Fortunato Nogueira, un poilu portugais. José, son petit-fils, se souvient

Sur la fiche du Corpo Expedicionário Português on peut lire: «Companhia Automóvel, Praça de identidade 29.627, Fortunato Nogueira, soldat 756 de la 5ème S, fils de José Nogueira, décédé et Maria Mineiro, décédée, né à Fafe, famille la plus proche vivante, sa sœur, Joaquina Nogueira, habitant à Galens.

Fortunato Nogueira, a embarqué à Lisboa le 26 septembre 1917, débarqué à Brest le 5 octobre 1917. Il a été évacué du front militaire, afin d’être rapatrié pour devoir se reposer plus de 30 jours. Il a embarqué afin de rejoindre le Portugal dans un bateau anglais le 09 septembre 2018 et il a été démobilisé le 24 octobre de la même année».

José da Fonseca Nogueira, petit-fils de Fortunato Nogueira, habite dans le Nord de la France, nous le rencontrons tous les ans aux cérémonies de la Bataille de la Lys. Des souvenirs de son grand-père… il en a gardé.

 

José pouvez-vous nous parler de l’enfance de votre grand-père?

Mon grand-père paternel a perdu ses parents fortunés quand il était bébé. C’est sa sœur, vingt ans plus âgée, qui l’a nourrit au sein. Elle venait d’avoir un enfant au moment de la naissance de son frère Fortunato. Mon grand-père a grandi dans la maison de ses parents, en compagnie de sa sœur, de son beau-frère et de son neveu. Il aimait nous raconter qu’une de ses distractions préférées était d’aller dans une grande caisse en bois, il prenait une poignée de pièces en or et c’est avec cela qu’il jouait. En grandissant, il est devenu le soufre douleurs de son beau-frère, il le persécutait et le violentait. Le beau-frère voyait probablement en lui un héritier de trop. Il le faisait travailler comme un forçat dans son entreprise de construction. Adolescent, Fortunato sentait en lui comme qu’un sentiment de révolte, il avait envie de répondre par la violence, chose qu’il n’a pas fait par respect envers sa sœur.

 

L’adolescence de Fortunato Nogueira, malgré la richesse familiale, a été difficile, raison pour laquelle il s’est engagé dans l’armée?

Oui, il se confiât à sa sœur. «Je pars à l’armée, car si je reste ici, je vais tuer ton mari». Il a été mobilisé dans l’armée portugaise pour aller défendre les territoires portugais en Inde. Il y restera quatre longues années. De retour à Lisboa et sans même rentrer chez lui, dans le nord du Portugal, ordre lui est donnée d’embarquer pour la France. Chose qu’il fera le 26 septembre 1917, dans un bateau anglais jugé plus rapide que les bateaux portugais. En France, il est venu atterrir à Neuve Chapelle, dans le Nord.

 

Quatre ans dans l’armée en Inde et une année en France lui ont laissé des souvenirs?

Il aimait me raconter un peu son histoire. Mes parents portugais et moi-même avons émigré en France fin 1969. Par le pur hasard, notre destination a été Loos, à quelques pas de Neuve Chapelle, là où il a connu l’enfer. Il me racontait qu’il connaissait toute la région et s’il revenait sur les lieux, il les reconnaîtrait. Lieux où tant de ses collègues sont tombés, il citait de chiffre de 5.000 hommes. Il me disait souvent avoir beaucoup souffert à Neuve Chapelle, à Loos et dans les alentours. Ils étaient accostés aux Anglais avec qui ils s’entraînaient. Anglais qui leurs donnaient des munitions, mais en nombre trop réduit.

 

Quand il est arrivé en France, il a été affecté à qu’elle Compagnie?

La raison pour laquelle il disait connaître la région était sûrement en rapport avec le fait qu’il fût affecté à la distribution du courrier, à cheval, à tous ses collèges éparpillés sur Loos, la Chapelle, la Bassée, Armentières, Béthune et bien sûr Neuve Chapelle.

 

Fortunato Nogueira, votre grand-père, a gardé une mémoire des lieux et des petites françaises n’est-ce pas?

Je me souviens, au début des années 80, quand je descendais au Portugal, alors qu’il était encore bien énergique et qu’il marchait deux fois plus vite que mon père et moi à travers montagnes et forets, il me demandait en Français «c’est quand que tu me ramènes une mademoiselle française?» Chose étonnante, il avait encore le souvenir de pas mal de phrases en français. Il m’a raconté qu’il faisait très, très froid en France, à telle point que la Deule était tellement gelée qu’ils l’ont traversée avec leur camion du coté de Loos. En France il a souffert de la faim. Il me disait qu’ils mangeaient des pelures de patates et des betteraves que les demoiselles leur ramenaient. Il racontait qu’ils vivaient au milieu de souris, le Portugal les avaient vendu et oublié.

