Les jardiniers portugais et britanniques de la I Guerre mondiale, dans les Flandres

La photographie proposée par Serge Lee ne résonnerait-elle pas comme un aboutissement de 8 années de recherches généalogiques et historiques, exclusivement basées sur le thème de la présence portugaise en France induite par la I Guerre mondiale ?

Cette photo visualise des anciens soldats britanniques et portugais qui travaillaient pour les Commissions respectives des Sépultures de Guerre. Leur véhicule est immatriculé CEP pour Corps Expéditionnaire Portugais. Elle date des années 1920. Certains hommes portaient des tenues civiles, d’autres des tenues de travail.

S’occuper de déplacer les corps des morts et entretenir les cimetières militaires était un métier. Dans les actes de mariage après-guerre, de ces soldats Alliés avec des Françaises, il était écrit qu’ils étaient jardiniers. Est-ce que dans les années 1920, une différence était faite entre les métiers de fossoyeur et jardinier ? Parce qu’il y en a eu des corps d’exhumés dans cette mort de masse liée à la guerre ! Et pendant des années ! Aujourd’hui le métier de jardinier-fossoyeur existe, sans distinction de l’humain et du végétal.

Les jardiniers étaient les «petites mains». La gestion militaire et administrative des corps était soumise aux décideurs français : les sépultures des soldats morts étant en terre de France, aux décideurs anglais : les sépultures portugaises en Flandres étant essentiellement dans les carrés militaires britanniques, au Gouvernement portugais par le biais des Attachés militaires du Portugal en France.

En juillet 1919, des soldats du CEP (lire ICI) ont commencé à travailler pour la Commission Portugaise des Sépultures de Guerre (CPSG) installée à La Gorgue (Nord). Mission difficile de s’occuper des morts et de les regrouper en un lieu unique, mais nécessaire pour la Mémoire, le «tourisme» familial et mémoriel qui va en découler.

Après maintes recherches et à la lecture de documents des Archives historiques militaires portugaises, cette gestion des sépultures de guerre a été entachée par le suicide, à l’Hôtel du Brésil et du Portugal, à Paris, du Président de la CPSG en 1921, Maximiliano Cordes Cabedo (lire ICI), Capitaine-médecin et par une affaire de falsification de chèques en 1922 qui nomme le Capitaine-aviateur Frederico Pinheiro d’Almeida. Une situation financière grave avait été générée, un manque d’argent pour payer le personnel et la fabrication de tombes pour le cimetière portugais.

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Mais un retour est fait à l’analyse de cette photographie de Serge Lee, qui est importante pour la transmission d’informations. Elle représente la collaboration entre Alliés après-guerre, en Flandres, dans la région de Richebourg. Pendant que les anciens soldats britanniques travaillaient pour l’IWGC (elle deviendra la CWGC : Commonwealth War Graves Commission) au Cimetière militaire du Touret, les soldats portugais travaillaient pour la CPSG. 264 tombes portugaises auraient été déplacées après l’Armistice du Cimetière britannique de Le Touret vers celui de Richebourg (523 pour le cimetière de Vieille-Chapelle).

Albert James Lee, le grand-père de Serge Lee, est visible sur la photo, en tenue civile. Il est né en 1892 à Farnborough dans le Château de l’Impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, château où son père était intendant. Albert y était apprenti jardinier. Lors de la I Guerre mondiale, il s’engage dans l’Armée, est réformé en raison de sa vue. Réserviste en 1916, il est rappelé et envoyé en Extrême-Orient. En 1920, il est recruté par la CWGC et arrive en France en juillet 1921 pour s’occuper de cimetières britanniques. Il rencontrera son amoureuse française qu’il épousera à Richebourg L’Avoué en octobre 1923. Le témoin de mariage était aussi jardinier anglais, Charles Nye.

Albert Lee construira sa maison sur un terrain voisin du cimetière du Touret. Le couple anglo-français est enterré au cimetière communal.

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La CPSG a disposé d’Officiers de liaison avec les services britanniques de la CWGC. Elle était dirigée par un Officier du génie, un Officier d’administration militaire, un Aumônier et présidée par un Capitaine-médecin. A partir de 1919, les corps des soldats portugais ont été exhumés, déplacés,… jusqu’à l’inhumation définitive à Richebourg.

Le ballet d’exhumations et réinhumations des corps a duré plusieurs années.

Deux noms de soldats du CEP sont restés après-guerre dans la région de Richebourg, 2 anciens soldats témoins pour la CPSG des diverses exhumations et inhumations. João de Moraes Cerqueira (lire ICI), présent en 1921 à l’exhumation du corps du soldat inconnu portugais de France, celui qui sera transféré au Monastère de Batalha. João Gaspar, jardinier du Cimetière de Richebourg et futur gardien de l’unique cimetière militaire portugais em France. Ils se sont installés en France et mariés avec des Françaises.

Pour rappel, en juin 1923, l’Attaché militaire du Portugal à Paris, Vitorino Henriques Godinho avait écrit au Ministère français qui administrait l’état civil des Successions et Sépultures militaires, pour demander l’autorisation de déplacer les corps des soldats portugais morts à Hendaye vers le Cimetière de Richebourg. Son adjoint en 1921 était le Capitaine aviateur d’Almeida Pinheiro, cité plus haut. La fonction qui était donnée à celui-ci dans un article de presse du journal La Croix du 2 février 1923 était : «Délégué à la conservation des tombes des soldats portugais morts en France».

Le Portugal dépendait de ses alliés français et britanniques pour la gestion des sépultures de guerre, c’est aussi ce que permet de rappeler cette photographie.

Après-guerre le Quartier Général de la CWGC (lire ICI) était à Longuenesse, près de Saint-Omer. Elle disposait de plus de 150 véhicules pour s’occuper des plus de 700 cimetières à charge en France et en Belgique et la question s’est posée ici de savoir si le véhicule pris en photo dans les années 1920 était britannique, même si l’immatriculation était portugaise ?

Plus d’un millier de jardiniers britanniques ont été recrutés, des civils, mais la plupart étaient d’anciens soldats. Des mariages mixtes en ont découlé, comme pour de nombreuses nationalités impliquées dans la I Guerre mondiale.

Pour le 10ème anniversaire de l’Armistice, le 11 novembre 1928, le Ministre portugais des Pensions, accompagné d’une Délégation d’anciens combattants portugais, de mutilés de guerre et le Ministre français des Pensions ont inauguré le monument commémoratif portugais de La Couture. Ils ont déposé une couronne au Mémorial indien de Richebourg et il a été décidé d’envoyer une couronne au Cimetière britannique du Touret, avec les inscriptions : «The Portuguese allies in Commemoration of the 10th anniversary of the Armistice. 11th novembre 1928». «To all ranks of the Great British army killed in the great war».

Pour reprendre la question de départ, «aboutissement d’années de recherches» ne serait-il pas synonyme d’achèvement ?

La lecture de cette photographie a amené tant d’informations qu’il est difficile d’envisager une FIN.

LusoJornal