bordeaux, David Chéri Mendès France, qui aura comme métier le même que son père, chocolatier. Ce dernier meurt à l’âge de 55 ans, le 18 octobre 1877, à Rochefort (Poitou Charente).

David se marie le 22 mars 1848 à Bordeaux avec Clara Abigail Bar (1829-1867). De leur union va naître, le 18 février 1851, à Rochefort, Jules Isaac Mendès France. Commerçant, il viendra à décéder à Paris dans le 3ème arrondissement, le 26 décembre 1933.

Du mariage, le 18 juillet 1872, à Rochefort, avec Émilie Anna Stauss (1849-1877), naîtra le 30 juillet 1874, place de la Motte, à Limoges, le commerçant et industriel David Cerf Mendès France, Chevalier de la légion d’honneur. Il décédera à Ville d’Avray (Haut de Seine), le 29 novembre 1897 à l’âge de 83 ans.

Venu de Limoges s’installer à Paris, David Cerf crée sa propre affaire de textiles, d’abord installée rue de Cléry, puis rue Réaumur, puis rue de Turbigo, en 1909, puis rue Etienne Marcel, en 1926, enfin, rue de la Pompe.

David Cerf avait durement travaillé toute sa vie : il avait monté un commerce de confection pour dames dans un style moyen et populaire à l’origine. Engagé volontaire en 1892 (à dix-huit ans), il avait effectué cinq ans de service militaire.

L’affaire Dreyfus, les affrontements, les bagarres, l’avaient beaucoup marqué.

Il avait fait la guerre de 1914 comme sous-officier, devenu lieutenant dans l’artillerie légère sous les ordres du colonel Dreyfus, dont il a gardé le souvenir d’un officier «autoritaire et intransigeant». Il tombe gravement malade en 1917. Contrairement à ses ascendants, David Cerf Mendès France n’avait ni foi, ni pratique religieuse. Il était même hostile à toute religion.

Toujours dans le commerce, il s’installe à Paris, rue Saint-Sauveur, où il reprend un commerce de lingerie et de confection pour dames, fondé par Moïse Ferkri. Pendant l’occupation allemande, son commerce deviendra «C Mendès, sarl», au capital de 2 millions de francs, porté ensuite à 4 millions.

Au moment du mariage de David Cerf, le 29 décembre 1905, à Strasbourg, avec Palmyre Sarah Cahn (1880-1968), il habitait au 34 rue de Clichy, à Paris 9 et elle à Strasbourg, 27 rue du Vieux Marché aux Vins.

Du mariage de David Cerf Mendès France et Palmyre Sarah Cahn naît Pierre Isaac Isidore Mendès France.

La vie de Pierre Mendès France fut tellement riche, qu’il est bien difficile de citer tous les moments importants. En 1924 il s’initie à la politique en rejoignant organisation étudiante qui lutte contre l’extrême droite. Le 19 mai 1928 il est initié en franc-maçonnerie, en 1932 il devient Député de l’Eure et en 1938 il participe à la coalition du Front Populaire.

Pierre Mendès France fut victime pendant toute sa vie d’attaques incessantes en tant que juif. Homme politique, démocrate et patriote au-dessus de tout soupçon, il se voit accuser de n’avoir «pas assez de terre française à la semelle de ses souliers». Il sera arrêté et jeté en prison sous l’Occupation, le 31 août 1940, à Casablanca.

Transféré le 12 octobre 1940 à Clermont Ferrand, il est jugé le 9 mai 1941, on le conduit à l’annexe de l’hôpital la Providence de Clermont Ferrand, transformé en prison-hôpital, pour insuffisance hépatique. Pierre Mendès France scie les barreaux de sa cellule et s’évade le 21 juin 1941, prend le train, traqué, il rejoint le Forces Aériennes Françaises.

Pierre Mendès France réussit finalement à rejoindre le Général de Gaulle, à Londres, en février 1942. En juin 1954, il est nommé Président du Conseil de Ministres par le Président Coty. Et en 1958, il vote contre l’investiture de Charles de Gaulle, année où il abandonne tous ses mandats.

Pierre Mendès France tient à visiter le pays de ses ancêtres. Moins d’un an après la Révolution des Œillets, il se rend au Portugal. Arrivé à l’aéroport de Lisboa le 24 février 1975, il visitera le 25 le Ministre Major Melo Antunes, le 26 il visite le Premier Ministre et Président de la République, le 27 le Ministre du Travail… sa visite s’achève le 5 mars par une conférence de presse au Palácio Foz, à Lisboa.

Pierre Mendès France s’est marié le 27 décembre 1933 avec Liliane (Lili ou Lily) Cicurel (1910-1967). Après le décès de Lily, artiste peintre, il se remarie le 02 janvier 1971, avec Marie Claire Servan Schreiber (1921-2004).

Avec sa première épouse, ils auront deux enfants : Bernard Mendès France (1934-1991) administrateur à l’INSEE et Michel Mendès France (1936-2018), mathématicien.

Pierre Mendès France décède d’un cancer le 18 octobre 1982 et ses cendres seront dispersées dans sa propriété à Louviers (Eure).

Jacques Chirac émet l’idée, le 31 octobre 2012, de faire rentrer France Mendès France au Panthéon. Sous quelle forme ? Avec une simple inscription, comme cela a été le cas, au Panthéon au Portugal, en 2021, pour Aristides Sousa Mendes? L’idée n’a pas encore été concrétisée. Pierre Mendès France, en demandant d’être exhumé, ne voulait-il pas rendre sa panthéonisation comme impossible ?

Après avoir occupé 5 lieux différents sur Lille, le Consulat portugais de la ville ferme définitivement le 13 janvier 2012. Ironie du sort, le dernier lieu était situé Place Pierre Mendès France.

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(1) Désigne le droit que l’on peut déduire de l’étude du Talmud, en appliquant les raisonnements utilisés par les Sages, pour tirer des lois du texte de la Torah.

(2) Le calendrier Julien régi le temps jusqu’au 15 octobre 1582, depuis nous avons à faire au calendrier grégorien. Il n’y a qu’un décalage de quelques jours entre les deux calendriers.

(3) Contrairement à ce qu’on entend dire fréquemment, les noms de famille portugais d’origine animal (Raposo, Lobo, Cabrita…) ou végétal (Silveira, Silva, Pereira, Macieira…) n’ont pas apparu et ne viennent pas du moment où les juifs convertis ont dû changer de nom. Ce type de noms existait déjà, les nouveaux-chrétiens devant changer de nom, prennent des noms d’anciens-chrétiens que s’appelaient déjà Carvalho, Silva, Raposo, etc.

(4) https://lusojornal.com/os-10-nomes-de-familia-mais-utilizados-em-portugal/

(5) Personnage du livre d’Esther, le modèle de juif pieux

(6) Que de la part d’un des grands-parents?

(7) Apparaissent dans la famille le prénom francisé : Jean, ainsi que le nom de famille qui passe de França à France. Notons aussi que le surnom du père devient un nom chez le fils : Mardouchée.