LusoJornal / António Marrucho

Un roman entre réalité et fiction sur la Lainière de Roubaix – Vincent di Martino: le couloir de l’horloge

Se tient actuellement, et ce jusqu’à Noël, une exposition de photo de Gérard Bloncourt à la Maison du Projet de la Lainière, occasion pour évoquer le roman de Vincent Di Marino, un les personnages étant le syndicaliste, José.

«Le couloir de l’horloge» est le premier roman de Vincent Di Marino. Ce passionné de lecture, acteur engagé dans le combat de tous les travailleurs pour leur émancipation, il a travaillé pendant treize ans dans une grande entreprise du textile.

Dans ce roman, Di Marino nous raconte une grève et ses suites, dans une entreprise que ressemble fortement à la Lainière de Roubaix entre les années 1970 et nos jours. Justice, respect et solidarité sont les mots d’ordre des personnages qui se battent pour faire valoir leurs droits.

On est en 2002 et notre héros, Tony Vandemart, entre dans un café et commande une bière. Un SDF rentre dans le bistro et s’en fait chasser et là, son monde bascule, ce SDF, il le connaît, c’est Jean-Marc, il a travaillé avec lui, à la Lainière, il y a des années de cela.

Tony sort et suit Jean-Marc dans les rues de Roubaix et petit à petit les souvenirs remontent…

Dans ce très beau roman on est entre réalité et fiction, difficile à dire ou commence l’une et où s’arrête l’autre. Peu importe, le monde du travail y est traité, tout en tenant le lecteur en haleine du début à la fin.

Enrichissant cette fresque sur ce monde du travail. Nous avons à faire à des personnages qui se nomment Mario, José, Tony… Lequel est d’origine française, laquelle d’origine italienne, espagnole ou portugaise?

Toutes ces nationalités se mélangent et cohabitent dans le travail, dans la lutte, dans l’amour ou tout simplement dans le quotidien des jours qui passent. Tout cela laissera des traces, des souvenirs… heureux, malheureux… mais où la solidarité a un vrai sens. Cela faisant partie de la philosophie de vie… de la vie de l’ouvrière.

L’action se passe à Roubaix, capitale mondiale de la laine. Le textile y était roi jusqu’aux années 1980. Encore de nos jours, plus de cent nationalités y sont présentes. Le travail ouvrier, le travail dans les usines du textile, expliquent en partie ce mélange de civilisations et parfois de religions.

Au moment de la fermeture des usines de textiles à Roubaix, 6.000 Portugais y étaient recencés. Ils sont venus, fin des années 60 et 70, de leurs campagnes natales et surtout de régions qui étaient elles aussi des centres importants dans le textile. Il suffit de voir, encore de nos jours, les intitulés des associations portugaises: «Sporting da Covilhã», «Vimaranense», «Casa do Porto»…

La ville de Roubaix est d’ailleurs jumelée à une autre ville portugaise, centre du textile, la ville de Covilhã.

Avec la fermeture de la Lainière et d’autres usines textiles, c’est le déclin de la ville de Roubaix: de 114 mille habitants dans les années 70, on passe à nos jours à 95 mille. Alors que Roubaix est l’une des villes les plus jeunes de France, elle est de nos jours l’une des plus pauvres, avec un taux de chômage des plus élevés, 32% de la population ouvrière est au chômage, 24% de la population active.

L’histoire de la Lainière est riche: une usine textile des plus grandes d’Europe, un lieu de luttes ouvrières, mais aussi par d’autres événements: Élisabeth II et Nikita Khrouchtchev l’ont visitée.

En 1960, le fil produit en une journée aurait suffi à faire quarante fois le tour de la Terre. Des marques et noms sont liés à cette entreprise telle que la laine Pingouin, les chaussettes Stemm, la revue Mon Tricot. Eddy Mitchell, qui avait baptisé son groupe les Five Rocks, suite à un accord entre Éddie Barclay et la Lainière, le rebaptisa les Chaussettes Noires.
Le 17 janvier 2000 restera marqué dans la mémoire de Roubaix et de ses habitants. La Lainière se meurt. C’est la date de la fermeture définitive. Ce fut la fin d’une longue agonie, de plans, de restructurations,… Au milieu de tout cela, il y aura le «million» Stoleru en 1978. Même si cette incitation de retour au pays pour les immigrés a été un échec, des ouvriers portugais ont profité pour revenir au pays avec le «million» de centimes de francs, offert par l’État, à un moment où le Portugal était en pleine expansion, s’ouvrant au monde suite à la Révolution des œillets.

