Une jolie rencontre entre Carminho et la musique de Tom Jobim

Depuis quelques années, les stars du fado font escale de plus en plus souvent au Brésil. Ce fut déjà le cas dans le passé: le chanteur et compositeur Joaquim Pimentel y obtint des succès et y passa même une bonne partie de sa carrière. Amália y triompha maintes fois.

Mais depuis les années 1970, le fado se faisait discret sur les scènes brésiliennes, considéré par beaucoup comme ringard. Plus maintenant: Ana Moura ou Mariza y drainent des foules (et il n’a pas échappé aux multinationales qui les produisent que le marché brésilien est autrement plus vaste que le portugais), d’autres suscitent un réel intérêt.

Et il y a deux cas particuliers. Voici quelques mois, António Zambujo est venu présenter son CD consacré à des œuvres du chanteur, compositeur, poète et romancier Chico Buarque, personnage majeur de la musique brésilienne. Et voici quelques jours, Carminho est venue présenter le sien, cette fois dédié à un autre monstre sacré de la «MPB», Tom Jobim (1927-1994).

Elle se distingue même, nous confie-t-elle, d’António Zambujo: «António Zambujo a enregistré et se produit avec des musiciens portugais de fado. J’ai eu la chance de pouvoir compter, pour l’enregistrement de l’album comme pour les concerts, sur des musiciens qui ont accompagné Tom Jobim, dont son fils, Paulo, à la guitare, et son petit-fils, Daniel, au piano».

Nous retrouvons une Carminho plus détendue, plus souriante que lors de nos précédents entretiens. Ce qui se vérifiera sur scène, comme si la douceur, la langueur parfois, de la musique de Tom Jobim lui avait apporté un supplément de sérénité.

Carminho s’est produite au Brésil aux côtés des plus grandes stars locales, Chico Buarque, Maria Bethânia, Marisa Monte (qui ont participé à son CD) et aussi Milton Nascimento, sans oublier la vénérable sambiste Alcione. Autant dire qu’elle a été adoubée par le milieu musical local. Et cela sans faire de concessions vocales, gardant le phrasé fadiste, ce qui s’adapte bien à la plupart des thèmes qu’elle a choisi, des tempos plutôt lents, et peut-être un peu moins aux tempos plus rapides, où un soupçon de la malemolência carioca serait bienvenue. Ce qui explique peut-être qu’elle n’a pas retenu quelques-uns des thèmes les plus populaires de Tom Jobim («Samba de uma nota só», «Garota de Ipanema», «Água de beber», «Desafinado»…) où cette malemolência est très présente. Elle a toutefois choisi d’autres perles du prolifique Tom Jobim: «A felicidade» (thème du film «Orfeu negro»), «Wawe», «Luiza» ainsi que la version anglaise popularisée par Frank Sinatra de «Por causa de você», aux côtés de chansons moins connues mais choisies à bon escient.

De tout cela sort un concert très maîtrisé, où Carminho fait preuve d’une émotion soutenue par une grande justesse technique, accompagnée par un Daniel Jobim excellent au piano, Paulo Jobim et Paulo Braga, discrets mais efficaces à la guitare et à la batterie, et Jaques Morelenbaum, virtuose du violoncelle et arrangeur mondialement connu.

Lors du concert, dans lequel tous les titres du CD sont repris, Carminho a ajouté quatre fados, avec notamment un «Meu amor é marinheiro» chanté a capella avec une violente énergie et «Saudade do Brasil em Portugal», dont la légende dit qu’il fut offert par son auteur, Vinicius de Moraes, à Amália Rodrigues. Quatre fados impeccablement chantés par Carminho, malgré un accompagnement, disons, minimaliste.

Bel et beau concert donc. Celles et ceux qui n’ont pu y participer pourront se consoler avec le CD de Carminho qui vient de sortir («Carminho canta Tom Jobim», production Ruela Music), élégant et prenant.