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L’hommage d’Aurore Deschamps-Ronsin à sa grand-mère Felícia da Assunção Pailleux

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Texte lu par Aurore Deschamps-Ronsin lors des obsèques de sa grand-mère Felícia da Assunção Pailleux, fille du soldat portugais João da Assunção, qui a participé à la I Guerre mondiale, intégré dans le Corps Expéditionnaire Portugais (CEP).
Felícia da Assunção Pailleux est décédée le 16 février et ses obsèques ont eu lieu à Burbure, dans les Hauts-de-France hier, lundi.

Un adage populaire dit que l’on juge de la valeur d’une personne à ses amis. Lorsque que je vous vois tous aujourd’hui, qui avez mis vos vies entre parenthèses pour lui rendre hommage, je prends encore plus la mesure de qui était Félicia.

Merci pour elle. Merci à ceux qui sont venus des environs et de plus loin, merci ceux venus de notre région, de Paris et au-delà, Merci aussi aux portes drapeaux, et merci aussi à tous ceux qui portent leurs médailles et leurs écharpes.

En vous voyant tous, je n’ai qu’un regret : celui que, contrairement à la reine d’Angleterre, ma grand-mère n’ait pas pu assister à la répétition de ses funérailles. Elle aurait été tellement contente de vous voir et de prendre la mesure de la pompe que nous lui offrons. J’imagine que si elle nous regarde en ce moment, elle doit afficher le sourire des grandes occasions. Pas le sourire poli, non, le sourire sincère de la petite dame touchée par l’honneur, le même que celui qu’elle arborait en 2018 lorsque le Président de la République Portugaise, Marcelo Rebelo de Sousa, lui remettant sa médaille.

Avant de poursuivre et de vous parler d’elle, je voudrais m’arrêter un instant, et rendre hommage à l’héroïsme de ma famille. Marie, Maurice, Cathy, Merci pour votre abnégation et votre dévouement, nuit et jour, à vous occuper d’elle. Le Général de Gaulle a qualifié la vieillesse de naufrage, dans le cas de ma grand-mère et lors de ces trois dernier mois, j’ai vu le Titanique. Ma famille, tout comme l’orchestre, a joué sa partition jusqu’au moment ultime et pour cela je, nous, leur sommes infiniment reconnaissants.

Ces derniers jours, nous vous avons vus, nous vous avons parlé, nous vous avons lus, et dans tous vos mots, une expression a été récurrente à propos de Félicia : une grande Dame ! C’est un paradoxe lorsque l’on fait moins d’un mètre cinquante ! Et pourtant c’est bien ce qu’elle était.

Son œuvre commencée en 1975, pour préserver la mémoire des soldats du CEP et de son père en premier lieu, a pris la forme d’une quasi-croisade qu’elle a menée avec acharnement dans un monde qui, souvent, en tout cas au début, ne la prenait pas au sérieux. Pensez donc ! Une femme ! Qui plus est peu instruite, qui se mêle des affaires des hommes, en osant s’afficher auprès des porte-drapeaux, des vétérans de la guerre, des vrais… Ne pouvait-elle pas retourner à sa cuisine et à son tricot, et laisser ceux qui connaissent faire les choses ? Oui, elle pouvait et d’ailleurs elle le faisait (ma grand-mère a exercé la profession de tricoteuse, et les gâteaux et crêpes qu’elle faisait par centaines étaient réputés à travers tout le canton), mais non, elle ne pouvait pas se mêler de ce qui ne la regardait pas, car en fait, ça la regardait. Et non plus, elle ne pouvait pas laisser son drapeau à un homme, car elle était légitime pour le porter. En effet, lors du décès de son père et conformément aux souhaits de ce dernier, qu’ainsi qu’avec l’accord évident de sa fratrie, il est apparu que Félicia serait porte-drapeau. Alors elle a fait ce qu’elle devait faire, ignorant les critiques, les doutes, les moqueries, voire les petites phrases assassines qui vous font comme des épines dans le cœur. A force de ténacité, elle a fini par s’imposer à coup de sourire et de paroles bienveillantes et est devenue la première femme porte-drapeau de France.

