Lille: José Cruz à cœur ouvert

Le samedi 24 janvier, au Théâtre de la Comédie de Lille, José Cruz a posé une brique, un parpaing, de plus dans son spectacle «En construction».

Nous avons ri de tout ce qu’il nous a raconté, nous avons ri de nous-mêmes. Nous avons fait partie de son chantier, les spectateurs ont fait partie du chantier.

José Cruz, proche de son public, se sert de sa réaction, le provoque, le public comme que… le ciment de son one-man-show «En construction».

LusoJornal a voulu savoir un peu plus sur José Cruz, sur son art, sur son spectacle.

 

Comment on se sent après un spectacle tel que celui-ci de Lille? Complètement vidé, content, fatigué?

Oui, on est fatigué mais content à la fois, car le public a bien réagi, a bien rigolé, a bien applaudi. La fatigue… on verra tout à l’heure quand l’adrénaline sera tombée.

 

Par précaution avez-vous breveté «la Trottinette portugaise»? Il paraît que vous avez trouvé une dans le Nord?

Oui, pour «la Trottinette» en tant que sketch, il est déposé. Le sketch a été déposé à la SACEM en tant que vidéo. Je ne m’attendais pas à débarquer ici et à en voir une. C’était juste incroyable, je les ai remercié pendant le spectacle pour le très bon accueil: David Ribeiro, Bruno Cavaco, entre autres. C’est la première fois que je vais jouer quelque part et que les gens me font cette surprise. Le sketch de la «trottinette» a été vu des millions et des millions de fois et arriver quelque part, aller jouer dans un théâtre et les gens, pour m’accueillir, me font une réplique de ma trottinette… c’est juste magique, j’en revenais pas. Ça confirme que les gens du Nord savent recevoir.

 

Pourquoi le spectacle que vous venez de présenter, vous l’avez intitulé «En construction»?

Mon premier spectacle «Olá», que j’ai joué pendant huit ans, en tout, il a eu quatre versions. Chaque version durait un an, un an et demi. Quand je me suis lancé dans le one-man-show, je ne pensais pas qu’après 4 ans, le même spectacle pourrait faire trois heures. Toutefois il fallait le présenter en une heure, une heure trente, même si une fois je l’ai joué en deux heures. J’ai compris à ce moment-là, que le one-man-show c’est très spécial. Il est tout le temps en écriture, tout le temps en construction, tout le temps en adaptation par rapport à tout ce qui se passe dans la vie de tous les jours, ça correspondait à des étapes de mon existence que j’étais en train de vivre. J’avais des rêves, si on arrête d’avoir des rêves on s’arrête de construire, si on ne construit plus à un moment, tout s’écroule, tout vieillit. J’ai voulu faire le spectacle «En construction» par rapport à mes origines portugaises, pour être dans l’autodérision. Mon père était dans le bâtiment et moi, une de mes premières payes, ça a été dans le bâtiment, engagé par mes cousins, j’avais 16 ans. «En construction» pourquoi? Parce que dans la vie, on est toujours en construction, rien n’est figé. Avec mon spectacle c’est pareil, il est toujours en construction, chaque soir que je le présente, il est différent, en fonction du public et de sa réaction. Avant de rentrer sur scène, derrière le rideau, je suis nerveux, c’est comme si c’était, à chaque fois la première fois. On se demande si cela va marcher… on ne sait pas… c’est pour cela qu’on est toujours en construction.

 

Comment êtes-vous devenu humoriste? Naît-on humoriste ou le devient-on?

Je pense que c’est les deux à la fois. Je déconnais beaucoup, quand j’étais en famille. Mais ça, je pense, c’est commun à beaucoup de gens. Il y a une différence entre déconner, faire rire en famille, avec les amis et le moment où il faut dépasser le cap pour aller sur scène. J’étais humoriste avant, avec la famille, mais je suis devenu professionnel à la suite de ma formation de théâtre que j’ai fait pendant trois ans, par des stages en Angleterre, mon séjour à New York avec ma découverte de Broadway. Tout cela m’a fait apprendre le métier de faire rire.

