LusoJornal / Dominique Stoenesco

Ouverture de la 5ème édition du Printemps Littéraire Brésilien à Paris

La cérémonie d’ouverture de la 5ème édition du Printemps Littéraire Brésilien, dont la cheville ouvrière est Leonardo Tonus, Maître de Conférences et responsable du Département d’Études Lusophones à l’Université de la Sorbonne Paris IV, a eu lieu le 14 mars à la Bibliothèque de la Fondation Calouste Gulbenkian, à Paris, en présence de Pedro Saldanha, Ministre-Conseiller chargé des affaires culturelles de l’Ambassade du Brésil et João Pinharanda, Conseiller Culturel de l’Ambassade du Portugal et Directeur de l’Institut Camões en France.

Entre le 14 mars et le 10 mai, plus de 50 romanciers, poètes, illustrateurs et essayistes brésiliens et portugais participeront à cette manifestation littéraire qui se tiendra dans quatre pays européens (en France, en Belgique, au Luxembourg et en Allemagne) et pour la première fois aux Etats Unis.

Des débats, des lectures, des rencontres poétiques, des ateliers d’écriture et des lancements de livres sont prévus dans des espaces institutionnels, des centres culturels, et des librairies mais aussi dans de nombreuses universités, des lycées et des écoles primaires.

Dans son discours d’accueil, Miguel Magalhães, Directeur de la Fondation Calouste Gulbenkian à Paris, a rappelé la place importante qu’occupe la Bibliothèque Gulbenkian dans la diffusion de la langue, de la littérature et des cultures lusophones, à travers ses fonds, ses ressources documentaires, ses expositions et, depuis deux ans, le Prix Gulbenkian-Books, qui récompense la meilleure traduction en langue française d’une œuvre écrite en langue portugaise.

Prenant la parole à son tour, Leonardo Tonus déclare ouverte l’édition 2018 du Printemps Littéraire Brésilien et remercie tous ceux qui ont contribué à sa réalisation: les Ambassades du Brésil et du Portugal à Paris, l’Ambassade de France au Brésil, le Comité d’organisation et les Universités partenaires.

Avant l’échange avec les écrivains invités, le Ministre-Conseiller Pedro Saldanha a souligné dans son intervention l’importance de «faire connaître la diversité de la culture et de la société brésilienne à travers la littérature, en l’occurrence à travers la présence au Salon du livre de Paris des écrivaines brésiliennes Conceição Evaristo, Ana Maria Machado et Guiomar de Grammont».

Pour sa part, João Pinharanda, Conseiller Culturel, a appelé à «placer bien haut la bannière de la Lusophonie». En même temps, il constate que «la littérature portugaise a en France un terrain déjà bien riche, avec des écrivains, des éditeurs, des libraires, des lecteurs, et d’autres acteurs culturels, notamment au sein de l’enseignement du portugais».

La cérémonie était suivie d’une rencontre littéraire luso-brésilienne, avec les écrivains Rafael Cardoso et João Pinto Coelho, invités à répondre à la question suivante: «Quel regard la littérature portugaise et brésilienne porte-t-elle sur les événements majeurs de l’histoire occidentale?»

En introduction au débat littéraire, Leonardo Tonus présente les deux écrivains, Rafael Cardoso (auteur de «O Remanescente», 2016) et João Pinto Coelho (auteur de «Os loucos da rua Mazur», 2017), dont les itinéraires littéraires se rejoignent parfois. Il souligne leur rôle important dans la réhabilitation et la préservation de la mémoire historique liée à l’Holocauste, thème central de leurs romans.

Dans «O Remanescente» (Le rémanent), Rafael Cardoso, écrivain et historien de l’art, né à Rio de Janeiro en 1964, raconte, entre réalité et fiction, comment il a appris, à l’âge de 16 ans, que ses arrière-grands-parents et ses grands-parents n’étaient pas des Français, mais des juifs d’origine allemande, arrivés au Brésil sous de faux noms, fuyant le régime nazi. Un secret que sa mère l’obligea à garder jusqu’à l’âge de 30 ans.

Aujourd’hui Rafael Cardoso veut rompre ce silence. «Le rémanent du livre, affirme-t-il, ce n’est pas l’auteur mais tout ce qui a pu survivre après la catastrophe et, dans le cas de ma famille, c’est la mémoire et l’héritage culturel. Car il y a des valeurs qui sont indestructibles. Et dans ce sens le rôle de l’art et de la littérature est primordial». Interrogé sur «quelle vérité veut-il révéler», Rafael Cardoso explique qu’il s’agit avant tout d’une question de «justice et de réparation, car nous avons une dette envers la mémoire et l’histoire. Il y a des choses que l’histoire peut dire, mais celle-ci a sa propre vérité. Or, la fiction aussi a sa vérité. Ainsi, ma responsabilité est d’écrire l’histoire humaine, celle que l’Histoire ne peut pas dire». À propos de l’exil, thème récurrent dans son livre, Rafael Cardoso considère que «l’exil est une situation intérieure. On la vit dans sa conscience, à travers son identité composite et fragmentée. Le silence, que j’ai dû garder pendant des décennies, fait partie de mon histoire».

Le projet d’écriture du roman «Os loucos da rua Mazur» (Les fous de la rue Mazur) est né dès les années 1980 lorsque João Pinto Coelho s’était rendu à Auschwitz dans le cadre d’un travail de recherche qui intégrait dix-sept jeunes portugais et polonais. Il avait pu alors rencontrer et interroger de nombreux survivants du camp et aussi des Polonais non-juifs. «Des rencontres qui, avoue avec beaucoup d’émotion João Pinto Coelho lors de son intervention, vous changent la manière de voir le monde. Ces survivants, qui avaient partagé l’enfer des camps avec ceux qui allaient mourir, avaient besoin de transmettre. Alors ils répétaient inlassablement leur histoire. Ce fut une leçon pour moi! Le devoir et la responsabilité de l’écrivain est de savoir comment écrire cette histoire et rester fidèle à la vérité».

À travers ce roman, João Pinto Coelho voulait aborder un sujet encore peu traité: le massacre de Juifs par des non-Juifs qui se côtoyaient depuis des siècles au sein d’une même communauté, en Pologne. Il approfondissait ainsi un thème qu’il avait déjà abordé dans un roman précédent sur la persécution des Juifs durant la 2ème Guerre mondiale.

Dans «Os loucos da rua Mazur», qui lui a valu le Prix Leya 2017, João Pinto Coelho, écrivain, architecte et professeur des Arts visuels, né à Londres en 1967, met en scène la rencontre, en 2001, à Paris, entre un libraire aveugle et un célèbre écrivain, tous deux Juifs, qui ne s’étaient plus revus depuis l’invasion de la Pologne par les nazis. Au cours de ces retrouvailles, c’est tout leur passé qui ressurgit. «Avant même sa parution, explique João Pinto Coelho, ce livre a suscité une vive polémique en Pologne où j’ai été accusé d’attaquer les Polonais et de les traiter de racistes».

Il apprit plus tard que ces attaques venaient de l’Extrême-Droite polonaise qui aujourd’hui est fortement présente dans ce pays. Pour João Pinto Coelho «ce courant politique tente de réécrire l’histoire. Cela est grave car cela a à voir avec la mémoire collective».

La cérémonie d’ouverture de cette 5ème édition du Printemps Littéraire Brésilien s’est achevée par des lectures de textes des deux écrivains hôtes, réalisées par des élèves du Lycée International de l’Est Parisien.

 

 

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