LusoJornal / Mário Cantarinha

Opinion: 25 avril 2020: Liberté chérie

L’annonce du début du tout début du déconfinement a été choisi, ce sera le 11 mai, «quoi qu’il en coûte» d’ailleurs, en nombre de vies. Vrai, il faut recommencer à vivre. Entre le risque zéro ou quasi nul de contamination à la maison et celui de finir déshydratés comme les légumes du XXIème siècle, pour cause de disette mondialisée et faute de vie économique, la décision était inévitable, le 11 mai, un autre jour de mai ou plus tard.

Ainsi, en quelques minutes, beaucoup d’entre nous ont imaginé ce jour de libération. Nous n’avons pas connu la guerre et cette première aube de 1918 ou de 1945 pour osciller entre sidération et joie profonde en vérifiant, enfin, sa vie hors de danger. Aussi, beaucoup d’entre nous, n’avons pas connu cette aube nouvelle du 25 avril 1974 où quelques œillets rouges et des Capitaines mutinés sont descendus dans la rue pour annoncer la liberté, après près de 50 ans de vies confinées pour motif dictatorial. Mais Ô combien sommes-nous impatients de sortir un peu plus, d’emprunter les rues habituelles, de croiser des visages amis ou non, de se donner à nos tâches professionnelles et à toutes les autres, de trinquer en terrasse, de reprendre sa libérté «até que enfim» (1). Nul importance si la vie est plus lente et, surtout, si celle-ci ne sera pas tout à fait la même et ce, jusqu’à l’arrivée d’un vaccin bienheureux.

Nous ne sommes pas en guerre sauf que l’ennemi rode sur la planète. La bestiole continuera son tour du monde. Les gestes barrières, les masques, le gel hydroalcoolique, les écrans plexiglass bien installés ne le feront pas disparaître. La menace est effrayante car il va falloir vivre avec ce mal nommé Coronavirus, l’éviter intelligemment, le fuir, s’en protéger définitivement avant de lui faire la peau une fois pour toute. Aussi sournois, cynique et déterminé que la PIDE et d’autres polices politiques d’État, à nous forcer au silence et à nous assigner à résidence jusqu’à nouvel ordre.

Aucune illusion facile ou faux espoir permis étant donné qu’un très faible pourcentage de la population en France comme ailleurs a été attaqué par l’intrus – de l’ordre de 6% (2), c’est peu et c’est loin, très loin d’atteindre ce taux d’immunité collective attendu, preuve que les anticorps auraient gagné sur la mort. Il semble que notre biologie n’a pas été aussi combattive qu’espéré. Ainsi, une grande majorité de la population n’a ni été en contact avec la bête immonde ni n’a développé des anticorps salutaires. Des chars militaires et des Capitaines à la bravoure de la dimension du monde n’y pourraient rien à cette biologie stoïque ou indifférente…

Donc, nous resterons confinés, à un degré plus acceptable, confinés sur nous-mêmes encore longtemps, privés de l’expression et de l’exercice de notre humanité la plus aboutie. En somme, nous sommes condamnés à apprendre à vivre avec le virus mais sans les autres, sérieusement éloignés d’eux.

Des questions à la pelle restent sans réponses ou reçoivent des moitiés de réponses ou bien des réponses contredites, sans cesse, par d’autres réponses, notamment sur la question épineuse du retour à l’école?

Ici, à Metz, le matériel électoral est resté confiné, lui aussi, depuis le 16 mars, après ce 1er tour d’élections municipales qui n’aurait jamais dû se tenir. Quand nous aurons quitté le mois d’avril, lors des premiers jours de mai, les agents scaphandrés de la ville iront désinfecter les 71 sites scolaires. Le 11 mai, seuls les CP et les CM2 sont attendus à l’école, d’après les décisions changeantes comme l’humeur instable du Gouvernement. D’ici le 25 mai, tous les autres enfants rentreront dans leurs salles de classe. Bien entendu, la décision du retour appartient aux parents, donc la scolarisation reste facultative, à la carte, comme les rythmes scolaires en leur temps. La République appréciera le respect de ses plus hauts serviteurs…

Une commande massive de masques, y compris adaptés aux visages des enfants a été effectuée pour tous les foyers messins début mai. Le gel sera disponible, accompagné d’autres précautions, en termes de gestion de l’espace, afin d’assurer la distanciation sociale. Tout sera mis en œuvre afin de garantir une vie, même a minima à l’école. Dans les locaux associatifs qui continuent à sauver des vies en apportant les vivres indispensables, dans les transports publics, dans l’antre public des administrations, nous allons accueillir les usagers, mais dorénavant sur rendez-vous. Le pouvoir local s’organise, anticipe et prend des décisions, sans plus attendre le prochain 20h élyséen. Jamais nous n’aurions pensé devoir organiser le vivre ensemble, un vivre ensemble qui préconise un à deux mètres de distance les uns des autres!

En vérité, cela sera-t-il efficace? Cela sera-t-il suffisant pour endiguer une autre bataille car une seconde vague s’annonce?

