Travailleurs militaires et soldats-musiciens portugais lors de la I Guerre mondiale à Aubigny-en-Artois



En 1921, le Maire d’Aubigny-en-Artois regrette que, par suite d’un retard malencontreux, il ne puisse joindre lors de l’inauguration du Monument aux morts, «la palme que par une délicate attention, le Colonel Esteves, du Génie Portugais, a envoyé au Comité, comme un hommage personnel et de son Bataillon à la mémoire des Braves d’Aubigny». Il adresse à cet officier allié, les remerciements de la ville d’Aubigny et sa durable sympathie (1).

Comment a été matérialisée cette palme et qu’est-elle devenue?

Pour le centenaire de la I Guerre mondiale, l’Université de Toulouse a présenté plusieurs journées d’études, organisées par la section de Portugais de l’UFR Langues, par le CADIST Langues, littératures et civilisations de la Péninsule ibérique et par l’Institut de Recherche et d’Études Culturelles (IREC).

Quatre reportages concernant le Portugal dans la I Guerre mondiale en sont issus et visibles sur le Canal U. Les intervenants, pour le Portugal, étaient les historiens Isabel Pestana Marques et João Moreira Tavares ; pour la France, les professeurs et conférenciers Viviane Ramond, Emmanuelle Guerreiro et Marianne Delacourt.

Viviane Ramond a abordé l’engagement portugais dans la I Guerre mondiale, vu de France et notamment par le journal «L’Illustration». João Moreira Tavares a abordé les Fonds du CEP, Mémoire de la présence portugaise de 1917 à 1919 en France dont les Archives historiques militaires et quelques autres (Mémorial virtuel), Isabel Pestana Marques le quotidien des soldats portugais dans les tranchées alliées.

À partir de photographies, de lettres de guerre, de souvenirs, de journaux de campagne, la contribution portugaise à la guerre est évoquée. Les documents photographiques sont essentiellement des photos prises par le soldat Arnaldo Garcez.

Sont visualisés:

– le départ des troupes portugaises à Lisboa vers les Flandres, l’arrivée à Brest

– l’instruction des soldats portugais en France (tir, gaz), les moments de repos avec l’écriture des lettres à la famille au Portugal

– les postes d’observation, l’entretien des tranchées

– la nourriture des soldats portugais, le vêtement, le soin (tentes d’ambulance et hôpitaux)

– le vocabulaire des tranchées, l’hygiène (coiffeur)

– les campements de tentes en «bois et toile» et les abris en zinc

– le contact des civils, la participation des soldats aux processions religieuses et fêtes françaises

– les infirmières portugaises à l’arrière

– les concours sportifs militaires interalliés, les jeux (de corde, football)

– la Bataille de La Lys, ses victimes et prisonniers

– les sépultures individuelles et les cimetières de croix de bois

.

Présence de soldats portugais dans l’arrageois

L’une des conférences de Toulouse apporte des éléments concernant la présence du Corps Expéditionnaire Portugais (CEP) en Artois, présence moins connue.

En effet, les traces, les documents visuels sont peu existants pour évoquer la présence des soldats portugais dans l’arrageois, à l’inverse des Flandres et du littoral boulonnais.

La commune d’Arras est connue pour avoir reçue l’Ordre portugais de la Tour et de l’épée bien après la I Guerre mondiale, en 1935, pour quelles raisons ? Politique ? Militaire ? Louis Lantoine, le Consul du Portugal à Arras a initié l’obtention de cet honneur.

Il est connu que lors de ses voyages présidentiels en France pendant la I Guerre, le Président de la République portugaise, Bernardino Machado, a visité le front de Vimy, à une dizaine de kilomètres d’Arras. En 1917, il avait remis l’Ordre portugais de la Tour et de l’épée à la commune de Verdun.

Ce travail proposé à Toulouse permet donc d’aborder la présence portugaise dans l’Artois, à Aubigny (Quartier Général du Bataillon), où un bataillon cantonnait à la fin de la guerre, à une quinzaine de kilomètres d’Arras. Mais aussi dans tout le Pas-de-Calais et les Flandres françaises et belges, la gare d’Aubigny permettant les déplacements dans toutes les directions, avec ses deux voies, vers Arras, vers Saint-Pol-sur-Ternoise, vers le littoral d’Etaples, vers La Somme, vers la Flandre. (2)

Dans l’arrageois, les soldats portugais ont, entre autres, stationné à Aubigny, Maroeuil, Duisans, Acq. João Moreira Tavares présente un document, qui est un écrit du Maire d’Aubigny, Mr Ansart, au Commandant Raúl Augusto Esteves, du Bataillon Portugais de Sapeurs de Chemins de Fer en cantonnement à Aubigny-en-Artois. (3)

La lettre du Maire est un éloge au comportement des soldats portugais, venus en aide aux habitants sinistrés par suite du bombardement d’Aubigny dans la nuit du 15 au 16 mars 1918.

