André Brun, bien plus qu’un soldat du Corps Expéditionnaire Portugais

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Exactement 142 ans se sont écoulés, ce 9 mai 2023, depuis la naissance d’André (Francisco) Brun.

André Brun a été l’un des plus talentueux auteurs de théâtre, humoriste, prolifique écrivain portugais du XX siècle au Portugal. Il a des origines françaises, toutefois c’est au service du Corps Expéditionnaire Portugais qu’il a participé à la I Guerre mondiale.

Un personnage parfois polémiste mais très attachant qui a laissé une empreinte indéniable dans le Portugal du début du XXème siècle et qui a laissé des souvenirs, des anecdotes, chez tous ceux qui l’ont croisé, dans une existence qui fut assez courte, car il est mort à peine à l’âge de 45 ans.

La vie d’André Brun est un véritable roman. Même s’il a beaucoup écrit, beaucoup fréquenté après la fin de la Grande Guerre, elle est notaire la phrase, la réponse à un journaliste. Alors que Brun, était en très mauvaise santé et qu’il était critiqué par un journaliste de l’époque, lui répond: «vous pouvez m’attaquer comme vous voulez, moi je suis mort en France dans les tranchées…», phrase étonnante, quand on connaît le vécu d’André Brun, toutefois cela en dit long sur l’état d’esprit, sur ce qu’il a vécu en Flandre, même s’il n’y est pas resté très longtemps. La raison de cette phrase se sous-entend dans ce qui suit.

Remontons le temps.

André Brun est né à Lisboa le 9 mai 1881, rue du Salitre, de parents français. Son grand-père paternel s’appelait Régis Clément Brun, originaire de Sassenage, près de Grenoble (Isère) il exerçait la profession de bûcheron. Régis fut parent d’une descendance nombreuse: treize enfants. Le dixième des enfants, s’appelait André Régis Brun, celui-ci se marie à Anne Dozska. Le couple migre vers Lisboa, André Régis venant diriger un atelier de fabrication de joaillerie d’une entreprise française installée dans la capitale portugaise.

André Brun dira de ses ascendants, dans sa biographie, ‘Consultório Psicológico’: «Mon grand-père était un aventurier et un personnage très joyeux, connaissant et chantant des centaines de chansons, mon père était joyeux et fredonné…». Être né dans une ambiance où la joie et l’humour règne, aura son influence sur le personnage d’André Brun, un personnage de roman.

André Brun était un enfant précoce, à 6 ans il savait déjà lire et dévorait tout livre qui passait sous sa main. Très jeune il perd son papa, ce qui le conduit à rentrer très jeune, le 1er août 1900, dans l’École Militaire. Un problème se pose toutefois: la nationalité.

Le 18 août 1903, par décret dans le journal officiel français, André Brun bénéficie d’une libération d’allégeance pour conserver sa nationalité d’origine ou se faire naturalisé étranger. Le décret dit: «Le sieur Brun (André François) élève officier à l’École Militaire, né le 9 mai 1881 d’un père Français à Lisboa (Portugal), y demeurant est autorisé à se faire naturaliser portugais».

André Brun sera un enfant précoce, mais également, écrivain, poète et auteur de pièces de théâtre précoce. Date du 1er février 1900, au Club da Lapa, à Lisboa, la représentation de sa première pièce de théâtre.

Chroniqueur, il écrit dans plusieurs journaux et revues, fréquentant les milieux artistiques et intellectuels.

Les années 1910 et les années de la Grande Guerre ont vu l’émergence de deux mouvements fondateurs de la littérature portugaise, la Renaissance portugaise et le Modernisme.

Fondée à Porto, la revue ‘A Águia’ devient, à partir de 1912, l’organe du Saudosismo renaissant et poétique, inspiré par les idées de Teixeira de Pascoaes autour d’une «idée-sentiment» de renaissance de l’âme nationale, la Saudade.

En 1915 André Brun se marie à Maria Isabel Soares Vieira da Silva, ils n’auront qu’un seul enfant, Ana Virginia Silva Brun.

André Brun, avec d’autres artistes, peintres, auteurs, dessinateurs humoristiques avant-gardistes, innovateurs et républicains, créent le groupe cénacle ‘O Águia’ dans les années 1915-1916.

Militaire de carrière, il est nommé Alferes en novembre 1904, Lieutenant le 1er décembre 1908, et Capitaine en février 1915. André Brun n’est plus tout à fait jeune, 36 ans, toutefois étant militaire de carrière, il est appelé à diriger un Bataillon de soldats du CEP. Avant son départ, il réunit amis intellectuels et artistes pour un «banquet d’au revoir». Même là, son humour se manifeste: le menu écrit fait allusion à ses livres. Dans celui-ci, Carlos Simões, ami de Brun, fera graver: «D’auteur il va devenir acteur, commandant d’une compagnie d’infanterie dans le théâtre de la guerre».