Donnons la parole à Vincent Di Martino auteur de ce roman mi- fiction, mi- réalité «Le couloir de l’horloge», qui nous parle des conditions de travail et des Portugais, ses compagnons de labeur, ses compagnons de lutte.

 

Comment était structurée l’entreprise la Lainière dans les années du «couloir de l’horloge»?

En 1984, il y avait dans l’usine encore 3.561 ouvriers, l’usine travaillait à l’époque encore 24 heures sur 24. La discipline et l’obéissance y étaient de mise. À l’approche de la fermeture, les relations de la direction envers le personnel qui étaient traditionnellement très paternalistes, se sont dégradées, il restait peu de place pour le dialogue social. Dans des salles immenses et très bruyantes, les machines sont devenues de plus en plus grandes, alors que parallèlement les membres du personnel diminuaient, il y avait peu de place pour le repos et la convivialité.

 

Comment peut-on décrire le travailleur de la Lainière? Y avait-il beaucoup de Portugais?

Il y avait deux grandes catégories de travailleurs attachés à la production: les femmes, le jour; les immigrés, la nuit. Parmi les ouvrières, il y avait certainement des Portugaises. Cependant, ce qui m’a marqué le plus, c’était le nombre important de Portugais dans l’équipe de nuit. C’est pour cela que j’ai choisi «d’inventer» le personnage de José comme Délégué de nuit. C’était une communauté avec ses propres codes. Quand ils arrivaient le soir un peu en avance sur l’horaire, ils se rassemblaient en petits groupes et parlaient entre eux en portugais, avant de rejoindre leur poste de travail. C’était très dur de les mobiliser syndicalement, car ils se méfiaient des syndicats. Pour y arriver, il fallait passer par «leur» Délégué, véritable relais, en qui ils avaient confiance et qui était perçu comme un véritable leader. Cependant, lorsqu’un conflit éclatait à propos des mauvaises conditions de travail ou d’une revendication salariale, les ouvriers portugais étaient souvent très combatifs. Plusieurs fois, des conflits démarraient la nuit, puis étaient étendus aux autres équipes. Avec eux, le moins que l’on puisse dire c’est que c’était viril! Il fallait toute l’autorité de leur leader syndical pour canaliser leur colère.

 

Les Portugais étaient-ils syndiqués?

En tant que responsable syndical, je trouvais regrettable qu’ils ne soient pas plus engagés dans la vie du syndicat, le jeune surtout. Dans les années 1980, deux Délégués de nuit, portugais, avaient été élus et avaient rejoint le syndicat CFDT auquel j’étais affilié. Deux José d’ailleurs. Ils ne s’entendaient pas beaucoup entre eux, je n’ai jamais su pourquoi. Je me souviens qu’un jour, alors que nous étions tous réunis avec des camarades d’autres entreprises dans les locaux du syndicat à Tourcoing, une violente dispute éclata subitement entre les deux José. On ne comprenait rien à ce qu’ils disaient, mais ça dégénérait et ils allaient en venir aux mains. Pour moi c’était inacceptable de voir cela dans notre «maison» et entre deux camarades. Je me rappelle, même si c’est difficile à imaginer aujourd’hui, que j’avais bondi au-dessus des tables et je ne sais pas comment, mais j’avais réussi à me retrouver entre les deux, pour finalement les séparer. Je peux dire qu’ils m’ont entendu! Eux ont été tellement surpris par ma réaction, qu’ils se sont immédiatement calmés. On en rigole encore parfois avec des potes de cette époque…

 

Voilà une histoire, témoignage d’un passé qui reste bien vivant, de la nostalgie constructive, témoignage d’un passé pour un avenir que se veut meilleur.

 

«Le couloir de l’horloge»

de Vincent Di Martino

Éditeur: Le temps des Cerises

 

 

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