L’extraordinaire film du 1er débarquement du Corpo Expedicionário Português (CEP) à Brest


Le 2 février 1917 restera comme un jour historique de la participation du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) à la I Guerre mondiale. À cette date, accoste, bien loin du front qui leur était attribué par les anglais, le premier bateau de soldats du CEP, le paquebot «City of Bénarès».

Dans la publication : “Memória abrantina da Grande Guerra” de António Alpalhão, aux editions Chiado Books, nous apprenons les circonstances du premier voyage du convoi : “il était composé de 4 bateaux; le City Bénarès, le Bellerophon, Bohemia et Inventor, escortés par des destroyers britanniques, auxquels se sont joints, de la Marinha portugaise, “le croiseur Pedro Nunes, un autre croiseur et 2 destroyers”.

À leurs bord 6.357 hommes (209 officiers, 88 sergents et 6.080 soldats), 457 solipèdes (chevaux et mules), 140 voitures hippomobiles et 60 véhicules motorisés.

Faisaient partie du convoi : les Régiments d’infanterie n° 7, 15, 21, 22 et 34, un escadron de cavalerie, le 1er groupe de batterie d’artillerie, l’ambulance n°1, une colonne de transport de blessés et une partie du train automobile.

Cette première flotte, après dix jours en face de Cascais, prend le large le 30 janvier. Ça restera le pire des voyages du CEP, 3 jours de mer déchaînée jusqu’à l’arrivée à Brest, le 2 février.

Les navires portugais n’ont pas conclu le voyage. Pedro Nunes est revenu à Lisboa, et les autres sont rentrés à Leixões. Deux des destroyers britanniques, en panne, ont été déviés vers Davenport.

Le plus remarquable : dans l’histoire, pour l’histoire, l’histoire que nous allons raconter est tirée d’un film vidéo, évidemment muet, de 17 minutes et 16 secondes (voir ICI). Oui, vous avez bien lu, plus de 17 minutes… un film, reportage extraordinaire pour l’époque. Un film témoignage, plein d’enseignements, exemple d’une organisation, un avant-goût d’une difficulté majeure, le climat auquel ils n’étaient ni habitués ni préparés, que membres du CEP auront à affronter en terre ferme!

À voir les images, les sourires, même ceux de Gomes da Costa (pour la caméra?), les soldats et le commandement sont-ils conscients de ce qui les attend?

Le film permet de dévoiler des visages inconnus, mais aussi connus, grâce à l’acharnement de passionnés, tels que José Carlos Durão et Sérgio Durão (voir ICI et ICI), d’une précieuse aide pour le présent article.

Le film fait partie de établissement Cinématographique et Photographique des Armées. Un patrimoine gigantesque, avec 380 mille photos et 2.000 heures de films, classés par période : I Guerre, II Guerre, Indochine, Algérie… Le cameramen des images sur l’arrivée et débarquement des soldats portugais à Brest s’appelle René Meunier, accompagné par le photographe Albert Samama-Chikli.

Les prises de vues sont réalisées à partir de plusieurs endroits du quai et sur le bateau… Le bateau arrive, il est remorqué, des ouvriers s’affairent dans le quai pour l’amarrage.

Des images témoignent de comment sont habillés les soldats et officiers. On voit du matériel qui est déchargé, il y a des soldats partout, une occupation des ponts bien chargée par des hommes qui doivent se demander ce qu’ils viennent faire dans ces contrées inconnues. Le drapeau à l’avant confirme que le bateau est bien anglais. Les officiers filmés sont plutôt moustachus, les jeunes soldats n’arborent pas encore de moustache ou très peu… signe d’une fin d’adolescence encore toute récente?

Des soldats quittent le “City of Bénarès” par une passerelle en forte pente et très glissante, à 14 minutes et 15 secondes du film, on distingue très bien la neige qui tombe, un aperçu d’une des difficultés que ses valeureux soldats vont rencontrer en terres de Flandres. Sur la tête des soldats un béret ou une cagoule, style de Madeira. Sur le quai, on distribue à manger dans des gamelles carrés, ça fume, une fanfare part au rythme de marche, la population de Brest regarde les soldats défiler, sur fond d’écran, un train… pour transporter du matériel? Des soldats alignés proches du bateau, reçoivent ordre… ça y est, c’est parti… pour quelle destination? Dans un premier temps, la Gare de Brest. On voit passer une fanfare de fusiliers-marins français qui défilent… Beaucoup de soldats partent avec une couverture entourée au dos… malgré les soldats déjà débarqués, des images montrent le bateau aussi rempli de soldats… les cales qui se vident? Des soldats sur le bateau saluent avec leurs bérets la population sur le quai.

Le film se termine par des soldats qui montrent leur grande gamelle… destinée à recevoir le manger ou pour se laver?