André Brun quitte Lisboa le 18 avril 1917, ses deux parents à cette date sont déjà décédés. Dans sa fiche militaire les informations ne sont pas nombreuses, il est indiqué: «décoré de la médaille militaire d’argent le 30 avril 1918 par son exemplaire comportement, nommé Major le 13 juillet 1918, loué par le zèle et dévouement pendant le commandement par intérim de son bataillon, poste  qu’il a exercé depuis février de l’année en cours (1918), démontrant toujours d’excellentes qualités de commandement».

Le 4 août 1918 on lui accorde 53 jours de congés de campagne. Les mois qui suivent vont être, pour nous, un peu l’inconnu dans la vie de notre militaire-humoriste-écrivain.

Le journal ‘A Manhã’ donne l’information en date du 18 août 1918: «Est arrivé à la patrie le noble et valeureux militaire André Brun».

Après les élections d’avril 1918, Sidónio Pais est investi Président de la République à la tête d’un Gouvernement présidentiel autoritaire. Le journal ‘A Capital’ informe le 14 octobre 1918: «Prison du Major André Brun». Le même journal, le 19 octobre: «André Brun continue en prison dans la caserne de la Garde républicaine du Carmo». Des informations sur André Brun sont censurées les 20 et 21 octobre dans les journaux ‘O Tempo’ et ‘A Capital’. Une polémique est même créée entre ces deux journaux de tendances politiques différentes. ‘A Capital’ écrit le 21 octobre: «tous les jours depuis qu’André Brun a été fait prisonnier, le journal ‘A Capital’, pose instamment la question de ce qui a conduit le Gouvernement a commettre un tel acte. Les motifs de l’arrestation seront connus en temps voulu». En-dessous de cette dernière phrase, un grand blanc dans le journal, là est la preuve de la censure. Le motif de l’arrestation on ne le connaîtra pas, même si on se doute que c’est pour une question d’idées politiques entre André Brun et le pouvoir de l’époque, Sidónio Pais n’étant pas très favorable à l’intervention du Portugal en Flandre et se récusant même à envoyer un contingent plus important.

André Brun continue à être motif d’information. Les journaux ‘A Manhã’ et ‘A Capital’ du 5 janvier 1919 titrent: «André Brun sort de prison». Puis informent: «Le Major André Brun part vers le nord du Portugal pour combattre les révolutionnaires monarchiques».

‘A Capital’ du 23 février 1919 et ‘A Manhã’ du 24, révèlent qu’André Brun est décoré de l’ordre de São Tiago.

Dans les années qui suivront, les allers-retours entre Lisboa et Paris seront motifs d’informations dans les journaux, prouvant la notoriété d’André Brun, la première information de ce type on la lit le 2 mars 1919 par le journal ‘A Manhã’.

De toute évidence, et pour cause, le Major ne reviendra pas en Flandre, après les 53 jours de congés de campagne.

Des décorations, André Brun en aura. En plus de celle dont on a fait référence, il recevra la décoration de Santiago de Espada, Coroa da Bélgica, Valor Militar e Cruz de Guerra de la Belgique.

Dans sa fiche militaire, il n’y est pas fait référence aux gaz qu’il a inhalé dans les tranchées, gaz qui vont le rendre invalide et qui justifient la phrase «Je suis mort dans les tranchées», enterré toutefois 8 ans plus tard à l’âge de 45 ans.

André Brun, que quelques-uns qualifient de «Prince de l’humour»… en fait en toutes circonstances, même confronté à ses responsables militaires. On cite l’anecdote suivante: André Brun visite pendant le temps de campagne en France une exposition et à la fin de la visite il écrit un commentaire sur le livre d’or et signe en donnant comme profession, celle d’humoriste. Cette information arrive à ses supérieurs qui le questionnent sur le pourquoi de cette signature. Il répondra: «Mon Général, humoristes il n’y en a que 4 ou 5 au Portugal, des Capitaines il y en a 187».

Dans le catalogue de la Biblioteca Nacional de exposition qui célébrait le Centenaire de la naissance d’André Brun, 3.241 références y sont répertoriées entre livres, poèmes, pièces de théâtres, traductions, conférences, monographies, chroniques, articles de journaux faisant référence à l’homme aux multiples facettes… énorme pour quelqu’un qui n’a vécu que 45 ans! Signalons qu’à l’exemple d’autres écrivains de son temps, tels que Fernando Pessoa, André Brun écrira en utilisant de nombreux pseudonymes: Félix Pevide, O Porteiro da Geral, Gil Vicente da Costa, Cyrano…

De tous les livres, de tout ce qu’il aura écrit «A Malta das Trincheiras» sera son écrit préféré, même s’il dira avec son bon humour que ce livre «est à peine un document pittoresque». Livre extraordinaire de quelqu’un qui aura vécu la guerre de l’intérieur.

