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Le cinéma… les cinémas portugais : l’année dédiée au Portugal continue à la salle Aéronef de Lille

La programmation de l’année dédiée au Portugal, à la salle de spectacle de Lille, Aéronef, continue. Les 14, 15 et 16 mars, les temps forts ont été le cinéma et le rock made en lusitanie.

Un public averti a pu se plonger dans l’histoire du cinéma portugais, le jeudi 14 mars. En fin de soirée, deux œuvres de Manoel de Oliveira ont été projetées. Manoel de Oliveira est, sans nul doute, le réalisateur portugais le plus connu, détenteur de plusieurs records, notamment de celui de la plus longue carrière.

Né en 1908, Manoel de Oliveira réalisa son premier film à l’âge de 21 ans, on était dans la crise de 29. Il achève son œuvre, en arrêtant de tourner, juste avant de nous quitter, à l’âge de 106 ans.

Petite anecdote sur Manoel de Oliveira : alors qu’il était hospitalisé à Porto, un ou deux ans avant de mourir, il a tout fait pour sortir de l’hôpital prétextant, auprès des médecins et infirmières, « ne pas avoir le temps d’être malade ». Quelques uns d’entre nous diront « quel grand malade ! », tandis que d’autres se rappelleront du dicton, à la manière d’Henri Salvador : « Le travail c’est la santé… ». Salvador, lui n’a « travaillé », chanté, que jusqu’à 90 ans !

Le programme de la soirée dédiée au cinéma portugais a débuté par une conférence de Jacques Lemière qui avait pour titre : « Petit pays, grands films, singularité du cinéma portugais ».

Après l’apéro dînatoire proposé par Electrico Lisbon Urban Food, la salle se remplit pour visionner le premier film de Manoel de Oliveira, « Douro, Faina Fluvial ». Film muet, projeté avec l’accompagnement musical du groupe Climats. Un beau mélange, un bel échange entre l’écran et la scène.

Pour terminer la soirée, 1h52 minutes pour assister à la projection du film du papy du cinéma mondial, « Non ou a vã Glória de Mandar » tourné en couleur en 1990.

Alors que la caméra dans le cinéma de Manoel de Oliveira bouge peu, nous avons été surpris par son film de 18 minutes « Douro, Faina Fluvial ». Alors qu’à l’époque les techniques n’étaient pas celles de nos jours, on a eu l’impression que la camera bougeait beaucoup, se déplaçait. En conversation avec Jacques Lemière, il nous a fait remarquer que cette illusion nous est donnée grâce au montage, à alignement des séquences. À 21 ans Manoel de Oliveira nous fabrique une œuvre, un chef-d’œuvre sur les abords de Porto, le travail de l’homme, le travail de l’animal… une carte postale de l’époque, un documentaire datant d’il y a 90 ans.

Le film de fin de soirée, « Non ou a vã Glória de Mandar », a été imaginé par le cinéaste portugais en 1976, mais il n’a été tourné qu’en 1990. Ce film évoque plusieurs siècles de l’histoire du Portugal raconté par des soldats qui vivent, eux aussi, leurs histoires, l’histoire de la Guerre coloniale, de sa fin avec l’arrivée de la liberté, le 25 Avril 1974, liberté non gouttée par les uns et à laquelle d’autres sont arrivés avec des blessures, alors que la révolution n’a pas fait de victimes !

Pendant les 3 premières minutes du film, la caméra filme un arbre, fait le tour de l’arbre… quel symbole, que veut dire Manoel de Oliveira ? Veut-il nous dire qu’il va faire le tour de l’histoire du Portugal ? L’attente se prolonge avec l’arrivée au loin de trois camions avec des soldats qui défendent le Portugal colonial… des soldats qui défendent quel Portugal, le Portugal de qui ? La caméra s’attarde sur chaque soldat, sur chaque visage… le spectateur comprend, même avant que les premiers mots du film soient entendus, 8 minutes après le début de la projection, quel rôle, quel message chaque soldat, chaque artiste, va nous transmettre. Un Portugal construit grâce à des victoires, mais aussi de défaites… telles qu’Alcacer Quibir.

Il y a de cela quelques années nous avons visité le Musée de Lille. Nous avons été interpellés par un tableau : une toile blanche… déconcertant… elle ne représente rien… elle représente toute, à nous visiteur d’y mettre nos idées, nos joies, nos tristesses… L’arbre du début du film de Manoel de Oliveira, la longue attente de 8 minutes, n’est-elle pas, aussi, une toile blanche… à nous d’y mettre nos idées, de faire travailler l’imaginaire.

Nous y avons vu, nous qui écrivons ces lignes, dans les racines de l’arbre, le début de l’histoire du Portugal… nous y mettons Viriato. Le tronc de l’arbre, représente le Portugal, le pays le plus ancien du monde… ses branches qui grandissent, c’est les apports des uns et des autres, les batailles gagnées. Il y a des branches qui se meurent… des batailles perdues. Les huit minutes d’attente ne représentent-elles pas la longue historie du Portugal, mais aussi la longue attente de la liberté, de la liberté retrouvée… le 25 avril 1974.

Les films de Manoel de Oliveira sont longs… ils se prolongent bien au-delà de la projection… ils nous font réfléchir sur le symbolisme, le message… même si, Manoel de Oliveira dit ne pas vouloir mettre des messages dans ses films, pour lui « les messages sont transmises par la Poste ».

Pour bien appréhender l’histoire présente et passée du cinéma portugais, il faudrait lire des livres et des articles, notamment ceux écrits par Jacques Lemière, le grand spécialiste, au niveau mondial, du cinéma portugais : « un petit pays, grands films ».