On reconnaît dans le film plusieurs personnalités, officiers notoires, à commencer par le Lieutenant-Colonel Gomes da Costa, responsable de la deuxième division d’infanterie, futur Président de la République. On le voit dans le film à la 50ème seconde, et à une minute et 7 secondes.

Nous nous intéresserons à d’autres officiers : José Maria da Veiga Cabral Beleza dos Santos, à João António Vasconcelos et à Adriano Augusto Trigo.

Le Capitaine Beleza Santos apparaît dans le film dès la 6ème seconde, puis à la 30” (juste derrière le commandant du navire), 9’ 20” et 9’ 50”.

Le voyage du Capitaine Beleza a été d’une durée, comme pour la majorité des autres membres du bateau, de 14 jours. Parti en train, il rejoint Thérouanne. Il séjournera dans le village 35 jours en compagnie de son bataillon, les soldats reçoivent des instructions avant de rejoindre front. Beleza dos Santos faisait partie de Artilharia n°2, 4° Batalhão.

La presse de l’époque le montre en photo. Les faits, sont décrits dans sa fiche militaire : il a été honoré le 13 juillet 1917 par le Commandant de la 1ère Division du CEP, le Capitaine ayant démontré sérénité au commandement de sa batterie dans la nuit du 7 au 8 juillet, alors que leurs abris étaient intensément bombardés et touchés à plusieurs reprises.

Dans la revue “Portugal na Guerra” n°6 de novembre 1917, page 9, nous voyons une photo dans laquelle le Capitaine est décoré de la Croix de Guerre, des mains du Chef d’État portugais, Bernardino Machado, en visite aux troupes portugaises le 11 octobre. Le Capitaine Beleza apparaît aussi dans une photo de la revue «Illustração Portugueza» n°598 du 5 août 1917, pour les mes faits.

Il est à nouveau honoré le 27 juin 1918, pour son action du 9 avril 1918, lors de la Bataille de La Lys. Un jour d’intense activité pour le Capitaine Beleza au sein de sa batterie, batterie qui était, à ce moment là, en appui. Le Capitaine a pris l’initiative de faire feu, à un moment déterminant,  sans qu’il ai reçu d’ordre supérieur, une initiative de protection qui a permis aussi le retrait de pièces d’artillerie vers l’arrière.

Le Capitaine Beleza dos Santos n’était pas à ses premiers actes de bravoure lors de la I Guerre mondiale. Nous apprenons par le Diário da República n°235 du 7 octobre 1912 qu’il a été honoré. On y lit: “le Lieutenant du régiment d’artillerie n°4, José Maria da Veiga Cabral Beleza dos Santos, a été remercié pour ses actes de : dévouement, d’énergie, d’intelligence et le courage avec lesquels il a marché de Sapião jusqu’à Chaves, pour l’aide apporté à cette ville et pour le fait d’être rapidement entré en combat, démoralisant complètement les troupes rebelles”.

La République portugaise proclamée le 5 octobre 1910 vivait, et subissait, ici et là, des révoltes de la part de monarchiques : Beleza dos Santos a eu une action déterminante le 8 juillet 1912 à Chaves, lors d’une action militaire contre la République déclenchée par Henrique Paiva Couceiro. Ce dernier avait été discrètement appuyé par le roi d’Espagne, Afonso XIII.

Tous ces évènements auront une influence sur l’état de santé et moral du Capitaine. Un état de santé qui nous est décrit dans la «Revista de Artilharia» numéros 21 et 22 mars et avril 1927, par le major d’artillerie E. da Costa Ferreira. Un vibrant hommage est rendu par ce dernier à son ami, prématurément décédé.

E. da Costa Ferreira et Beleza Santos ont fait leurs classes ensemble dans l’Escola do Exército. En 1916, Beleza Santos se rend à Lisboa pour effectuer une formation, il profitera pour se soigner de problèmes mentaux… la dépression l’accapare. Beleza est appelé au combat, les soldats qu’il va commander le connaissent peu, car récemment nommé. E. da Costa Ferreira, déjà sur le terrain en Flandres, accompagnera Beleza et les siens à travers des villages tels que Moulin-de-Conte et Mametz.

Fini l’instruction, Beleza et les siens seront le 2ème Bataillon à se positionner sur le front. Il occupe successivement des positions à Ferme-du-Bois, Festubert, La Couture, Richebourg, Croix-Barbée. L’action de sa batterie sera louée par le Major anglais Rickards, plusieurs soldats seront décorés de la Cruz de Guerra, en même temps que Beleza.

La guerre terminée, la santé de Beleza Santos s’aggrava. E. da Costa Ferreira voit arriver son ami Beleza à Vendas Novas (Alentejo) dans le cadre d’un stage. Beleza demande à E. da Costa : «Qui es tu ? D’où je te connais ?»

De retour à son unité, Beleza s’arrête (ou on l’arrête) à Porto. Il est conduit à un hôpital psychiatrique. Il viendra à y décéder, laissant son épouse avec plusieurs enfants à charge.

