Celeste Rodrigues est partie et le monde du Fado est triste

On la voyait et l’entendait encore souvent, et jusque fort tard, dans les maisons de fado de Lisboa. Une tournée internationale était prévue pour cet hiver pour honorer ses 75 ans de carrière, qui devait, entre autres, la conduire au Grand Rex, à Paris, pour un concert fin janvier.

Mais Celeste Rodrigues nous à quittés, à 95 ans, ce premier aout 2018. Sœur cadette d’Amália Rodrigues, Celeste fut longtemps éclipsée par la gloire d’Amália, sans en éprouver de ressentiment. Leurs carrières se croisèrent peu, sauf une longue tournée de théâtre musical au Brésil où elles apparurent sur le même plateau. C’était au tout début de leurs vies artistiques. Amália fit la carrière que l’on sait, Celeste demeura le plus souvent à Lisboa, où elle fut à l’affiche de presque toutes les grandes maisons de fado de l’histoire de la ville pendant ces décennies. Elle fut même propriétaire avec son mari (la rumeur dit que sa petite sœur leur donna un coup de main) d’une maison de fado, “A Viela”. L’expérience ne dura que quatre ans, Celeste avouant plus tard un goût extrêmement modéré pour le commerce.

Une présence lisboète cependant entrecoupée de concerts ou de tournées à l’étranger. Ainsi a-t-on pu l’entendre voici deux ans près de Paris dans un concert dont l’initiative revenait en partie à «notre» Mónica Cunha. Et il y a une douzaine d’années nous avions pu assister à la Cité de la Musique de Paris au spectacle-concert “Cabelo branco é saudade”, dans lequel elle partageait le plateau avec deux autres représentants de la «velha guarda» du fado, Alcindo de Carvalho, disparu depuis, et Argentina Santos, et l’alors très jeune Ricardo Ribeiro.

Celeste Rodrigues ne tomba jamais dans le piège de «faire comme sa sœur». Contrairement à beaucoup (trop?) de fadistes d’aujourd’hui qui s’appuient sur le répertoire d’Amália, Celeste prit toujours soin de définir le sien propre, à de rarissimes exceptions près.

Pour beaucoup, dont nous sommes, son interprétation s’est bonifiée avec les années. Même si la voix devenait avec l’âge plus fragile, ou peut-être parce qu’elle le devenait, sa sensibilité s’épanouit, le compasso plus fluide, la sérénité plus visible. Celeste est devenue au fil du temps une grande dame du fado, bienveillante envers ses jeunes collègues, amoureuse de la vie. Une grande perte pour le monde fadiste. Un beau souvenir aussi.