André Brun ajoutera: «livre de chroniques, livre d’anecdotes… yeux de ma figure, morts de ma patrie… un récit de ce que j’ai vu et que la terre finira par avaler… pour passer le temps j’ai ramassé la boue de Flandre et de l’Artois».

André Brun raconte ce qu’il a vu dès l’arrivée en Flandre et poursuit: «Un jour, les lignes se sont fixé à 150 mètres l’une de l’autre… les tranchées ont été creusées… le beau petit village a disparu… de ce qui resta de l’église, on nous rapporte une petite statuette intacte de Notre Dame… juste à côté, on la retrouve sur une tombe d’un humble soldat inconnu signalée avec une simple croix».

Chose étonnante, nous avons retrouvé dans la littérature de l’époque, beaucoup de références à la (les) statue(s) de Notre Dame. Probablement, comme pour le Christ des Tranchées, nous avons à faire à plusieurs images que les soldats portugais, croyants voient, récupèrent, prient dans des lieux de cultes qu’ils fréquentent, parfois lors des permissions à l’arrière du front.

Une statue de Notre Dame, il y a de cela peu d’années, a été confiée par une famille de soldat anglais à l’église de Neuve Chapelle, point névralgique dans les tranchées du CEP… une belle histoire à raconter. Car il est un peu étonnant que l’histoire du Portugal ait retenu le Christ des Tranchées et pas «Notre Dame des Tranchées».

«A marcha dos Gosmas» sont des pages extraordinaires à lire dans «A Malta das Trincheiras».

Même dans les tranchées on pouvait faire de belles rencontres.

C’est pendant une après-midi de décembre 1917 qu’André Brun rencontre le peintre officiel du CEP, Sousa Lopes. Une grande amitié se crée. André Brun, invite Sousa Lopes à entrer dans la tranchée pour peindre. Il ne le fera pas tout de suite, il reviendra deux mois plus tard.

Sousa Lopes abandonna son atelier, tranquille de Paris, pour venir fixer avec son crayon de bois, couleur charbon, les traits principaux de la vie des soldats portugais en Flandre. André Brun racontera que «Sousa Lopes rentrera discrètement dans les tranchées, les parcours, observe et dessine… il peignait, peignait, peignait… des photos avec le crayon. Sousa Lopes, grand peintre, mais humble, demandera simplement: ‘Je ne sais pas si je dérange’».

André Brun en dérangera plus qu’un, mais enrichira la culture portugaise par ses écrits, son humour, son théâtre avant-gardiste, les futurs films tirés de ses ouvrages. On connaît 59 affiches d’œuvres d’André Brun.

En juillet 1925 André Brun divorce de Maria Isabel Soares Vieira Silva. L’année suivante il se marie à l’écrivaine Alice Ogando et fonde le 22 mai 1925, avec certaines des plus éminentes personnalités intellectuelles portugaises, ce qui est aujourd’hui la Sociedade Portuguesa de Autores.

Pendant les huit années qui suivent la fin de la I Guerre mondiale, André Brun souffrira des maudits gaz inhalés dans les tranchées de Flandre, toutefois ils ne seront motifs d’information qu’à la fin de l’année 1926.

Le journal ‘O Domingo Ilustrado’ titre le 12 décembre 1926: «André Brun est malade». Le journal ‘Diário de Lisboa’ du 22 décembre 1926 écrira sur la mort d’André Brun: «Une figure du théâtre, sa mort a été profondément ressentie et laisse un grand manque dans la communauté des humoristes portugaise».

La mort d’André Brun une contrepèterie? Qui sait? André Brun en était un spécialiste, à l’image du 19 janvier 1922. Après avoir présenté la conférence donnée à Lisboa par un orateur français sur les 300 ans de la mort de Molière, il s’assoit dans une chaise placée sur la scène, André Brun devant prononcer la conclusion de la conférence. Le problème c’est que, soi la conférence était inintéressante, trop longue ou pour cause de problème de santé, André Brun s’endort, réveillé par les applaudissements il conclut par une seule phrase… les applaudissements redoublent.

André Brun, un génie oublié, que LusoJornal a voulu ici rappeler, le jour de la célébration des 142 ans de sa naissance.

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