L’hommage que nous lui faisons aujourd’hui est légitime tout autant qu’il l’honore.

Par-delà sa fonction de porte-drapeau, elle œuvrait au quotidien pour transmettre la mémoire du Corps Expéditionnaire Portugais. Elle organisait des expositions, intervenait dans des écoles, participait à toutes sortes d’évènements d’envergure. Ainsi on a pu la voir dans tous les lieux de mémoire de la Région et au-delà. Elle est allée au Portugal à de multiples reprises, notamment à l’inauguration de l’exposition «Le Portugal dans les tranchées» ou de la restitution du drapeau de la Liga, en 2011, on l’a vu aussi à la commémoration du Centenaire de la Bataille de La Lys, à Paris, chaque années à l’Ambassade du Portugal en France pour la fête nationale portugaise, à l’Hôtel de ville de Paris en diverses occasions, au défilé du 14 juillet sur les Champs Élysées… À cette occasion, elle avait embarqué mon père, enfin c’est surtout lui qui conduisait ! – parce que ça aussi, c’était une chose spéciale, elle avait le don de nous embarquer dans ses aventures ! Hein Jean Claude ? Tu te souviens de votre équipée à l’Armada de Rouen pour aller voir le Belém ? Elle t’a même fait du café sur la route !

Nous embarquer dans ces aventure… ça oui, j’en suis la preuve ! Je suis le fier fruit du népotisme félicien. Grâce à elle, ma vie s’est progressivement colorée de rouge et de vert jusqu’à en devenir, tout comme elle avant moi, un mode de vie qui me nourrit et me construit. Depuis mon enfance, elle m’a emmené partout et j’ai reçu, moi aussi, quelques reconnaissances, j’en suis fière, mais je garde toujours à l’esprit que c’est grâce à elle et que mon plus beau titre est celui d’avoir été nommée Vice-Présidente de son association, parce que j’avais mon permis de conduire !

Accompagner ma grand-mère m’a formé et fait progressivement prendre conscience de la tâche à accomplir, de ce qui a été fait et surtout de tout ce qui reste à faire. Soit rassurée Mamy, la relève est là ! Il n’est pas question que ton travail s’achève, on a une équipe pour ça ! Nous, allons poursuivre tes engagements, vous n’avez pas fini de nous voir !

Dans les divers témoignages arrivés ces jours-ci, son parcours exemplaire a été mis en valeur, mais arrêtons-nous un instant sur ce parcours.

L’histoire de Félicia, c’est l’histoire d’une petite personne qui a vécu dans la classe moyenne et qui, par son caractère et ses engagements, à su trouver le moyen de vivre une vie libre où elle décidait pour elle-même.

Même si aujourd’hui ceci semble facile, quoique que…, mettons-nous un instant dans l’esprit du début du XXème siècle. Ce qu’elle a fait, elle l’a fait seule, à la simple force de sa détermination, elle l’a fait parce qu’elle s’est imposée et qu’elle l’a voulu. Ne voyez surtout pas ici d’engagement féministe ou de combat pour une quelconque reconnaissance de genre. Ma grand-mère a œuvré pour et par elle. En ce sens qu’il est possible d’exister en tant que femme et d’être légitime sans pour autant que ce soit un combat. La revendication n’est pas la seule voie. Par son caractère et ses objectifs, Félicia est un exemple de ce qui est possible, et qu’alors, être une femme ou un homme, n’est qu’un vêtement.

Le caractère ! Voilà quelque chose qui la définissait ! Vous la connaissiez tous comme la gentille petite dame souriante, qui faisait ses courses ou qui prenait part aux évènements. Mais, nous, nous connaissions une femme qui savait ce qu’elle voulait et faisait fi des avis à partir du moment où ils étaient contraires à ce qu’elle avait décidé.