 

Il parlait souvent des demoiselles, toutefois les Portugais n’étaient, selon lui, pas toujours bien accueillis par les habitants des lieux qu’ils fréquentaient…

Un jour ses collègues et lui, ils sont allés demander des restes dans un restaurant. Ils y allaient de temps en temps. Ils se sont vu entendre par la patronne: «Ici il n’y a rien pour les Portugais, partez, partez». Ils ont compris qu’à l’intérieur et sûrement dans la salle arrière, il y avait des Allemands. Les Portugais ont fini par les encercler et les tuer. Il lui arrivait d’être parfois près des Allemands, il les voyait. Alors, je lui ai demandé: «Vous ne tiriez pas dessus?» Il me répondit: «J’étais seul, mais quand on pouvait, on tirait, on tirait sur un… et il en arrivaient cinq… on dirait qu’ils se multipliaient sans cesse. Plus on en tuait, plus ils en venaient», me disait-il. Il me racontait que «ma demoiselle aimait bien les Portugais» et qu’il lui est arrivé d’aller faire des travaux à la ferme. Mon grand-père a pendant toute sa vie eu le pressentiment d’avoir laissé un fils en France.

 

Fortunato Nogueira gardera des séquelles de sa venue en France pendant la Grande Guerre? Que vous a-t-il raconté?

Pendant le printemps 1918, en traversant un pont à cheval, il a reçu une balle dans le bas de la jambe. La balle lui sectionna le tendon. Dans la souffrance, il dit avoir dû ramper dans la nuit, au milieu de la boue. Quelques jours plus tard, une bombe est tombée à quelques mètres de lui, il a reçu la chaire d’un de ses collègues. Il me disait, j’ai ici sur la jambe de la chaire d’un de mes collègues, de la chaire qui a collée à la mienne. Sa jambe étant infecté, le docteur voulait la lui couper. Il a refusé et répétait: «Je préfère mourir entier». Il est finalement rentré au Portugal blessé et un peu sourd mais… vivant. Sa jambe a fini par guérir, il rentra chez lui à Golaes, Fafe. Son beau-frère était devenu très important dans la région. Il dirigeait la construction d’importants sites de Fafe et embaucha mon grand-père pour diriger l’aménagement du site de Penha, à Guimarães.

 

A-t-il reçu une pension pour sa venue en France et pour ses blessures?

Quelques années plus tard, un collègue lui apprend qu’il aurait dû être médaillé et toucher une pension, lui en avait une. Un jour, mon grand-père s’est rendu chez un Major qui habitait dans la région et ce Major, après l’avoir entendu, lui répondit «tu sais Fortunato, quelqu’un d’important se met ta pension dans la poche». Mon grand-père, si près de la fortune, c’est fait même dérober sa petite pension de guerre!

 

Votre arrière-grand-père était riche, mais votre grand-père n’a pas profité?

Mon grand-père a soulevé la conversation sur la fortune de ses parents à plusieurs reprises. Question qui rendait sa sœur silencieuse et son beau-frère colérique. Fortunato, mon grand-père, m’a dit qu’il avait été voir le Curé de Fafe, lequel avait du pouvoir à cette époque. Celui-ci lui a répondu: «Je connais bien ton histoire, mais ton beau-frère est devenu intouchable. Si tu continues à demander ta part, je ne serais pas étonné que l’on te retrouve sans vie un de ses jours». Pour finir, mon grand-père a quitté son travail, s’est marié et créa sa nouvelle famille. Son beau-frère, lors d’une bagarre, a tué un homme et il a fini sa vie dans l’ombre. Il aurait même fait une maison sous terre pour pouvoir se cacher. Il aurait lapidé une grande partie de la fortune pour étouffer son meurtre, en arrosant entre autres, ses amis.

 

Qu’elle famille Fortunato Nogueira a-t-il fondé?

Mon grand-père est devenu père de huit enfants, quatre filles et quatre garçons. Il a vécu dans la pauvreté. Il a beaucoup travaillé sur les terres des autres. Dans les dernières années de travail, il fut meunier dans la Quinta do Saleiros, à Balsa Regadas. Il a, là-bas, crée et aménagé «L’île des Amours», des «leiras» séparées par des murs de pierres. Toute la terre a été transportée à dos dans des paniers en osier avec l’aide de ses enfants, en particulier celle de mon père.

 

José, vous avez des regrets. Toutefois, en nous racontant l’histoire de vote grand-père Fortunato, c’est vote façon de lui rendre hommage?

Il est décédé après une crise cardiaque, en avril 1982. Il a attendu cinq jours, avant de partir… le temps que mon père arrive de France. Il est décédé dans ses bras. Ses derniers mots ont été «toi, tu es venu. Il me manque ton frère du Brésil, mais lui, il est trop loin…» et il s’est éteint. Depuis, je pense à lui souvent. Il n’a pas connu ma mademoiselle française à trois mois près. Elle est née là où il a tant souffert. J’aurai tant, tant voulu le ramener ici. Je suis sûr qu’il l’espérait, revoir l’endroit où il a souffert du froid, de la faim, des blessures et de cette guerre. Mais c’est déjà trop tard…

 

Émouvante histoire. Une parmi 55.000… le nombre de soldats portugais qui ont participé à la première Guerre Mondiale.

 

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LusoJornal