Les Portugais de France au début de la II Guerre mondiale : l’exemple des dénaturalisés

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Pendant la II Guerre mondiale, 71 Français, ex-portugais, ont perdu la nationalité française.

En 1920, il y aurait en France 20 mille Portugais. Au recensement de 1931 il y avait 49 mille et en 1936 le nombre de Portugais était descendu à 28.290. La réduction importante entre 1931 et 1940 serait due au retour volontaire au Portugal, aux décès, aux expulsions et aux naturalisations. Combien seraient les Français naturalisés d’origine portugaise ?

Le traitement statistique de la perte de nationalité française par les ex-Portugais pendant la II Guerre mondiale, permet d’avoir une certaine vision de l’immigration portugaise en France juste avant le conflit mondial. C’est une vision très, très partielle, qu’il conviendrait de rapprocher d’autres données statistiques sur le thème.

Notre recherche sur la perte de nationalité française par d’ex-portugais s’est faite à partir du lieu de naissance au Portugal, hors des enfants nés en France de portugais e naturalisés français dès lors que les parents perdaient la nationalité, eux-mêmes, même si nés en France perdrait-ils la nationalité ? La question se pose, toutefois ce nombre ne nous paraît pas très significatif, nous expliquerons pourquoi plus loin.

Avant de décrire le cas des 71 Français d’origine portugaise qui ont perdu la nationalité portugaise, posons-nous la question : Pourquoi risque-t-on la perte de la nationalité française pendant la II Guerre mondiale ?

La loi du 22 juillet 1940 ou Loi portant révision des naturalisations obtenues depuis 1927, est une ancienne Loi française promulguée par le régime de Vichy afin d’examiner et, le cas échéant, de déchoir de leur nationalité toute personne naturalisée depuis la Loi du 10 août 1927, réformant le régime du droit de la nationalité, fortement contesté dès l’époque par l’Extrême droite française.

En 1936, il y avait en France environ 2,2 millions d’étrangers, dont 721.000 Italiens, 423.000 Polonais, 254.000 Espagnols et 195.000 Belges. Par la suite, ces données se sont quelque peu modifiées : entre 1936 et 1940, en effet, l’afflux de réfugiés venus d’Allemagne et d’Europe centrale s’est poursuivi, tandis qu’en sens inverse, la crise économique, les mesures restrictives, puis l’approche de la Guerre, poussaient au départ beaucoup de travailleurs

Sur les 195.000 dossiers étudiés entre 1940 et 1943, 15.154 personnes (soit 7,7%) ont été déchues de leur nationalité au titre de la disposition principale de la Loi, deviennent apatrides, dont environ 6.000 Juifs (39,6% des dénaturalisés) selon l’historien Robert Paxton.

Un travail colossal, chaque dossier ayant une moyenne de 30 pages, nous avons repéré un dossier d’un dénaturalisé d’origine portugaise qui contient 100 pages! Ce fichier a été produit par le bureau du Sceau, officiellement chargé du Secrétariat des commissions de révision (qui étaient quant à elles rattachées au Secrétariat général du Gouvernement).

Le bureau du Sceau devait aussi mettre à la disposition de la Commission cinq magistrats et une vingtaine de commis ou dactylographes.

Entre août 1927 et décembre 1940 il y aurait eu 485.000 naturalisations, la perte de nationalité (les 15.154) représente 3,1% de ces naturalisés.

Selon travail effectué par Bernard Laguerre qui a pour titre : “Les dénaturalisés de Vichy, 1940-1944”, 4.209 Portugais auraient acquis la nationalité entre août 1927 et décembre 1940, soit 0,9% des naturalisés de la période, pour 95 dénaturalisés (nous n’avons repéré que 71) d’origine portugaise pour la période 1940-1944, soit 0,6% du total des dénaturalisés, 29,5% étant Italiens et 19,6% Polonais.

Les Portugais naturalisés / dénaturalisés représentent 2,2% des naturalisés français d’origine portugaise. Ce chiffre monte à 19% chez les Romains et à 10,2% chez les Grecs.

