LusoJornal / Luís Gonçalves

CGT de Tourcoing: Ciné-débat sur «Les émigrés» de José Vieira

Sur l’affiche annonçant le débat organisé le vendredi 26 janvier par le syndicat CGT de Tourcoing, dans ses propres locaux, on pouvait lire: «c’est l’histoire d’un village où presque tous les habitants ont émigré à la recherche d’une vie meilleure. Les uns sont partis pour toujours, d’autres sont revenus. À travers les dialogues et les récits des gens qui habitent le village au mois d’août, le film tente de comprendre qui sont ces hommes et ces femmes devenus, un jour, brutalement des étrangers, à jamais des déracinés et qui portent en eux la rupture avec leurs univers familiers».

Pourquoi organiser une telle projection? Ce type de débat sur l’émigration portugaise n’est-il pas dépassé? La réponse nous est donnée par les membres du syndicat qui organisent ce type de débats une fois par mois.

Un des membres du syndicat étant lui-même fils d’émigrés portugais: “Tout d’abord c’est un hommage au camarade Manuel Dias qui nous a quittés”. Il ajoute: “nous voyons arriver de plus en plus de nouveaux émigrés, des jeunes portugais qui font appel au syndicat pour parler des conditions parfois déplorables dans lesquelles ils vivent”. Il nous a cité le cas d’un groupe de jeunes arrivés récemment du Portugal, logés dans un entrepôt du patron, exploités par un compatriote, avec des salaires dérisoires. Le comble? On leur a demandé de payer l’impôt du local dans lequel ils sont logés.

Phrase entendue, question posée: et alors ces Portugais qui viennent vous voir au syndicat, ils n’ont pas peur des conséquences? La réponse du syndicaliste: “que risquent-ils? Ils sont exploités, humiliés, privés de leurs familles, dans une situation d’endettement… à un moment donné la blessure ressort, nous sommes là pour les aider dans leurs démarches et également pour les défendre”.

Le film se passe dans un village du nord du Portugal, dans la région de Trás-os-Montes, un village comme bien d’autres, loin des lieux à la mode, qui sont la région de Porto, Lisboa et Algarve. Nous dirons un village du Portugal à petite vitesse, le temps y étant rythmé par le tracteur qui passe, «o Carro de bois» qui résonne dans les pavés, le vendeur ambulant qui appelle les rares consommateurs à venir s’approvisionner.

Un couple d’anciens jeunes sert de fil pour l’histoire racontée par le film: une histoire parmi des centaines de milliers d’histoires, toutes différentes, toutes semblables par beaucoup d’aspects.

Après le déracinement du départ, ils revivent le déracinement du retour: la maison commencée à construire en 1976 est inachevée… elle a besoin de nouveaux travaux.

Il y a la femme qui ne se reconnaît plus dans son ancien village. Que revenir faire? Pourquoi quitter enfants et petits-enfants restés en France? Dans le voisinage il n’y a plus personne, nettoyer la maison pourquoi et pour qui? Aller plusieurs fois par semaine au cimetière est-ce une distraction?

Il y a l’homme pour qui revenir est synonyme de retrouvailles avec les copains restés au pays, revivre le travail de la terre, lui qui, à l’âge de 7 ans s’occupait déjà des vaches. Toutefois deux ans après le retour, et après toute une vie difficile au travail en France, il commence à manquer de forces… il se pose la question de pourquoi continuer à cultiver… à se tuer au travail… on voit des entrées de maison abandonnées, les ronces obstruent les entrées… Tu te rappelles… c’est là que vivait… o tio…

L’homme dit à la femme: “je ne te comprends pas. En France tu te plaignais de ton travail, que c’était dur et maintenant tu dis que c’était le bon temps, que tu as ‘saudade’ de Paris”. La femme, assise à l’entrée de sa porte répond: “c’est là que je sortais, c’est là que je me suis fait des amies, je me suis construit ma vie… notre vie”.

L’homme se souvient du problème qu’il a eu à une jambe en traversant les Pyrénées, problème qui le suivra le reste de ses jours… il se souvient du lit dans lequel, arrivé en France, il dormait, ou plutôt ils dormaient, ils étaient à trois. La vaisselle était lavée à tour de rôle…

Un autre homme du village, qui lui aussi a émigré, s’est vu refuser le droit de faire une excursion pour les retraités dans son Portugal. Il est le “francês”. En mode de révolte il dira: “moi, le Portugal? Il ne m’a jamais rien donné”.

On a ri avec certaines expressions utilisées par l’émigré revenu, “o francês”: des mots durs, mais signes d’une certaine réalité, d’une certaine nécessité,… de l’espoir du retour rapide. Il disait: “j’en connais qui ne mangeaient pas pour ne pas avoir à ‘chier’… ils travaillaient 12, 14 voire 16 heures par jour”.

Du haut de son balcon, une vieille dame regrette sa solitude… les siens sont partis. S’occuper des vieux parents qui restent devient problématique. Elle attend… on naissait, on mourrait dans la même maison. Attendra-t-elle jusqu’à sa fin dans sa petite maison? Elle se pose la question, elle nous pose la question, elle pose la question à notre société.

À la fin de la projection du film s’en est suivi le débat.

Nous avons, nous-mêmes, raconté le cas de notre père, arrivé en 1964 après quinze jours de voyage. Personne ne l’attendait. Il est allé au Commissariat de Police le lendemain de son arrivée à Roncq, le surlendemain était déjà au travail, dans une usine de plastique. Son unique patron pour le reste de sa vie. Patron qui a même construit des maisons pour faire venir les familles, pour nous faire venir. Émigration des 25 glorieuses. Émigration désirée, admise?

Réflexion exprimé par un spectateur. La France aujourd’hui ne peut pas accueillir tout le monde. Tiens! Cela nous fait rappeler une phrase du milieu des années 90, prononcée par un Socialiste qui a inspiré bien au-delà de sa famille politique: Michel Rocard.

Après le débat, entre deux portes, une dame de 55 ans exprimait son mecontentement: le film ne montre que le Portugal pas beau, ce n’est pas ça le Portugal.

Toute idée doit être respectée, toutefois nous aurions envie de dire: “Madame, c’est peut-être pas votre Portugal, pas le Portugal que vous voulez qu’on montre. Madame, cela fait partie aussi de notre Portugal, cela fait partie de notre histoire, de notre patrimoine”.

Histoire, histoires qui resteront… la première génération d’émigrés portugais arrivés en France. Images qui resteront d’un patrimoine qui est en train de se perdre… des toits qui tombent… des ronces qui poussent à l’entrée des maisons.

Merci José Vieira pour le film, source de débat… source de questionnements, d’un certain constat… peut-être pas de certitudes!