L’Ambassadeur du Portugal ouvre l’Ambassade pour cette Journée du Patrimoine

En cette Journée du Patrimoine, c’est l’Ambassadeur du Portugal, Jorge Torres Pereira qui nous guide dans une visite au 3 rue de Noisiel.

 

Au début… c’était le chocolat

J’ai visité il y a quelques mois le village de Noisiel – où tout a commencé – à une trentaine de kilomètres de Paris vers l’est, là où des moulins puisant la force de la Marne fournissaient l’énergie pour la véritable chaine de production de la première chocolaterie moderne d’Europe.

D’ailleurs le «Moulin de Saulnier» est un immeuble classé et digne représentant de l’archéologie industrielle du siècle dernier.

Des recherches d’un pharmacien, avec fleuron à Paris, spécialiste de préparations de pharmacopée diverse, vint le «know how» des dragées aux propriétés séduisantes du chocolat. La tablette de chocolat fut inventée. Le fondateur et ses fils, les Meniers, devinrent riches, très riches (et même de nos jours propriétaires de Chenonceau!).

L’argent du chocolat donna à Menier fils les moyens d’acquérir un terrain important dans les alentours des villages d’Auteil et Passy dont la «consolidation» urbaine formait déjà le XVIème arrondissement.

Emile Menier acheta 10.615 mètres carrés, d’une topographie assez irrégulière d’ailleurs, menant à bout le plan d’ouvrir deux nouvelles rues, Noisiel et Charles Lamoureux. On croit qu’Émile Menier avait initialement l’intention d’y bâtir son hôtel parisien, mais finalement il l’a fait ailleurs, par l’architecte Henri Parent. L’Hôtel Menier, justemment, au 5 avenue Van Dick.

Ce désistement (désinvestissement dirait-on aujourd’hui) a permis à Monsieur Raphael-Georges Levy (d’une famille liée á la haute finance) d’acquérir une partie du terrain en question pour y construire son Hôtel a lui. Le plan est du 13 juillet 1906 et c’est tout à l’honneur du talent de l’architecte Louis Parent (neveu d’Henri Parent) d’avoir trouvée cette solution simple et élégante au défi de la forme du terrain: la distribution du rez de chaussée place la salle à manger à la tête des salons, distribués en deux galeries, qui y mènent.

La sœur de Raphael-Georges Levy, Mathilde, épousa Daniel Meyer qui était cousin (du côté de sa maman) d’un certain Marcel Proust…

C’est à Raphaël-Georges Lévy que Proust s’adressera après la mort de ses parents, pour bénéficier de conseils sur les placements boursiers. Il y a des lettres échangées. Proust n’habitait pas loin et il était bien plus jeune que le financier. Quoi de plus probable que pour éclairer une décision importante, Marcel ne se décide à un déplacement chez son mentor en gestion de fortunes?

Il y a, en ce que je vous dirais ensuite, un acte de foi, je suis prêt à le concéder, mais je vous invite à reconnaître dans l’ambiance des salons que vous allez visiter, les traces, les vestiges de la présence d’un jeune Marcel Proust, habillé en dandy, se réjouissant des belles proportions de cette moderne demeure et de l’élégance du décor.

Éclate la guerre de 1914. Lévy refuse d’évacuer Paris et transforme son hôtel particulier en hôpital militaire, se réservant pour sa femme et lui-même deux modestes chambres. De 1914 à 1919, cet hôpital soignera, selon ses vœux, de simples soldats et ce à ses frais. Il sera aidé dans cette tâche par le chanoine Cornette, fondateur des Scouts de France.

Il était déjà Conseiller municipal de Deauville depuis 1900 (Proust le visita dans sa villa de Deauville) et en 1920 Raphaël-Georges est élu Sénateur de la Seine. Hélas, sa santé se détériore et, en janvier 1927, il annonce à ses électeurs qu’il ne sollicitera pas le renouvellement de son mandat sénatorial.

Pendant les trois dernières années de sa vie, il ne quitte plus son hôtel particulier. Celui-ci devient un salon littéraire et artistique que ne dédaignent ni le Roi des Belges, ni le Président de la République chinoise.

Il reçut de sa vie nombreuses décorations, dont Commandeur de l’Ordre du Christ du Portugal.

Décédé en 1933, sa famille décide de vendre la propriété.

En 1936, le 1er janvier, l’État portugais achète l’immeuble au prix de 2.400.000 francs anciens pour y installer et la Résidence de l’Ambassadeur et la Chancellerie.

L’Ambassadeur s’installa, quelque temps s’écoula. Mais la chute de Paris survint, l’Ambassadeur déménagea, et l’immeuble restera cinq années à l’abandon, les murs et les meubles soumis aux froids des hivers de Paris, sans chauffage, et avec des problèmes de toiture importants.

Le 22 février 1945 l’Ambassadeur Augusto de Castro, en retournant à Paris et revisitant l’immeuble, écrivait au Ministre qu’il avait ressenti «une impression proche de celle qu’a eu le Créateur avant la Genèse. (…) l’image renouvelée du rien… un hôtel particulier transformé en une vaste galerie comme celle qui a précédé le Monde (…) avec quelques meubles, plein d’ordures et glaciale (…)».

Un rapport des services d’inspection diplomatique d’avril 1945 se plaint de l’énormité des dépenses nécessaires non seulement à la restauration, mais aussi à la manutention de l’immeuble de vastes dimensions, «d’un grand nombre de salles et salons, d’une profusion de fenêtres de taille monumentale, d’un labyrinthe d’escaliers, de couloirs et petits coins qui exigent un personnel nombreux pour son nettoyage».

L’état décida alors de confier au plus illustre architecte portugais de l’époque, Raul Lino (Directeur Général des Monuments Nationaux) la mission de redonner la gloire requise pour la Résidence d’un Ambassadeur à Paris. Nous avons ses rapports, notamment d’aôut 1946, qui rend compte des acquisitions qui ont été faites dans le marché de meubles d’antiquités de Paris, «abondantissime» dans ses mots. Comme dans d’autres travaux sous sa responsabilité à l’époque, pour compléter la décoration de l’Ambassade, il fera venir des panneaux et autres détails de demeures palatiales portugaises disparues avec le temps.

En 1947 tout était prêt pour le retour.

Seize Ambassadeurs s’y sont succédés depuis.

Le brille retourna au 3 rue de Noisiel.

 

Jorge Torres Pereira

Ambassadeur du Portugal en France