Belmiro Ramos, un centenaire: une vie au service des autres et à la défense des Portugais de France

Cent ans, ça se fête.

En ce jour de Saint Mathias, l’évangéliste-apôtre, le 14 mai 2020, Belmiro Ramos fête ses 100 ans.

De ses souvenirs, il nous en a confié quelques-uns lors d’une rencontre que nous avons provoqué en compagnie d’un autre «historique» de la vie associative du Nord de la France, José Sabino.

En ce jour de centenaire de Belmiro Ramos, nous voulons lui rendre hommage.

Hommage à un homme du peuple, hommage à son travail associatif, hommage à un défenseur de la culture portugaise, de l’enseignement du Portugais en France, hommage au représentant de la région du Nord lors de réunions avec des membres gouvernementaux.

Dans la région lilloise, les historiques du mouvement associatif s’appellent (s’appelaient): le professeur Robalo, Reis, Mota, Apura, Bica, les Sabino (João et José), Martins, Belmiro Ramos…

Il y a des millions d’émigrés portugais, il y a des millions d’histoires. Histoires qui parfois ont des points communs, mais aussi chacun avec un parcours propre, une histoire à raconter. Celle de Belmiro Ramos, est un exemple, une histoire qui enrichit la Grande Histoire de l’émigration portugaise.

Belmiro Ramos arrive en France au début de la vague d’immigration portugaise. Il émigre en 1962.

Son parcours personnel, Belmiro Ramos en parlera en fin de notre article, grâce à l’interview qu’il nous a accordé, il y a de cela 3 ans.

 

D’esprit alerte, Belmiro Ramos vit dans son appartement de La Madeline, appartement dans lequel il a toujours vécu avec sa famille. Son épouse est décédée il y a une dizaine d’années. De ses trois filles, l’une est au Portugal et les deux autres habitent dans la région lilloise. Ce sont elles qui préparent à manger pour le papa, elles se relaient toutes les semaines, l’une ne travaille pas loin et avant le confinement, passait visiter «papa Belmiro», le soir après le travail.

Belmiro Ramos aime manger portugais, les plats que la Mairie lui a apporté pendant quelques jours «ce n’était pas son truc»!

Il se déplace avec sa canne, il récupère le journal sur le palier de sa porte, qu’il lit encore régulièrement.

Il y a de cela quelques jours, Carlos Sainhas nous disait: «Je me rappelle d’avoir été avec Belmiro Ramos à Paris, avec une camionnette, chercher un énorme meuble pour le bar de l’Association de Coopération Franco-Portugaise de Tourcoing», la «mère» des associations portugaises du Nord de la France.

C’est à Tourcoing qui débute la «carrière» associative de Belmiro Ramos, cette association ayant été créée en 1974. À la suite de quelques différents parmi les membres dirigeants et au vu des demandes locales, en 1976 naissent l’Amicale des Portugais de Roubaix et le Sporting Club des Portugais de Lille. La première sous influence du professeur Robalo et des Sabinos, celle de Lille par la volonté, entre autres, de Belmiro Ramos.

À Lille il y avait déjà des activités entre Portugais, le football depuis 1971, mais les statuts et les locaux n’arriveront qu’en 1976. L’association du Sporting Club des Portugais de Lille s’est installée dans des locaux vétustes de la rue des Halles. Quelques années plus tard, l’association sera expulsée de ces premiers locaux, sans que les Autorités de la ville fournissent des locaux en échange. Cette expulsion a mis en péril la vie associative et la survie du Sporting.

La volonté de Belmiro Ramos et de son équipe a été, dès le début, d’avoir un local où les Portugais de Lille et de sa région puissent se rencontrer, organiser la pratique du football et l’enseignement de la langue portugaise.

Même après l’expulsion de la rue de Halles, l’enseignement du portugais a été la dernière activité à disparaître. Cette activité et sa survie, on la doit à la ténacité d’António Teixeira. L’arrêt des cours ont eu lieux il y a 4 ans.

 

L’association a mis en route des cours dans une salle qui était également située rue des Halles et a obtenu l’autorisation d’enseigner dans les locaux de la MJC de la ville de La Madeleine. C’est là que les derniers cours de portugais ont été données.

Dès le milieu des années 1970, deux autocars loués par l’association récupéraient des enfants, l’un dans la région lilloise et l’autre à Haubourdin. Enfants qui se déplaçaient ainsi pour venir assister à des cours de portugais dans l’association.

Les professeurs de cette association, comme bien d’autres dans la région, étaient soit recrutés en France, soit ils venaient du Portugal. Ces derniers donnaient cours dans les écoles primaires françaises pendant la semaine et dans l’association le samedi et le mercredi.

