Christine Garnier, journaliste française, l’intime de Salazar


D’une rencontre journalistique, une amitié est née, voire un peu plus que ça, entre la journaliste française Catherine Garnier, alias Raymonde Germaine Marie Cagin et António de Oliveira Salazar.

De cette rencontre un livre hagiographique (1) est né : «Vacances avec Salazar».

Même si des livres ont été éditées sur ses relations avec ses proches, les femmes, des zones d’ombre restent encore à découvrir, à exploiter, de la vie intime du dictateur portugais.

Christine Garnier en a été une, parmi les «privilégiées».

On était en été 1950. Catherine Garnier qui souhaite faire une interview à Salazar, programme sa venue et sa rencontre avec le dictateur à partir de l’Ambassade du Portugal à Paris, se faisant aider par l’Ambassadeur Marcello Mathias.

Arrivée à Lisboa, les journées passaient sans que la journaliste puisse rencontrer Salazar. Christine Garnier se dirige au Secretariado Nacional da Informação, département de la propagande du Estado Novo, menaçant de quitter Lisboa si la rencontre ne se concrétise pas.

Un membre de cette institution, qui l’accompagnait partout, prend contact avec Maria Arminda Lacerda, ancienne vendeuse d’escargots de Caramulo, appelée par les proches de Mindinha, une des femmes qui servait Salazar à São Bento, résidence officielle.

Christine Garnier en profite aussi pour se rendre chez Mindinha.

Cette dernière entre en contact, par téléphone, avec Salazar, qui était en vacances au Forte de Santo António (Estoril) et lui indique qu’il serait bon qu’il reçoive la journaliste française, d’autant plus qu’elle était très pétillante. Salazar lui répond que personne ne l’avait informé de cette demande d’interview.

Le rendez-vous qui ne devait durer que quatre heures, s’est prolongé pendant 20 jours. Mindinha confirmera que «a francesinha» avait un accès privilégié à l’intimité de Salazar. De cette rencontre va être publié en 1952 le livre «Vacances avec Salazar», un livre où est mis en évidence l’aspect de séduction entre les deux.

Christine Garnier avait 35 ans, Salazar 61, au moment de leur rencontre, elle pleine de vivacité et Salazar à l’apogée de son pouvoir, qui commençait à rencontrer quelques problèmes et contestation de plus en plus vive.

Les informations de cette liaison se répandent dans la haute sphère, chez les Ministres qui jugent que l’homme a là un acte de faiblesse, d’autant plus que Christine Garnier prend l’habitude de dormir dans la résidence officielle de São Bento. Salazar dira : «Nous sommes riches de jalousies».

Des proches délaissent même Salazar, à l’exemple de Carolina Asseca, veuve du Vicomte de Anadia, qui alimentait l’espoir de se marier en deuxième noces avec le Chef du Conseil, abandonnera São Bento, ne venant plus aux causeries avec Salazar pendant sa sieste.

Salazar avait une confiance aveugle en Christine Garnier. Elle était devenue une confidente politique et était parfois employée pour sonder des politiques, Salazar passant par elle au lieu de consulter Ministres et Ministères, tel que celui des Affaires Étrangères.

Mindinha, dans une interview, racontera que Christine Garnier restera toujours une fidèle à Salazar, elle viendra même le visiter le 4 février 1969, lors de son hospitalisation à l’hôpital de la Croix Rouge (2).

Les échanges entre Salazar et Christine Garnier vont se prolonger pendant… 20 ans !

Mindinha raconte avoir souri «aux épisodes que raconte Jean-François, le fils de Christine Garnier et de son premier mari, pendant les vacances qu’il passait avec Salazar, entre 1953 et 1955, c’était vraiment du Salazar, dont Jean-François se souvient avec mécontentement. Salazar avait interdit à la fille du Commandant de Garnison de se baigner sur la plage du Forte, afin qu’il n’y ait pas début d’amourette entre elle et Jean-François. Il s’agissait de deux adolescents âgés de 13 à 14 ans».

Pendant les 20 jours de rencontres de Christine Garnier et António de Oliveira Salazar, ils se rendent à Vimieiro (Santa Comba Dão), là où est né le Dictateur. Salazar a décrété ne pas vouloir que ses conversations soient enregistrées, il disait ne pas «aimer parler à une machine». Ses conversations se sont passées, entre autres, lors de promenades bucoliques ou assis au bord d’un réservoir d’eau.