 

Quand vous avez dit à votre famille, «je veux devenir humoriste», comment a-t-elle réagi?

Ça a commencé quand je leur ai dit que je voulais devenir comédien. À l’époque, je prenais déjà des cours de théâtre en cachette en banlieue. Quand j’ai pensé avoir un niveau correct, je me suis présenté à des concours à Paris, dans des grandes écoles de théâtre. Et là, j’ai été pris. À cette époque, je faisais un BTS en alternance, une semaine en entreprise et une semaine à l’école, je gagnais de l’argent. La formation dans les grandes écoles c’est très cher, ça durait trois ans, c’était dans le privé. J’ai voulu avoir assez d’argent pour ne pas demander à mes parents, j’ai voulu payer ma formation tout seul. J’ai passé le concours en juin 1997. L’école m’a téléphoné pour me dire «José tu es pris», tu vas faire trois ans avec nous. Dans l’après-midi j’ai démissionné de mon poste, j’étais déjà plus loin que le BTS, j’étais en DPECF, bac+4. Mon patron ne comprenait rien. Il me demande «pourquoi tu démissionnes, c’est pourquoi faire?» Je réponds «pour faire du théâtre». Il me répond, texto: «mais tu es con!». Le soir j’arrive pour dîner avec mes parents, je gare ma voiture, j’étais encore en costard-cravate et je dis à mes parents «ça y est, c’est fini, j’ai démissionné, je vais faire du théâtre». A l’époque, ils n’ont pas bien pris et compris ma décision. Pendant six mois, ça a été la galère. Quelques temps après, ils sont venus me voir, ils ont compris que c’était ma passion. Depuis, ça va très bien et ils m’encouragent, ils me soutiennent.

 

Les humoristes sont parfois ceux qui savent nous faire pleurer, c’est ceux qui savent également parler de choses sérieuses. Comment vous est venue l’idée du sketch sur la «saudade»?

L’idée de ce sketch, est venue à la suite de ma tournée du mois d’août de l’année passée, au Portugal. Pour nous, comédiens, humoristes, il est important de savoir faire rire, mais également de savoir toucher au plus profond des gens, au plus profond de nous. Saudade c’est mon ressenti, c’est le ressenti de bien plus d’autres que moi, c’est pour cela qu’il touche.

 

Selon vous, peut-on faire de l’humour sur tout?

Desproges disait: «on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde et pas avec n’importe qui». C’est vrai, malheureusement. Le rire c’est ce qui permet de faire évoluer et goupiller plein de choses. On peut même rire de la maladie, mal qui souvent nous touche, nous entoure. Le rire permet de parler de la guerre, le rire nous permet de porter une critique sur le monde et de nous faire, parfois, sortir de sa noirceur. Le rire a toujours été cela. Le théâtre est né dans les années 1.000 à 1.500 avant Jésus-Christ et déjà à l’époque c’était pour traiter des sujets de société. À l’époque, il y avait déjà des auteurs qui se faisaient tabasser parce qu’ils abordaient certains sujets, c’était presque toujours trop tôt. Il faut attendre, pour pouvoir rire de tout, j’espère qu’un jour ce moment arrivera. L’idéal serait de pouvoir rire de tout et surtout de pouvoir rire de nous-même, il est important de ne jamais oublier l’autodérision. Autodérision, c’est ce qui permet qu’on ne se tienne pas toujours au sérieux.

 

Il y a une phrase qui dit «faites l’amour et pas la guerre». Est-ce qu’on ne pourrait pas la remplacer ou la compléter par «faites l’humour par la guerre»?

Ce serait génial! Plutôt que de se battre pour de vrai, il faudrait se battent sur un ring avec des blagues, ça serait pas mal. Malheureusement ce n’est pas possible. Si tout le monde acceptait les blagues, l’autodérision et qu’on prenait les choses un peu plus cool, plus sereinement, il y aurait certainement moins de bagarres, moins de guerres… On peut toujours rêver… c’est le but du spectacle… faire rêver… de nous faire croire dans nos rêves.

 

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