Si on considère qu’en 1940 il y avait 28 mille Portugais en France, auxquels nous ajoutons les 4.209 Portugais qui ont acquis la nationalité française, on peut dire qu’au début de la II Guerre mondiale, les Portugais devenus français représentaient 13% du total des Portugais ou d’origine qui vivaient en France à cette date, de ce même pourcentage serait de 18% pour l’ensemble de la population immigrée, avec un pourcentage plus important que la moyenne chez les Polonais, les Italiens et les Espagnols.

La perte de la nationalité française engendre la perte d’un ensemble de droits, l’exclusion de la communauté politique mais également, pour certains, la perte d’un emploi.

Selon Claire Zalc, qui a écrit le livre intitulé “Dénaturalisés” : “La politique de dénaturalisation apparaît comme l’un des moyens de définir les contours du ‘bon’ citoyen et d’exclure les opposants. L’étude des critères mobilisés, dès septembre 1940, pour désigner les victimes de cette politique confirme l’hypothèse selon laquelle les Juifs en sont les premières cibles même si pas un mot dans la loi ne les désigne comme tels. Pourtant, elles ne s’y réduisent pas. Selon les cas, les lieux voire même les individus chargés de mener la politique, la figure de l’ennemi se pare de différents attributs : juifs, ‘déviants sexuels’, ennemis politiques… Les critères de mise à l’écart de la communauté nationale qui émergent, en pratique sont multiples, et instituent les dénaturalisations comme l’un des terrains privilégiés d’expérimentation de la Révolution nationale”.

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Revenons au cas de 71 naturalisés/dénaturalisés d’origine portugaise entre 1940 et 1944.

51 personnes ont obtenu la nationalité française par décret, 17 par décret collectif (éventuellement père, mère, enfants), une personne par mariage, et pour deux d’entre eux, on n’a pas pu déterminer le motif.

Les années de naturalisation des 71 dénaturalisés : 1 le fut en 1928, 3 en 1929, 2 en 1931, 7 en 1932, 11 en 1933, 5 en 1934, 4 en 1935, 5 en 1936, 1 en 1937, 3 en 1938, 14 en 1939 et 8 en 1940.

Année de perte de la nationalité française : 27 l’ont perdue en 1941, 20 en 1942, 21 en 1943 et 3 en 1944.

La grosse majorité était des hommes : 57 hommes et 14 femmes. Est-ce le reflet de la composition familiale de l’immigration portugaise de l’époque ?

Parmi les couples franco-portugais qui se sont créés à la suite de la I Guerre mondiale, beaucoup d’ex-soldats du CEP ont pris la nationalité française, une des raisons était que son épouse française perdait sa nationalité pour devenir portugaise. Qu’arrivait-il avec l’épouse dans les couples franco-portugais dont l’époux perdait la nationalité portugaise ? Gardait-elle la nationalité française ? Notons, par ailleurs, qu’en perdant la nationalité, l’ex-portugais devenu français perdant cette dernière devient apatride.

En tout état de cause, les mariages franco-portugais éteint plutôt entre un homme portugais et une femme française, que le contraire. Dans la liste des 14 femmes qui ont perdu la nationalité française, une seule avait acquis précédemment la nationalité française par mariage : Elvira Rosa Moura, épouse Pérot, née à Porto le 9 juillet 1950.

Au niveau de l’âge des 71 dénaturalisés, l’âge extrême va de 8 ans à 66 ans : 11 étaient âgés de 8 à 20 ans, 7 de 21 (âge de la majorité) à 30 ans, 16 de 31 à 40 ans, 28 de 41 à 49 ans, 6 de 50 à 59 ans et 3 de 60 à 66 ans. Notons que les 11 enfants qui ont perdu la nationalité française sont nés au Portugal. Combien d’enfants nés en France ont-ils perdu la nationalité française ? Peu, probablement. On remarque que c’est essentiellement des personnes actives qui ont perdu la nationalité : 62% avaient entre 31 et 49 ans.

Distribution géographique en France des 71 : 28 départements sont concernés, toutefois avec absence des départements de l’Ouest (Bretagne, Pays de Loire) et proches de la frontière de l’Est (Allemagne, Suisse, Italie).

