LusoJornal | Dominique Stoenesco

Entretien avec l’écrivain angolais Ondjaki: «Par définition, toute littérature est politique»

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Le 2 juin dernier, l’écrivain angolais Ondjaki était présent à la Librairie Portugaise et Brésilienne, à Paris, pour une séance de dédicaces à l’occasion de la publication de son roman «Grand-Mère Dix-Neuf et le secret du Soviétique» (éd. Métailié, traduction de Danielle Schramm, titre original «Avó Dezanove e o segredo do soviético»).

Né à Luanda en 1977, Ondjaki (pseudonyme de Ndalu de Almeida) est auteur de romans, de nouvelles, de poésie et de livres pour la jeunesse, ce qui lui vaut le prix Jabuti en 2010. En 2013, il obtient le prix J. Saramago pour son roman «Les Transparents». Il a également réalisé un documentaire sur sa ville natale. Par ailleurs, il a ouvert il y a peu de temps, à Luanda, la maison d’édition Kacimbo et la librairie Kiela dont le but principal est de promouvoir la culture, le livre et les auteurs angolais et africains, mais aussi les auteurs de «toutes les géographies de la langue portugaise».

Dans cet entretien accordé au LusoJornal, Ondjaki nous parle de «Grand-Mère Dix-Neuf et le secret du Soviétique», un roman au charme plein d’humour, servi par une écriture élégante et poétique, où il revisite les années 1980, celles de son enfance et aussi celles d’une réalité douloureuse, marquée profondément par une longue guerre civile.

 

Dans «Grand-Mère Dix-Neuf et le secret du Soviétique» vous revenez sur les années de votre enfance, comme dans «Bonjour camarades» ou «Ceux de ma rue».

Tout à fait. «Grand-Mère Dix-Neuf et le secret du Soviétique» est l’un des quatre livres que j’ai écrits sur les années 1980, celles de mon enfance. Je reviens sur les lieux de mon enfance, mais cette fois-ci avec un enracinement plus marqué. C’est un livre autobiographique dans la mesure aussi où cette grand-mère a existé, la plage de Bispo existe, le Mausolée existe, le camarade Agostinho Neto existait, etc. Mais, comme je le dis souvent, j’ai dix-sept grand-mères, et même mille sept-cents, toutes les grand-mères du monde sont mes grand-mères. À Luanda j’en ai dix-sept, alors, quand je dis qu’il s’agit d’une autobiographie à partir de la vie de ma grand-mère, c’est aussi une série d’histoires à partir d’autres grand-mères et d’autres enfants.

 

Ce roman est important pour vous mais aussi pour l’histoire de votre pays…

Les années 1980, donc juste après l’indépendance de l’Angola, qui a lieu en 1975, constituent une période de réorganisation politique et sociale, marquée par les débuts d’un pays autonome. Ainsi, tout naturellement, presque toute la littérature angolaise actuelle, et la mienne également, traversent ces années 1980. Mais en ce qui me concerne, cette période coïncide avec mon enfance. D’autres auteurs, comme Manuel Rui, ou Pepetela, écrivent eux-aussi sur cette période, mais avec un autre regard, puisqu’ils sont d’une autre génération. Par ailleurs, c’était aussi une époque très riche du point de vue du réalisme, non pas du réalisme fantastique mais du réalisme socialiste.

 

À travers vos livres, vous ne vous contentez pas d’observer l’évolution de la société angolaise. Peut-on dire que vous êtes aussi un «auteur engagé»?

Je considère que, par définition, qu’on le veuille ou pas, toute littérature est politique. L’art en général est politique. «Engagé» est peut-être un mot trop fort, mais disons qu’aujourd’hui je le suis plus qu’avant. L’Angola d’aujourd’hui, et même toute l’Afrique, exigent de la part de tous les auteurs, et notamment des plus jeunes, une voix et une opinion claires sur ce qui se passe sur notre continent. Personnellement je ne manque jamais de faire entendre ma voix, bien plus d’ailleurs à travers les interviews qu’à travers mes livres. Néanmoins, mes livres qui abordent des sujets historiques ou qui parlent de la guerre civile, ou bien qui décrivent, comme dans «Les Transparents», les phénomènes de corruption, par exemple, finissent toujours par offrir aussi une lecture politique de la réalité.

