Réflexions sur l’industrie textile en France et au Portugal : rencontre avec Jean Pierre Balduyck


Jean Pierre Balduyck est ex-syndicaliste, ex-Député, ex-Maire de la ville de Tourcoing, à partir de 1989 et ce pendant 3 mandats. Il a été un des principaux artisans du rapprochement de sa ville de Tourcoing avec Guimarães, ville d’où est originaire une bonne partie des Portugais qui pendant 40 ans ont travaillé dans les usines textiles de la ville.

Auteur de plusieurs ouvrages de souvenirs sur le textile, Jean Pierre Balduyck, depuis des années, mène un plaidoyer pour une reconnaissance de l’épopée humaine du textile. Pour que le souvenir des hommes et des savoir-faire ne se perde pas, il milite pour la création d’un Centre historique du textile, à l’image du Centre historique minier de Lewarde.

Nous l’avons rencontré, le lundi 12 février, à l’initiative de David Ribeiro, garagiste et voisin. Pendant notre échange, Jean Pierre Balduyck a mis en évidence l’intelligence du Portugal et de ses patrons du textile qui ont su s’adapter, en devenant fiables et capables de répondre très vite à la demande, tant au niveau de l’urgence des commandes que des exigences de qualité, trouvant que la France est un pays plus centralisateur avec trop de rouages, ce qui finit par conduire à la fermeture de la quasi-totalité les usines de textile en métropole. Les Français n’ayant, par ailleurs, pas su tirer profits de aides et programmes européens.

Un des exemples cités par notre interlocuteur a été celui de la fabrication du viscose, une matière plastique d’origine végétale qui, dû à certains traitements, est très polluante. Jean Pierre Balduyck se félicite du Portugal avoir, en grande partie, résolu le problème de polluants à la suite d’années de recherche et coordination entre diverses organismes industriels et universitaires, ceci permettant au Portugal de déposer beaucoup de brevets en la matière.

Le monde évolue et Jean Pierre Balduyck s’est fait une réflexion sur le textile et la Chine. Même si une grande partie du textile vient de Chine, il y a un marché à conquérir là-bas. En Chine, 50 à 60 millions de chinois acquièrent chaque année un pouvoir d’achat qui les permet de devenir des consommateurs plus avertis, ce qui les conduit à des achats de biens avec une plus grande qualité : pourquoi pas exporter du textile européen en Chine ? Des réunions ont eu lieu visant à mettre en œuvre des actions coordonnées dans ce sens, à la tête desquelles il y avait la France et l’Italie.

La France a laissé tomber le projet. Résultat : la ville de Biella, en Italie, a mis en œuvre un programme de production textile et d’exportation vers la Chine qui fonctionne très bien. C’est une des sources de richesse de la ville italienne actuellement, 80% du textile fini acheté par la Chine venant de l’Italie.

Remontant dans le temps, Jean Pierre Balduyck nous dit que même si Roubaix et Tourcoing sont limitrophes, les ouvriers qui ont travaillé dans le textile, par leurs origines, n’avaient pas le même type de comportement. Les ouvriers dans le textile de Roubaix sont venus à partir de 1850 de grandes villes flamandes, à l’exemple de Gand. C’étaient des ouvriers plus politisés, qui ont créé des syndicats à l’origine de forts mouvements sociaux, d’autant plus qu’habitant dans des courées insalubres, la solidarité y régnait. À Tourcoing, les ouvriers sont arrivés bien plus tard, venant plutôt de la Wallonie rurale.

De nombreux ouvriers flamands sont répartis en Flandres ce qui a conduit l’industrie textile de la métropole lilloise à faire appel à une main-d’œuvre venue des pays d’Afrique du Nord, puis les Italiens et pour finir les Portugais. Jean Pierre Balduyck reconnaît qu’au début, les filles nord-africaines étaient plus pourvues de diplômes, les trouvant souvent dans l’administration, dans des Conseils municipaux. La main-d’œuvre portugaise dans le textile était de qualité, des ouvriers qu’on formait, 6 ans étant nécessaires pour devenir une bonne trieuse de laine. Il y avait le regard, le toucher, la qualité de la laine provoquée par le climat humide, sec, que les moutons subissent… tout un apprentissage pour lequel les Portugais étaient doués.

C’est le temps où l’on quittait l’école pour travailler, une période de plein emploi, où la formation se faisait en fonction des besoins de l’usine et des postes à pourvoir. Postes qui pouvaient être de maîtrise, voire de responsable de l’usine si sérieux, l’ascenseur sociale existait, Jean Pierre Balduyck citant son propre exemple.

Mai 1968, Jean Pierre Balduyck, en tant que syndicaliste, s’en souvient. Il y a eu comme une opposition entre les étudiants et les ouvriers. Les Syndicats ouvriers ne voulaient pas de violence, pas de casse, ils étaient pour la négociation immédiate, évitant l’éternalisation du conflit, qui chez les étudiants a conduit aux voitures brûlées, aux faux policiers, qui, pour discréditer le mouvement étudiant de mai 68, brûlaient eux-mêmes des voitures.

Contrairement à ce que parfois on dit, Jean Pierre Balduyck se souvient d’une grève provoquée par des ouvriers portugais du textile qui demandaient une augmentation salariale, visant à un certain équilibre. On a senti, une certaine tension, lors de ce mouvement entre portugais et ouvriers français.

De nos jours de nombreuses familles portugaises habitent encore sur Tourcoing, le textile n’étant plus l’activité qui les emploie. Les quelques cheminées, encore débout, n’étant plus qu’un souvenir d’un temps plus ou moins lointain. Vient encore à la mémoire des plus anciens, la richesse industrielle de la conurbation, chaque premier mercredi du mois, vers midi, lors du teste sonore des sirènes. Cet alerte sonore est opérationnel depuis la II Guerre mondiale. Chaque premier mercredi du mois, on procède à un test afin de vérifier qu’il fonctionne correctement, car son rôle est de prévenir la population d’un éventuel danger.