Comme les choses ont changé… Dans les années 1980 il y a eu presque une vingtaine d’enseignants de portugais dans les écoles primaires de la région, gérés par le Consulat portugais. Actuellement il n’y en a aucun!

 

Lors de notre visite à Belmiro Ramos, celui-ci nous a confié un certain nombre de documents qui résument, en partie, son action. Documents, dirons-nous, qui font partie de l’histoire de l’émigration portugaise.

Belmiro Ramos nous a confié, notamment, un très beau document qui contient 25 dessins d’Álvaro Cunhal, peint à partir du milieu des années 1950. Beaucoup de ses dessins ont été exécutés en prison, par le fondateur du Parti Communiste Portugais. Nous avons aussi des articles qui parlent de la vie de l’association et de ses luttes, notamment lors de ce qui a été considérée comme une expulsion de la rue des Halles, avant même qu’une solution alternative soit retrouvée. Cette expulsion a conduit à l’arrêt des activités de bar et des deux équipes de football, ne restant plus que les cours de portugais à La Madeleine.

Tous les ans, l’association organisait, en février, un Cassoulet très prisé. Cassoulet qui était, à part les cotisations des parents, l’unique source de financement qui assurait la continuation des cours de portugais dans l’association.

Dès son arrivée en France, Belmiro Ramos s’est impliqué dans la vie associative, mais aussi il s’est porté défenseur des Portugais d’ici et de ses associations.

Juste après le 25 Avril 1974, les Partis politiques s’organisent, tant au Portugal qu’à l’étranger. A l’époque, pour être représentant d’un Parti politique dans les Commissions de recensement à l’étranger, une cérémonie était organisée au Consulat et un document était signé par le Consul. C’est ainsi que le 13 décembre 1975, Belmiro Ramos reçoit le «Auto de posse», signé par lui et par le 1er Consul officiel du Portugal à Lille, José Manuel Duarte de Jésus, lui conférant le poste de Délégué du Parti Communiste dans la Commission de recensement du Consulat portugais.

À l’époque, João Martins était le représentant du Parti Socialiste dans la région. Pour la petite histoire, João Martins a fait partie de l’Association du Sporting Club des Portugais, toutefois, très vite, il a créé l’Association de Portugais de Lille, dans Lille Sud.

Dans le cadre des campagnes électorales, sont passés dans la région plusieurs artistes: Paco Bandeira, Arlindo de Carvalho, Carlos do Carmo et bien d’autres.

Belmiro Ramos a été membre du Conseil des Communautés Portugaises. Il représentera la région lors du «I Congresso das Comunidades Portuguesas» qui a eu lieu à Lisboa, entre le 6 et le 10 avril 1981.

Dans le document de conclusion de la «II reunião do Consellho das Comunidades» qui a eu lieu entre les 21 et 25 novembre 1983, simultanément à Porto, Vila da Feira et Aveiro, dans une de ses interventions, Belmiro Ramos, très impliqué dans enseignement du portugais, évoquait l’absentéisme des professeurs de portugais et de ses conséquences pour les d’élèves, s’insurgeait contre le manque d’éthique et le gain facile de la part de ses mêmes enseignants en mettant en cause les travaux des associations (1), la difficulté entre l’école publique et l’école privée. Il a également évoqué le manque de matériel de la part des associations pour bien pouvoir enseigner.

 

Afin de mieux connaître et faire découvrir Belmiro Ramos, nous lui avons posé quelques questions:

 

Dans quelles circonstances êtes-vous arrivé en France?

Je suis né dans un petit village à coté de Viana do Castelo, mon père était de là-bas, tandis que ma mère était de Viseu. Au Portugal, j’étais patron de 40 ouvriers qui travaillaient essentiellement le «stuc». Je me suis marié à Abrantes. C’est dans cette région que j’ai essentiellement travaillé. Au moment de venir en France, en 1975, je travaillais dans l’entreprise d’autocars Claras, à Caldas da Rainha. Au soir, à la fin du travail, j’allais boire avec des ouvriers un coup dans une taverne à côté du travail. À l’époque, pour qu’on puisse venir en France, légalement, avec une «Carta de chamada» il fallait avoir un contrat de travail en cours, dans une entreprise au Portugal. Un jour, un jeune homme originaire de Santa Eufémia (Leiria) vient vers moi et me demande si je pouvais lui faire un contrat de travail dans mon entreprise pour pouvoir émigrer vers la France. En échange, il m’a promis de me donner «um conto de reis». Je lui ai dit ‘oui’ tout de suite et que le prix qu’il avait à payer était une «tournée» à la taverne et dès qu’il arriverait en France de m’envoyer une «Carta de chamada». Chose faite, juste 6 mois après. À l’époque j’avais 40 ouvriers, toutefois je ne gagnais rien. Je travaillais comme eux. Pour gagner sa vie, comme entrepreneur, il fallait exploiter l’ouvrier, chose que je ne savais pas faire.