Jacques Lemière est un enseignant-chercheur en sociologie et anthropologie à l’Université de Lille, auteur de : « Le cinéma comme interpellation du pays, parcours de cinéastes, événements politiques et idée nationale : le cas du cinéma portugais après avril 1974 ».

Jacques Lemière a créé en 1990 l’association Cineluso pour la connaissance du cinéma portugais et les journées du cinéma portugais de Rouen.

Nous allons essayer, au risque de déformer les propos du conférencier, de vous donner des repères pour comprendre le cinéma portugais, conférence passionnante d’un passionné du cinéma lusitanien : Jacques Lemière.

Impossible de parler de cinéma portugais sans parler évidemment de Manoel de Oliveira. Il aimait la Croisette, et la Croisette l’aimait, même s’il n’a pas trop monté les marches… ses films étant souvent projetés en dehors de la Palme.

Manoel de Oliveira a traversé les temps : du filme muet noir et blanc, en passant par le cinéma couleur en 1956… en fin de parcours, le cinéma numérique.

Oliveira est un représentant des cinémas et non du cinéma portugais, même si le cinéma portugais a ses caractéristiques propres. Il est le cinéaste de plusieurs modernités, cinéaste pour lequel le théâtre est le synthétiseur de tous les arts… pour lui, il faut comme que monter un théâtre, des scènes de théâtre devant la caméra sinon, selon lui, il n’y a rien à filmer.

Parler de Manoel de Oliveira, c’est parler des débuts du cinéma portugais.

Dans les années 1930-1940 on est au début de l’Estado Novo, avec l’arrivée de Salazar au pouvoir. Le cinéma portugais dans ces années là est vu comme un art populaire… « A canção de Lisboa ». On a à faire au cinéma nation, le cinéma du chansonisme, le cinéma édifiant, le cinéma historique.

Les années 1950, c’est le grand vide, le peu d’argent servira pour la réalisation des films dont le thème est : le football, le fado, la tauromachie.

Les années 1960 voient arriver, un cinéma nouveau, la nouvelle vague. On peut citer les noms des réalisateurs tels que Paulo Rocha, Fernando Lopes, Pedro Vasconcelos. Ce qu’on appellera l’École Portugaise arrivera dans les années 1970-1980. Le maître, Manoel de Oliveira évolue vers le modernisme portugais, un cinéma plus réaliste, on filme le Portugal, on filme par exemple Tràs-os-Montes, un cinéma plus personnel, un cinéma qui s’ouvre. C’est un cinéma qui est reconnu au niveau international avant de l’être au niveau national. La critique nationale révise sa critique de tel ou tel film, après avoir constaté une bonne critique au niveau international.

Le cinéma portugais des années 1990 filme la périphérie des villes, filme le réel, filme la marginalité. De noter que les Présidents de l’époque, Mário Soares et Jorge Sampaio sont des grands amateurs et connaisseurs du cinéma.

Le cinéma portugais des années 2000 n’a pas eu la vie facile, les années de crise, la Troïka européenne est passée par là.

Ces dernières années, le cinéma portugais retrouve une certaine vitalité. C’est un cinéma documentaire, on traite le Portugal des ex-colonies, le Portugal rural, le Portugal Insulaire, la situation des ouvriers capverdiens.

Le 4 avril 2017, 100 réalisateurs portugais signent un document en faveur de la liberté créatrice, d’un cinéma non académique dans un pays sans partis identitaires, un pays ouvert aux différences.

Le cinéma portugais, le Portugal tout court, est-il facile à l’identifier, à le qualifier ? L’écrivain Eduardo Lourenço, dans son livre « O labirinto da saudade » nous dit : « Nous sommes enfin ce que nous avons toujours voulu être. Et pourtant, comme nous ne sommes plus en Afrique ni en Europe, où nous ne serons jamais ce dont nous rêvions, nous avons tous émigré collectivement vers Timor. C’est là que brille, selon la nouvelle idéologie nationale véhiculée nuit et jour par notre télévision, le dernier rayon de l’empire qui, pendant des siècles, nous a donné l’illusion d’être au centre du monde. Et peut-être que c’est vrai », une psychanalyse mythique du destin portugais.

L’industrie du cinéma portugais n’a pas de grands complexes et dans les salles obscures 90 à 95 % des films qui y sont diffusés sont Américains, il reste bien peu de place pour le cinéma européen, pour le cinéma portugais.

Le Portugal un petit pays, avec un cinéma de qualité, un cinéma non commercial, le marché étant, aussi, quant à lui, relativement réduit.

Le réalisateur, Paulo Rocha affirme : « un film, c’est de l’art, pas du commercial » et « au Portugal chaque film est une aventure solitaire », il n’a pas non plus de modèle. João Botelho quant à lui, dit que « la culture portugaise est anti-spectaculaire », « dans ce pays on ne parle que des choses graves ».

Le cinéma portugais, un cinéma où les plans, les décors ont une place bien plus importante que le reste.

Malgré tout ce qui vient d’être dit, ne pourrions-nous pas admettre, souhaiter la bienvenue, d’un Cristiano Ronaldo du cinéma portugais ?

L’Aéronef, vendredi 15 mars a donné carte blanche au rock/blues du musicien/vidéaste Paulo Furtado aka The Legendary Tigerman et aux groupes The Poppers et Mazgani.

Pour terminer, le samedi 16, la musique électro portugaise a occupé la scène de 21h00 à 3h00 du matin, avec Niagara DJ Set, Izem et AF Diaphra.