Un livre par semaine: «Poèmes de la mémoire et autres mouvements», de Conceição Evaristo

Née en 1946 dans une favela de Belo Horizonte, blanchisseuse et domestique à l’âge de 8 ans, institutrice, titulaire d’une thèse en Littérature comparée où elle réhabilite la voix des poètes afro-descendants, hommes et femmes dont les aïeux ont été arrachés à leur terre natale pour servir d’esclaves au Brésil, Conceição Evaristo a fait de son parcours et de son écriture un combat pour les droits de toutes les composantes sociales et culturelles de la société brésilienne et pour la restauration de la mémoire des millions de victimes de la colonisation et de l’esclavage.

Lauréate de plusieurs prix littéraires, trois de ses romans ont été traduits en français. «Poèmes de la mémoire et autres mouvements» (éd. des femmes, 2019, bilingue, traductions de Rose Mary Osório et Pierre Grouix) est son premier recueil de poèmes traduit en français.

Sans se livrer à un lyrisme compatissant, Conceição Evaristo nous fait entendre ici sa propre voix ainsi que celles des «minorités», notamment de la population noire dont la mémoire n’est pas transmise par l’histoire, comme dans le poème intitulé «Voix-Femmes»: «La voix de mon arrière-grand-mère / a fait écho à une enfance / dans les cales du navire. / A fait écho aux lamentations / d’une enfance perdue. / La voix de mon aïeule / a fait écho de l’obéissance / aux Blancs-maîtres de tout». Et parmi ces femmes il y a aussi Joana Josefina, sa mère, à qui elle rend hommage: «C’est ma mère qui m’a fait sentir les fleurs / écrasées sous les pierres; / les corps vides au long des trottoirs / et qui m’a appris, j’insiste, c’est elle, / à faire du mot un artifice / l’art et l’office de mon chant, / de ma parole».

Puisant son écriture dans le quotidien et dans les souvenirs («Je suis une éternelle naufragée, / mais les profondeurs des océans ne m’effraient / ni ne m’immobilisent. / Une passion profonde est la bouée qui me tient hors de l’eau. / Je sais que le mystère subsiste au-delà des eaux»), ce recueil de Conceição Evaristo, publié dans un contexte politique particulier au Brésil, résonne comme un cri de résistance et d’espérance.