 

Comment s’est faite votre arrivée en France et comment ont été vos premiers temps?

Je suis arrivé à La Madeleine (Lille) où j’ai vécu quelque temps dans des baraquements à côté du cimetière. Le patron m’a demandé de poser une fenêtre et tout de suite il dit: «ça c’est un bon». On construisait, à l’époque, le Lycée Pasteur, à Lille. Je gagnais 2,80 francs de l’heure. Juste quelques mois après, j’ai été débauché par l’entreprise Bâtir, qui m’a offert tout de suite un franc de plus, 3,80 francs de l’heure. A mon embauche, on construisait des maisons au Bois Blanc, à Lille. Quelques temps après, le patron m’a acheté une mobylette, rue Léon Gambetta, à Lille, pour que je puisse aller au travail un peu plus loin, à Fretin. On y a construit 6 maisons. J’ai fait venir mon frère Carlos du Portugal, son épouse et ses 6 enfants. J’ai aussi fait embaucher pas mal de Portugais. En disant qu’ils étaient plâtriers, alors qu’ils travaillaient le «stuc», à l’époque on ne travaillait pas le plâtre au Portugal. Je me rappelle, par exemple, d’avoir embauché le père de notre ami commun, José Patrocínio en 1963. Je l’ai aidé à avoir la «Carta de chamada» pour faire venir sa famille du Portugal.

 

Arrivé en France, vite vous vous êtes impliqué dans la vie associative…

Oui, j’ai fait partie de l’administration de l’Association de Coopération de Tourcoing. Un jour j’ai dit à Robalo que je voulais créer une association à Lille. Il m’a tout de suite répondu qu’il m’aidait. On a créé l’association rue de la Halle, avec des cours de portugais et deux équipes de football. Étant Délégué du Parti Communiste Portugais dans la région, j’organisais et je participais à des réunions que nous faisions à côté de La Redoute, à Roubaix, rue Émile Moreaux, ou à la MJC, place Fosse-aux-Chênes. Pendant ces rencontres, qui avaient lieu une fois par mois, on y discutait, essentiellement, des problèmes en rapport avec l’immigration portugaise dans la région. On essayait également de s’organiser collectivement, afin que le mouvement associatif portugais puisse avoir plus de poids et être une force revendicatrice écoutée. J’ai été, tout au début, à Porto, au Congrès du Parti Communiste. J’ai aussi participé à plusieurs réunions, tant en France, qu’au Portugal, du Conselho das Comunidades.

 

Aviez-vous eu des aides pour les cours que vous donniez dans l’association?

Nous n’avions aucune aide, les parents cotisaient 10 francs par élève pour les cours de portugais.

 

Avez-vous gardé des contacts avec le Portugal?

Ça fait une vingtaine d’années que je n’y vais plus. Mon épouse a peu travaillé et nous avons préféré donner des études à nos trois filles, plutôt que construire une maison au Portugal. J’habite dans cet appartement, à La Madeleine, depuis que mon épouse est arrivée en France. J’ai perdu mon épouse il y 10 ans. Les contacts que j’ai se limitent à mes filles qui n’oublient pas de venir me ramener du pain et les repas. La Mairie est déjà venue me ramener à manger, mais j’ai vite arrêté. Je mange encore à la portugaise! J’ai une voiture qui est là, dehors, que je mettais en route régulièrement, jusqu’à il y a peu.

 

Voilà l’histoire d’un homme, l’histoire de Belmiro Ramos. Un centenaire, encore bien en forme, d’esprit vif, se déplaçant avec une canne dans son appartement.

Il a durant toute sa vie en France cultivé un jardin, qui servait également de lieu de rencontres. Il a arrêté de s’en occuper il y a moins de 10 ans.

Un témoignage d’une vie consacrée, en grande partie, aux autres et à la défense de la Communauté portugaise, surtout à la défense de la langue et l’enseignement de la langue de Camões en terres de France.

 

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(1) Moi-même, l’auteur de cet article, j’ai été témoins de cela, alors que j’enseignais à l’Association de Coopération Franco-Portugaise de Tourcoing.

 

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