Un jour, par exemple, elle a participé à ma place à un concours de rédaction organisé par les Cafés grand-mère, elle a même fait un dessin. Et le plus beau : elle a, enfin, j’ai gagné ! Il a fallu faire comme si j’avais écrit ! Je raconte aujourd’hui cette histoire car il y a prescription, mais s’il y a, parmi vous, des personnes qui pensent que ceci va contre la morale, je suis d’accord pour restituer les trois paquets de café que j’ai gagné !

Félicia nous a éduqué selon ses principes et nous invitait à les embrasser. L’importance de la cause était plus forte que l’objectif et le moyen de l’atteindre. Mais il fallait aussi être digne, respectable, généreux, être habillé avec soin, goût et originalité, et surtout être toujours bien coiffé. Il me semble qu’en cela son enseignement a été efficace.

La générosité est probablement l’élément non-public de sa personnalité le plus remarquable. Elle se rendait spontanément aux enterrements de Portugais pour porter le drapeau. Sa maison débordait de gens, grands et petits. Parmi vous, il y a sûrement des membres de la famille qui se souviennent de ces moments où elle protégeait ceux qui en avaient besoin et accueillait tous ceux qui voulaient bien entrer.

Un jour, sans réfléchir, elle s’est précipitée au secours d’un petit garçon qui allait être écrasé par une charrette, oubliant qu’elle mettait sa propre vie en danger. Dans sa maison, il y avait de la place pour tout le monde et des crêpes quelle faisait par centaines. Rappelez-vous : pour une marmite de pâte, il faut 50 œufs et la moitié en litres de lait. Et ensuite on cuit en continu !

Nous, les enfants et petits-enfants, avons été très gâtés et choyés. Elle était la championne des costumes de carnaval. Ils n’étaient pas de simples déguisements, ils étaient une mission et s’il ne lui était pas possible de les faire, elle convoquait des professionnels. Une règle en la matière : trop, ce n’est jamais assez.

Un jour où elle devait participer aux Lillériades en tant que reine Isabel de Portugal, elle est allée jusqu’à envoyer un courrier en recommandé à Buckingham Palace pour demander à la reine d’Angleterre de bien vouloir lui donner un diadème dont elle n’avait plus l’usage. Ne pas recevoir de réponse l’avait alors fort déçue. Nul doute que si elle la rencontre au paradis, Félicia fera part à sa très gracieuse Majesté de sa désapprobation. Ceux qui ont eu affaire à ses coups de gueule, peuvent aisément imaginer la situation…

Vous savez, ma Mamie, elle était plus que tout ce que je viens de dire. Elle était championne de natation sénior dans les années 80, après avoir appris à nager à 50 ans, virtuose du ramonage de marché, spécialiste des messages improbables sur répondeur, championne de yoyo, conférencière, mère, sœur, épouse, as du crochet, coiffeuse, camera-woman, couturière, anticonformiste, reine du Portugal, dévoreuse de bruits de couloirs, amatrice de Porto, nounou de ses petits et arrières-petits-enfants, «rouleuse» comme disait mon grand-père et spécialiste de la mayonnaise béton et du resaccage…

Elle adorait ses filles, ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants. Le dimanche il y avait toujours de la tarte, du paic citron et du Porto à 19h00. Elle avait de la lumière en elle. Je compte sur chacun d’entre vous pour recevoir un peu de cette lumière, l’emporter et la diffuser. En la faisant vivre, vous lui ferez le plus beau des cadeaux. Dans sa personnalité, il y avait la tendresse de ceux pour qui la vie est une évidence et une joie.

Sa vie pourrait se résumer à cette phrase de Fernando Pessoa : «Trabalhar com nobreza, esperar com sinceridade, sentir as pessoas com ternura (esta é a verdadeira filosofia)». Travailler avec noblesse, espérer avec sincérité, aimer les hommes avec tendresse (voilà la vraie philosophie).

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