Christine Garnier aura encore visité le propriétaire agraire de Henrique Chaves dans l’Alentejo, à Évora, ainsi que les terres du Ribatejo de José Palha, à Monte Santo Isidro.

Ce dernier aurait été sollicité, ainsi qu’Augusto de Castro, Directeur du Diário de Notícias, et le banquier Ricardo Espírito Santo. On a demandé à tous les trois, sur proposition de Salazar ou à la demande de Christine Garnier, d’écrire des notes sur divers sujets, Augusto de Castro sur la politique de neutralité portugaise pendant la II Guerre mondiale, à Ricardo Espírito Santo et à José Palha sur les aspects liés à la guerre, à la politique internationale, au caractère et au style du Gouvernement du leader de l’Estado Novo. Ces textes ont été relus par Salazar, qui les a fait traduire et envoyés à Christine Garnier, qui les a ensuite introduits dans son livre, comme des déclarations faites lors d’une réunion, entre eux, qui n’a jamais existé.

Le livre «Vacances avec Salazar» est paru en février 1952. Christine Garnier y écrira: «Salazar est un monstre d’habitude et de conservatisme, mais, quand il s’agit des femmes, il aime les surprendre…». Elle confiera sa fascination en décrivant «les yeux très noirs, triangulaires, intenses», «le teint légèrement basané», «les cheveux gris et lustrés» et les «dents qui brillent d’un éclat minéral» de son interlocuteur.

La journaliste, à l’invitation de Salazar, revient en été en 1952. Elle redécouvre à Vimieiro une maison de campagne plutôt petite, aux pièces étroites et chichement garnie d’un mobilier fort simple, essentiellement utilitaire, avec peu de décoration, très peu de livres, pas de bibliothèque et aucune photographie. Seule une vieille gouvernante tient lieu de personnel.

Salazar joue à Christine Garnier un rôle savamment étudié et parfaitement au point : celui du dirigeant austère, vaguement timide, solitaire dans sa tâche et, à ses heures perdues, modestement préoccupé de la santé de ses fleurs.

Salazar, pendant des années, n’oubliera pas de faire parvenir à la Française, toujours mariée, à son domicile parisien, des fleurs, des fruits exotiques, des ananas des Açores, du meilleur vin portugais ou de simples confitures.

Salazar utilise parfois des moyens d’État, mettant par exemple personnellement à contribution tel ou tel fonctionnaire des chemins de fer portugais. Tout cela n’est guère excessif et se relève plutôt un peu de l’anecdote, telle l’occasion où il charge un ami diplomate séjournant à Paris, l’Ambassadeur, Marcello Mathias, d’accompagner Christine Garnier chez les joailliers de la capitale, pour qu’elle s’y choisisse une bague. Coût final du bijou, supporté par Salazar : 420 dollars de cette époque.

Salazar n’a jamais été marié, toutefois pour quelqu’un qu’on considérait très austère et n’aimant pas voyager, dans le livre de Felicia Cabrita «Les amours de Salazar» celle-ci lui attribue 8 liaisons amoureuses. En dehors de la journaliste française, Christine Garnier, Salazar a côtoyé Maria Laura, Maria Emilia Vieira, Caroline Asseca, Felismina Oliveira, Júlia Perestrelo, Mercedes Feijó et Maria Conceição Santa Marques.

Contrairement à sa renommée d’économe, dans la réalité Salazar ne l’était pas si économe que ça, dépensant beaucoup avec l’achat de ses costumes, cravates… il offrait aussi de quoi satisfaire ses conquêtes féminines.

Des venues au Portugal de Christine Garnier, l’hôtel Urgeiriça, un hôtel british, haut lieu de l’espionnage pendant la II Guerre mondiale au Portugal, garde la trace de la venue de la journaliste, intime de Salazar, qui y a séjourné aux frais de ce dernier.

Écrivons un peu plus sur Christine Garnier.

Elle a utilisé comme autre pseudonyme celui de Doéllé.

De son vrai nom Raymonde Germaine Marie Cagin, elle est née le 23 février 1915, à Troisvaux, arrondissement d’Arras, dans le Pas de Calais.