Adriano Augusto Trigo, apparaît dans le film à 10’ 42’’, sa physionomie ronde impose le respect. Il avait le grade de Colonel au moment de l’embarquement à Lisboa, il faisait partie de la 1ère Division, 1er Bataillon, il commandait le 2ème Régiment.

Marié à Adelaide Virginia dos Santos Trigo, il était fils d’António Manuel Trigo et de Carolina Rosa Trigo, né à Moncorvo, mais habitant à Funchal (Madère) au moment de l’embarquement.

Il n’est pas resté longtemps en France, débarquant à Lisboa le 4 mai 1917, cessant ses fonctions de commandement le 20 avril, en vertu de télégramme reçu le 18, qui lui demandait de se présenter à Lisboa dans le Cabinet du Secrétariat de la guerre.

En date du 21 juin 1917, un courrier venu du Secrétariat d’infanterie 22 indique que le Colonel, qui devait se présenter par décision du 14 juin, n’était toujours pas comparu dans le dit Régiment.

Adriano Augusto Trigo, un Colonel rebelle ? Dans les Arquivos Históricos Militares, une fiche indique qu’on lui a instauré un procès en date du 21 janvier 1921, pour crime de désobéissance par le Tribunal territorial militaire de Macau, y ayant été nommé en 1919 responsable des travaux publics. Adriano Augusto Trigo a notamment élaboré, dans cet ancien territoire portugais, un plan de récupération des eaux pluviales et souterraines. Le premier réservoir d’eau du territoire y est inauguré, dans la Colina da Guia, en 1924.

Installé à Funchal, Adriano Augusto Trigo, parfois en compagnie de son frère Anibal, lui aussi ingénieur, a eu un rôle important dans des aménagements de l’île avant de partir en guerre, à l’exemple de l’élaboration des plans de la ville de Funchal en 1894, de la route Agostinho d’Ornellas la même année, des travaux dans les Levadas Serra de São Jorge et Serra do Faial, inaugurés respectivement en 1904 et 1905. En 1905, nommé responsable des travaux publics, il élabore le projet des infrastructures du front de mer de Funchal. Avec son frère, il va jusqu’à élaborer un plan touristique de la capitale de l’île, Funchal.

João António Pestana de Vasconcelos Junior apparaît dans le film à la 46ème seconde. Avant d’embarquer vers la France, il était déjà marié à Maria Antónia Bracourt. João Vasconcelos est né à Porto, les parents étant João António Pestana Vasconcelos et Adelaide Sofia Matos Vasconcelos. Commandant de la 1ère Brigade d’infanterie de la 1ère Division, il changera de poste le 3 août 1918. Dans sa fiche militaire on constate que des problèmes de santé l’ont hospitalisé à plusieurs reprises, une demande a même été faite pour qu’il quitte les services du CEP. Il fait plusieurs aller-retours entre la France et le Portugal, il sera hospitalisé le 10 août 1918 à Hospital Militar de Lisboa pour une durée de plus de 30 jours.

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Nous avons fait ici référence à quelques militaires repérés sur le film de la SPCA.

Qui sait, peut-être des lecteurs y trouveront des images de familiers embarqués dans le 1er bateau du CEP arrivé à Brest.

Quelques informations sur le film: en janvier 1917, à Paris, la Section photographique et cinématographique de l’armée (SPCA) a connu une importante réorganisation de ses moyens. Désormais, l’Armée française dispose de son propre outil de captation et de diffusion des images prises au front par ses opérateurs. Un processus de rationalisation des moyens est engagé dans le but de concentrer dans les mains de l’autorité militaire l’ensemble des procédés de création et de diffusion des images.

Rebaptisé Section photographique et cinématographique de l’armée (SPCA), le service devient le propriétaire exclusif de ses épreuves de tournage et diffuse un hebdomadaire d’actualités intitulé “Les Annales de la guerre” sur l’ensemble du territoire national et à l’étranger.

L’auteur du film, de l’arrivé du 1er contingent portugais à Brest, René Meunier, est né en 1883, classe 1903, n° de matricule 2957, il était opérateur chez Gaumont avant de rejoindre la Section cinématographique de l’armée (SCA) puis le service photographique et cinématographique de la guerre (SPCG). On se demande si le film qu’il réalisa sur les troupes portugaises à Brest n’est pas son 1er film au service du SPCG, le film portant l’indication : tournage n°1 de René Meunier à Brest 1917.

Le photographe qui apparaît dans le film, à la 12ème minute et 54 secondes, Albert Samama-Chikli, réalise au même moment un reportage qui aura comme référence SP48.

Albert Samara-Chikili, après avoir été, en 1896, le premier à projeter, dans son pays, des images cinématographiques, restera dans l’histoire comme, étant également, le premier a réaliser un court métrage de fiction tunisien en 1922 : “Zohra”.

Voir le film ICI.