L’histoire d’une montre unique, figée à 5h55 et de son propriétaire, le déporté Paulo da Silva


Des évènements extrêmement douloureux ont, des dizaines d’années plus tard, un dénouement plus heureux, plus humain, plus normal. C’est le cas de l’histoire de Paulo da Silva et de son horloge.

Une histoire, avec une fin unique pour un Portugais. Dénouement en octobre 2020 ou peut-être pas tout à fait, à cette date.

L’horloge restera comme un témoignage important, émouvant. Une montre qui pourrait, probablement, encore fonctionner, mais qui s’est arrêtée à 5h55 pour toujours. Le temps s’est figé un jour de 1944 à ce moment-là.

Paulo da Silva est né le 10 janvier 1908 à São Pedro do Sul (1).

Il n’acquiert la nationalité française que le 9 octobre 1961 et il viendra à décéder le 29 octobre 1996.

Entre ces dates, il y a un hôtel, l’Hôtel du Commerce de Volvic et le début du récit.

En consultant l’histoire de l’Hôtel du Commerce, nous pouvons lire : «Honorable maison pour accueillir les voyageurs, mais aussi les réjouissances familiales. L’établissement vivra sa plus grande tragédie pendant la II Guerre mondiale. Pour son engagement dans la Résistance, la famille Martinon, propriétaire du lieu, sera déportée aux côtés d’autres Volvicois après la destruction du Poste de commandement du 1er Corps franc d’Auvergne par la Wehrmacht le 1 mars 1944. Totalement incendié lors de ces évènements, l’hôtel est reconstruit en 1946».

Paulo da Silva a émigré en France, vers une région où la fabrication de pneus était déjà une activité importante – l’usine Michelin de Clermont Ferrand embauchant, déjà à l’époque des Portugais, toutefois, c’est dans l’hôtellerie qu’on va trouver Paulo da Silva le 1 mars 1944.

Les récits racontent que la région était sous une épaisse couche de neige et que dans la nuit du 29 février au 1er mars, probablement à la suite d’un dénonciation, une Colonne d’une soixantaine d’hommes du Commandement spécial SD de Clermont, quitte cette ville et encercle l’hameau Lespinasse. Ils tuent un Résistant qui occupe le PC de la Résistance, capturent deux autres, incendient le PC et tuent 3 habitants de l’hameau. Après ces méfaits, la Colonne allemande prend la direction de Volvic.

Arrivés dans la ville, les troupes allemandes encerclent la place de l’Église et investissent l’Hôtel du Commerce. Quelques Résistants réussissent à prendre la fuite par des portes de travers de l’hôtel, l’un deux, abat un des officiers responsable du dispositif allemand. Les représailles qui s’ensuivent sont terribles : une fusillade tue de nombreux habitants de Volvic, parmi eux des enfants, 25 personnes sont arrêtées et conduites en prison, 17 seront déportées, 11 n’en reviendront pas après la libération.

Parmi les déportés, des membres du personnel de l’hôtel, dont Paulo da Silva.

Le train qui transporte Paulo da Silva vers l’Allemagne, quitte Compiègne le 21 mai 1944, direction Neuengamme, Paulo da Silva reçoit le numéro de prisonnier 31.228. Le Portugais sera transféré au Commandement de Fallersleben, qui abritait l’usine Volkswagen, son nom figure sur un décompte des prisonniers de ce sous-camp le 27 mars 1945. Paul da Silva déporté, prisonnier, travailleur esclave forcé pour le fabriquant de voitures Volkswagen, qui en cette période de guerre, fabriquait plutôt de l’équipement pour l’armée allemande.

Paulo da Silva finira par être envoyé à Wöbbelin, lieu choisi pour la construction d’un camp de prisonniers de guerre qui, à partir d’avril 1945, devint le point de rendez-vous de plusieurs transports d’évacuation. Wöbbelin sera libéré le 2 mai 1945, date à laquelle Paulo da Silva sera lui aussi relaxé.

Contraint, comme tous les prisonniers, de remettre ses affaires lors de son arrivée dans les camps de concentration, Paulo da Silva a laissé sa montre à Neuengamme et c’est là qu’elle sera récupérée et remise à l’ITS. Les aiguilles de cette petite montre, à bracelet en cuir usé, vont se figer à 5h55.

Dans nos recherches, nous aboutissons sur les archives allemands Arolsen, Centre international de recherche de la percussion nazi. Nous écrivons dans le moteur de recherches en ligne de ce centre, des noms à consonance portugaise, et quoi de plus normal que le da Silva. C’est là que, parmi d’autres, apparaît le dossier de Paulo da Silva, et à notre grande surprise, des photos d’une horloge qui a appartenu au déporté d’origine portugaise.