Des équipes de soldats sont montées sur les toits pour boucher les ouvertures, ils ont réparé les portes, les fenêtres, etc… Un autre bombardement a eu lieu en septembre 1918, le cantonnement portugais était encore présent.

Ce bel exemple de dévouement n’est pas passé sous silence et le Commandant portugais a été vivement remercié, ainsi que ses officiers et soldats : «Aubigny n’oubliera jamais la belle conduite des Portugais dans cette circonstance».

C’est lors de l’inauguration du Monument aux morts de la commune d’Aubigny, en 1921, que les Portugais sont à nouveau à l’honneur. Le Maire d’alors, Georges Lamiot, commence par remercier, au nom des soldats de la commune morts pour la France, tous ceux qui ont souscrit à l’érection du monument qui rappelle leur souvenir. En terminant son discours, il confie le monument à la garde des habitants, il dépose une couronne au pied et regrette de ne pouvoir y joindre une palme offerte par le Génie portugais.

A noter qu’à l’époque, Aubigny-en-Artois faisait partie de l’arrondissement de Saint-Pol et donc du ternois.

.

Les musiciens portugais au contact des civils français

Un autre témoignage permet d’aborder la présence portugaise dans l’arrageois, c’est celui du musicien et Chef d’orchestre Pedro de Freitas (1894-1987). Il a offert au Musée municipal de Loulé ses nombreuses pièces de collection de la I Guerre mondiale. Il faisait partie pendant la guerre, d’un groupe de musiciens portugais du Bataillon de Sapeurs de Chemin de Fer (BSCF).

De nombreuses publications le concernent, dont ses propres écrits et une thèse de plus de 1.000 pages de Susanna de Brito Barrote.

Des extraits: «Le 17 mars 1918 devant le front d’Arras et dans le village d’Acq, avec les soldats du Bataillon, j’ai fondé et dirigé un groupe de musique, qui plus tard fut dans le pays l’un des meilleurs groupes de l’armée portugaise» (plusieurs groupes en France).

«Ainsi, ce dimanche, à treize heures, dans le petit village d’Acq, c’est le premier essai, à la 4ème Compagnie avec la fierté et la bonne volonté de son Commandant, le Capitaine Francisco Pinto Teixeira, du groupe de musique du B.S.C.F. ayant comme membres fondateurs un sergent, deux premiers caporaux, trois seconds caporaux clairons et cinq soldats».

«Toute la troupe marchant à pied arrive à Aubigny, Quartier Général du bataillon, fanfare en tête, jouant la marche ordinaire très en vogue au Portugal et que chantent tous les soldats. Cette entrée bruyante provoque dans la population civile de cette belle ville de la curiosité, l’envie de nous accueillir sur leurs terres avec respect». Ainsi est consigné l’accueil agréable d’une partie de la population locale à l’arrivée de la 4ème compagnie de BSCF le 25 mars 1918.

Le 19 janvier 1919, le groupe de musiciens du B.S.C.F., voyage en camion d’Aubigny-en-Artois, à Acq, afin d’égayer dans la 5ème Compagnie une fête entre les Portugais et les Anglais. Sont cités le 1er Sergent musicien Luís Espírito Santo, Pedro de Freitas au clairon et Francisco de Almeida Sereno à la clarinette.

.

Note:

En titre, référence est faite aux travailleurs portugais militaires de la I Guerre mondiale, en comparaison aux travailleurs chinois couvrant le même secteur géographique, mais qui étaient des travailleurs civils.

.

Sources

(1) Journal L’Abeille de la Ternoise. Mémorial du Ternois.

(2) C.E.P. Resumo dos trabalhos na Grande Guerra do Batalhão de Sapadores de Caminhos de Ferro (Portuguese Railway Battalion) no Corpo Expedicionário Português. França 1917-1919. Comandante Raul Esteves. Arquivo Histórico Militar.

(3) João Moreira Tavares. UT2J. (2014, 7 novembre). O Fundo do Corpo Expedicionário Português: memória da presença portuguesa em França (1917-1919) / João Moreira Tavares, in Le Portugal dans la I Guerre mondiale. [Vidéo]. Canal-U. https://www.canal-u.tv/77265.

“A vida e a obra de um Escritor e Musicografo”. Arquivo historico municipal de loulé

Photos de Luis Guerreiro (aujourd’hui décédé)