 

Quel est votre regard sur la société angolaise actuelle?

En peu de mots, disons qu’il y a eu, ces dernières années, des changements importants en Angola. Tout d’abord, un changement de Président, pas de parti mais de Président, ce qui constitue une avancée, enfin! Par ailleurs, je crois que face à la modernité, l’Angola se heurte aux mêmes complexités que les autres pays du monde. Que ce soit en Afrique ou sur le continent américain, par exemple, la question cruciale est celle des inégalités sociales. C’est le grand défi du XXIè siècle.

 

Et les institutions du pays…

Oui, bien sûr, mais n’oublions pas que nous sommes un continent qui a été découpé, divisé, occupé et combattu par d’autres, et on veut qu’en 50 ans il devienne une démocratie exemplaire! Alors que l’Europe elle-même connaît de graves problèmes. La guerre au Kosovo, pour ne citer que cet exemple, c’était il y a quelques années à peine…

 

Le passage d’un monde rural traditionnel vers un monde urbain, vers la modernité, est un thème récurrent dans vos livres et dans ceux des autres auteurs angolais, comme Pepetela, par exemple…

En effet, de nombreux auteurs, comme Manuel Rui, Luandino Vieira, Boaventura Cardoso, et aussi Pepetela, ont écrit ou écrivent encore sur Luanda. Durant la guerre civile Luanda était une ville sûre, une ville où vivait le Président, où il y avait une paix relative et de l’argent, une ville qui attirait beaucoup de monde. Une capitale qui connaît encore aujourd’hui une arrivée massive de populations venant de tous les coins de l’Angola, du Nord, du Sud, de Malanje, de Cabinda, etc. D’où la difficulté d’expliquer, de comprendre ou d’écrire sur Luanda. Sociologiquement, Luanda est une tour de Babel. Elle est une entité vivante, remplie d’histoires, une ville qui veut être racontée. Les chanteurs de «kuduro» la racontent d’une façon, les écrivains d’une autre…, mais ce qui se passe à Luanda est d’un niveau de fiction bien supérieur à ce que nous sommes capables de faire! J’ai l’habitude de dire que Luanda est une ville qui humilie les écrivains.

 

On observe aussi chez vous une préoccupation permanente concernant l’esthétique du langage.

Oui, c’est vrai. Mais parmi les exemples les plus évidents, dans ce domaine, nous pouvons citer encore Luandino Vieira ou Manuel Rui. Il y a dans leurs textes ce que j’appelle une «oralité urbaine», dont je me revendique également. Mais chacun avec son oralité, très personnelle, qui n’est pas l’oralité traditionnelle, mais qui intervient dans le langage de chacun.

 

Pour conclure, pouvez-vous nous dire quelques mots sur la politique actuelle de l’édition, du livre et de la lecture en Angola?

Je pense que ces questions devraient interpeler davantage la société que le Gouvernement. Je m’explique: actuellement, le soutien du Gouvernement à l’édition, ou à la traduction, dans le but de promouvoir la littérature angolaise à l’extérieur est une action louable, je ne m’y oppose pas. Mais je pense que la priorité devrait être donnée à une action tournée vers l’intérieur du pays, au niveau national. Nous devons donc créer des mécanismes de distribution et d’accès au livre et à la lecture. Pour y arriver, dans un pays où la majorité de la population est pauvre, il y a deux moyens: investir massivement dans l’éducation et faciliter l’achat du livre. Dans ce domaine, je pense qu’il y a encore beaucoup à faire. Bien sûr, il faut construire des hôpitaux, des routes et des écoles, mais l’éducation est essentielle si on veut voir le pays évoluer. On peut tout acheter aux Chinois, mais pas l’éducation d’un peuple…

 

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