Raymonde Cagin aura eu une vie familiale assez mouvementée, avec 4 mariages, et au milieu, des rencontres «par intérim», avec António de Oliveira Salazar. Le premier mariage a lieu le 10 juillet 1934, avec Robert Charles Garnier, de cette union naîtra Jean-François Garnier, mais le couple divorce le 14 septembre 1946. Juste après, le 5 octobre 1946, elle se marie à Raymond Bret-Koch, apparenté à l’éminent médecin allemand docteur Koch qui avait, fin XIXème, donné son nom au bacille de la tuberculose. Mariage de courte durée, le divorce est prononcé le 16 novembre 1946.

Jean Baptiste Eugène Fralon sera son mari du 15 juin 1954 jusqu’au divorce le 5 mai 1967. Elle n’attendra pas longtemps pour contracter son 4ème mariage, le 29 juin 1967, avec Jacques René Antoine Olivier Choppin Haudry Janvry, mariage dissous par le décès de son mari le 6 mai 1997 à l’âge de 74 ans.

Concernant sa carrière, signalons tout d’abord qu’elle a été mannequin pour des magazines féminins tel Marie-Claire. Elle est ensuite devenue journaliste pour Le Figaro et a fait plusieurs voyages en Afrique écrivant plusieurs articles de ces voyages et livrets, dont «Le fétichisme en Afrique Noir».

Elle publiera bien d’autres livres dont «Les héros fatigués», «Le père avait deux âmes», «Cendres de nuit», et sous le pseudonyme Doéllé elle publie le roman : «Va-t’en avec les tiens».

Raymonde Cagin décédera le 16 juin 1987, à l’âge de 72 ans, à Auvers-sur-Oise.

À la fois ironie du sort et belle histoire, le journaliste José Alain Fralon, de la famille de son troisième mari, neveux de Raymonde Cagin, écrira un des premier ouvrages sur le Consul de Bordeau, Aristides de Sousa Mendes, livre qui est édité en octobre 1998 sous le titre de «Le juste de Bordeaux».

José Alain Fralon a été désigné pour suivre le procès Papon, pour crime contre l’humanité, pour le compte du journal Le Monde, procès qui s’étale du 8 octobre au 2 avril 1998.

À Bordeaux, José Alain Fralon rencontre Gérard Boulanger, éminent avocat, militant des droits de l’homme, essayiste et homme politique français. À cette date le Comité Aristides de Sousa Mendes venait tout juste de se créer, en octobre 1987, au moment où s’achève à Lyon le procès de Klaus Barbie, par quelques personnalités, notamment le père Bernard Rivière, Manuel Dias Vaz et Joaquim Nogueira. La connexion se fait entre le Comité, José Alain Fralon et Gérard Boulanger.

José Alain Fralon se passionne pour le sujet, écrit et édite de livre sur le Consul de Bordeaux. Il ira jusqu’à écrire la synopsie du film «Désobéir» sorti en 2008 et réalisé par Joël Santoni, sur l’acte héroïque d’Aristides Sousa Mendes. Cette fiction a reçu le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.

José Alain Fralon, grand reporter en Afrique, a couvert, par ailleurs, la guerre du Kosovo et le procès de Nicolas Ceausescu. Il éditera de nombreux livres, notamment une dizaine de biographies, dont «Baudouin, l’homme qui ne voulait pas être roi» et des essais, tels «Le journalisme avant internet» et «Les secrets du Tour de France».

.

(1) Promotion des Saints. Dans notre cas, promotion de Salazar

(2) Il y a beaucoup de légendes sur le problème de santé de Salazar. Un document manuscrit du pédicure de Salazar, Inácio, et daté du 1 août 1968, raconte que Salazar est tombé en s’asseyant sur sa chaise. Il avait pour habitude de se laisser tomber sur la chaise fortement avec tout son poids. Cette fois-ci, la chaise n’a pas tenu et s’est fracassée. En tombant, il se serait fait mal. Dans le journal de Salazar, la date évoquée est du 2 août. D’autres disent qu’il a eu un AVC. On n’est toujours pas totalement certain du problème de santé qui a importé Salazar.

Marcelo Caetano a pris les rênes du pouvoir au Portugal peu de temps après l’accident ou le malaise de Salazar, le 28 septembre 1968. Pendant les deux dernières années de vie, alors que Salazar était souffrant, on lui a fait comprendre qu’il gouvernait encore le Portugal !