Le département avec le plus de dénaturalisations est la Somme, la question familiale y est pour quelque chose : des 10 personnes dénaturalisées, 4 sont originaires de Macieira de Maia et 3 de Vila Nova de Famalicão. Les départements qui suivent sont les Hauts-Pyrénées avec 6, le Tarn et Garonne, l’Aube Nièvre avec 4. Avec 3 dénaturalisés nous avons les départements de Paris, Seine Saint Denis, Marne, Seine et Marne et Gironde. Avec deux, la Meuse, Pas-de-Calais, Meurthe, Moselle, Essonne et Loire.

Avec une dénaturalisation, nous trouvons 13 départements : Calvados, Hauts-de-Seine, Île-de-France, Haute-Marne, Yonne, Cher, Haute-Vienne, Cantal, Gard, Haute Garonne, Hérault, Bouches-du-Rhône, Alpes-Maritimes. Un habitait le Portugal et on ne connaissait pas le département de résidence de 4 personnes.

Notons le fait qu’un certain nombre de soldats du Corpo Expedicionário Português (CEP) qui sont restés en France ont acquis la nationalité française et que dans le Nord-Pas-de-Calais seulement 2 personnes ont perdu la nationalité française : José Cardoso Pinheiro et son épouse Silvina Ribeiro, nés à Lomba, dont le mari semble ne pas avoir fait partie du CEP.

Distribution géographique d’origine au Portugal : 15 districts ont au moins un dénaturalisés : 27 viennent de Porto, 8 de Guarda, 7 de Braga, 4 de Viana do Castelo et Vila Real, 3 de Faro et Leiria, 2 de Aveiro et Guimarães et finalement 1 de Coimbra, Portalegre, Viseu, Castelo Branco et Lisboa.

Notons que 38 personnes sont originaires des ‘distritos’ au nord du Douro, soit 69% des pertes de nationalités françaises, alors que cette région au nord du Douro représente 19,9% de la superficie du Portugal et 25,8% de la population du pays. Les originaires du sud du fleuve Tejo, nous n’avons que 4 personnes.

Claire Zalc nous dit : “À partir de mars 1941, il devient possible de contester les décrets de retrait de la nationalité : il convient de former une requête écrite, adressée au Ministère de la Justice et examinée par un rapporteur de la Commission de révision des naturalisations. Au sein de ces suppliques, les dénaturalisés développent des argumentaires qui dessinent également ce que recouvre, à hauteur d’hommes et de femmes, la perte de la nationalité française. Une véritable grammaire de la francité s’y développe, dont les registres sont passionnants à étudier. Les lettres sollicitent les registres sémantiques de la moralité (honneur, dignité, fierté, mérite, honnêteté), de la justice (‘haut esprit de justice’, ‘équité’, ‘mesure que rien ne justifie’) mais également de la violence subie lors du retrait (cruauté, désespoir, atteintes, condamner). En creux, les qualités présumées du ‘bon Français’ sont dessinées : ‘père de famille, bon citoyen et bon soldat’. Le désintérêt de la politique est clamé à de nombreuses reprises, illustrant comment les dénaturalisés ont intériorisé les risques auxquels les exposent tout acte militant. Précisons que ces recours se heurtent, dans plus de 93% des cas, à des fins de non-recevoir”.

Parmi les 71 dénaturalisés d’origine portugaise, 13 ont contesté le retrait de la nationalité, un seul a eu gain de cause : Eugénio Verde, né à Lisboa le 11 août 1893, familier du poète César Verde.

Si l’on privilégie une analyse d’un point de vue législatif, l’histoire des dénaturalisations prend fin le 24 mai 1944. Tous les décrets de retrait de nationalité pris par Vichy sont annulés. Si les dénaturalisés avaient été convoqués pour être notifiés, des décrets de retrait de nationalité et remettre leurs papiers d’identité aux autorités, on ne leur notifie pas systématiquement, en retour, le fait qu’ils sont redevenus français. De nombreuses cartes d’identité restent ainsi échouées dans les dossiers d’archives, jamais récupérées par leurs propriétaires, oubliés, morts ou disparus.

Régulariser les dénaturalisés n’a pas été chose simple après la fin de la Guerre. Plusieurs lois et débats au sein de la population ont rendu le problème complexe.

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