Le but de ce type de recherches faites par 25 mille passionnés, chercheurs, généalogistes… est de remonter l’histoire en retrouvant d’anciens déportés ou familles et de restituer l’objet appréhendé, non détruit par les nazis, et qui est consigné dans les archives allemandes.

Notons que, dans le même train parti le 21 mai 1944 de Compiègne, 4 autres Portugais faisaient partie du maudit voyage, direction des camps de déportation : Manuel João, qui a reçu le numéro de prisonnier 31.366, Richard (Ricardo) Lopes, né à Lisboa, mais identifié comme français, et deux autres Portugais, dont on ne sait rien de plus et dont les noms sont probablement tronqués : Dominique Dagougna (Da Cunha ?) et Manuel Barrera-Gornez (Barreira Gomes ?).

Né à Loulé, le 31 décembre 1891, Manuel João, identifié comme français, fut détenu pour des raisons inconnues et finalement transféré à Bergen-Belsen, où il ne survivra pas aux conditions inhumaines du camp. Le 25 avril 1945, dix jours après que les Britanniques aient franchi les portes de Bergen-Belsen, il meurt à l’âge de 53 ans.

Seulement deux objets appartenant à des Portugais ont été retrouvés et consignés, provenant des Camps de concentration allemands. Dans la liste des biens collectés sur le terrain, à part, l’horloge de Paulo da Silva, il y a aussi une autre montre et une alliance appartenant à Manuel João, pas encore restitués.

Paulo da Silva rentre de déportation et se réinstalle à nouveau à Volvic. En 1969 il acquiert la nationalité française, francisant son prénom en Paul, date probable de la création de son entreprise, qui va travailler sur une carrière de pierre volcanique de Volvic et fabriquer des monuments funéraires.

L’établissement Paul da Silva, pour la partie exploitation de la carrière, était située Route de Clermont, là où il réside, à Volvic et Route de Marsat, en ce qui concerne la partie marbrerie et monuments funéraires.

Paul da Silva restera célibataire toute sa vie. Le 29 octobre 1996, il meurt à l’âge de 88 ans. C’est une dame portugaise, qui le soignait, qui fera à la Mairie la déclaration de son décès. Paul da Silva est enterré au cimetière de Volvic.

Sans héritiers, ce sont des neveux habitant au Brésil, qui sont venus en France, pour l’occasion, afin de vendre les biens de leur oncle.

L’histoire pourrait s’arrêter là.

L’historien et chercheur espagnol António Munoz Sanchez, remet à Teresa Albino, du Museu Nacional da Resistência e da Liberdade de Peniche (2), le 16 octobre 2020, l’horloge de Paulo da Silva.

Cet horloge (3), plein de symboles et d’histoire, fera peut-être partie de l’exposition permanente du Musée de Péniche, en travaux actuellement, qui doit rouvrir le 27 avril 2024, date commémorative du cinquantenaire de la libération des prisonniers politiques de ce lieu d’enfermement du régime de Salazar.

Exposé, l’horloge révélera au grand public toute sa signification et son caractère unique pour un Portugais… l’histoire qui se prolongera par cet important témoignage matériel.

Notes :

(1) Sur le lieu exact de naissance de Paulo da Silva, des doutes persistent. Dans des documents, il est indiqué comme étant né à Vinhas, São Pedro do Sul. Il n’y a aucune commune avec ce nom dans le «Concelho» de São Pedro do Sul. Nous avons effectué des recherches dans les baptêmes de toutes les paroisses de cet arrondissement et n’avons trouvé aucun Paulo da Silva. Dans d’auteurs documents on parle de sa naissance à Vale da Vinha (São Pedro de Alva), Penacova, pas non plus de Paulo da Silva trouvé dans nos recherches. Peut-être, doit-on conclure qu’il serait né à São Pedro do Sul, mais baptisé dans un autre arrondissement. Les archives des demandes de passeports au Portugal, n’ont pas permis non plus de révéler le lieu de naissance précis.

(2) Par là sont passés de nombreux prisonniers de la PIDE, dont Álvaro Cunhal, entre 1951 et 1959, fondateur du parti communiste portugais. Avant de s’en échapper, Álvaro Cunhal, très bon dessinateur, y a réalisé de nombreux dessins au fusain, qui ont fait partie d’une édition spéciale en décembre 1975.

(3) Suggérons que l’heure de l’horloge soit figée à 5h55, comme le montre les archives de Arolsen dans ses photos et non 5h50 comme dans d’autres images plus récentes.