Comme vous, j’écoute les experts, médecins urgentistes, virologues, infectiologues, pneumologues et tant d’autres dont les études et les conclusions discordent, et je comprends simplement que nous sommes encore loin d’être sains et saufs. Comme vous, je lis ce que je trouve ou qui me trouve et je me surprends à déchiffrer des études poussives sur certains résultats scientifiques publiés pour me perdre dans beaucoup de doutes d’ordre vital. Je ne vais plus à l’école, si ce n’est aux conseils trimestriels auxquelles je suis invitée comme élue, mais j’avoue soutenir cette catégorie des parents qui préfèreront que leurs enfants apprennent autrement et ailleurs que dans l’enceinte scolaire d’ici la rentrée 2020, trop d’incertitudes dans l’air

Comme vous, je mesure la valeur immense du travail de nos enseignants, qui auront assuré leurs cours à distance aussi parfaitement que possible. Pour autant, la technologie 2.0 à 4.0 – c’est selon notre adresse plus ou moins fibreuse pointant du doigt une fracture numérique réelle sur le territoire, ne substitue en aucun cas leur présence et leur voix physiques, celles qui guident la transmission de la connaissance et la fabrication de femmes et d’hommes citoyen.nes! Comme vous, je mesure le travail immense de nos soignants, si précieux, des mains agiles de la femme de ménage aux gestes précis du réanimateur, sans oublier tous les autres métiers si mal considérés et mal payés qui sauvent et nourrissent, pourtant, notre vie tous les jours. Leur sacrifice dicte l’impératif de recommencer à vivre, mais pas n’importe comment et à n’importe quel prix. Comme vous, je mesure les erreurs fondamentales de «l’avant» liés à la surproduction et à la surconsommation peu qualitative autant que l’urgence d’un autre «après vivable» mais surtout, je mesure l’épreuve du présent, celle de cette vie amputée des autres et, de cette cohabitation invisible malsaine, périlleuse, de plus en plus insupportable avec monsieur Coronavirus. Qui aurait cru qu’un jour, nous serions interdits de fêter le 25 avril ensemble?

L’apprentissage est inédit, exigeant et probablement long. Souhaitons qu’ils nous disent beaucoup de l’avenir que nous souhaitons vivre ensemble à l’école, à la Mairie, au travail, à la maison, à l’Assemblée nationale, à l’Élysée même, sans redevenir des êtres pressés par le temps, apathiques, faussement obligés de produire et d’accumuler à tort et à travers, oubliant que nous avons une âme qui mérite d’être laissée libre, pour mieux respirer, pour mieux se nourrir aussi.

Aujourd’hui, 25 avril 2020, n’aura jamais été autant celui de la Liberté chérie, privée de l’hommage dû, drame viral sanitaire oblige. Prenons garde, même une fois tirée d’affaires afin de ne pas être livrés corps et âmes à nos portables filés chaque seconde de notre vie. Les œillets tardent à éclore, les roses davantage malgré un soleil résilient qui fait comme si de rien n’était et nous ordonne néanmoins de l’être autant que lui.

Il y a 46 ans, «a madrugada» (3) du 25 avril cria au monde «Viva a Liberdade!» (4) Pour la première fois dans l’histoire de la démocratie portugaise, l’Avenue de la Liberté lisboète et le pays tout entier seront privés de défilés aux cœurs et aux mains remplis d’œillets rouges. Nous chanterons au balcon ou aux fenêtres «(…) Terra da Fraternidade, Grândola Vila Morena, Em cada rosto igualdade, O povo é quem mais ordena (5) (…)» là-bas et partout où se trouvent les millions d’héritiers du 25 avril à travers le monde.

Jamais ce petit poème n’aura autant résonné contre nos poitrines confinées et serrées contre l’ennemi. D’attendre, jamais la liberté n’aura été aussi chérie. Puissent tous les enfants du monde, dans toutes les langues, l’apprendre à l’école pour mesurer la valeur immense de la Liberté. Leurs rires bientôt déconfinés reviendront à l’école, invincibles comme le rêve du Capitaine Salgueiro Maia (6) et de ses compagnons d’armes, héros du Portugal, héros de l’humanité:

«Foram dias foram anos

a esperar por um só dia.

Alegrias. Desenganos.

Foi o tempo que doía

com seus riscos e seus danos.

Foi a noite e foi o dia

na esperança de um só dia». (7)

 

_______

Notes

(1) adverbe enfin en portugais.

(2) www.pasteur.fr

(3) L’aube en portugais

(4) Vive la Liberté! en portugais

(5) Refrain du chant révolutionnaire du résistant et artiste José Afonso, qui donna le signal du coup d’État militaire initiant le processus démocratique en avril 1974. «Terre de Fraternité, Grândola Ville tannée, Sur chaque visage l’égalité, Seul le peuple ordonne»

https://youtu.be/smn_4aSX4oM

(6) Capitaine d’Avril

(7) «Ce furent des jours et des années

à attendre un seul jour.

Joies. Désillusions.

Ce fut le temps qui faisait mal

avec ses risques et ses maux.

Ce fut la nuit et ce fut le jour

dans l’espoir d’un seul jour (…)»

Poème de Manuel Alegre, in Trovas do mês de Abril

 

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