Béthune : Un civil français raconte le Secteur portugais en septembre 1917

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P. Petit-Didier est Directeur honoraire de la Banque de France. Venant du Jura, il reste quelques années à Béthune, dans le Pas-de-Calais et consigne ses récits dans un livre publié en 1931 : «Deux ans dans les Flandres : visions de guerre 1916-1918». ‘Il souhaitait visiter les tranchées portugaises…’

Il raconte la commune de Béthune qui vit à l’heure anglaise, à quelques kilomètres du Front. Il décrit les soldats portugais et britanniques, la vie dans le Nord, le contact avec les civils non-évacués, son exode en 1918, suite aux bombardements intenses du 25 mars (précédant la Bataille de La Lys d’avril) et enfin sa mission en Belgique à Bruxelles.

Lors de son arrivée à Béthune, une partie de la population est évacuée. Les logements disponibles sont loués aux Officiers et Services administratifs de l’Armée britannique.

Lorsqu’il collecte de l’or à Laventie en 1916, il est hébergé chez le Curé-doyen de la commune qui tient à y rester, à moins de 4 kilomètres des Allemands, pour prodiguer le réconfort de son ministère à ses ouailles qui n’ont pas quittés la zone de guerre. Une habitante restée également à Laventie, malgré le danger, signale, au «collecteur» à proximité des lignes ennemies, de ne pas emprunter la rue Bacquerot, à moins de ne vouloir tomber sur les tranchées allemandes.

La ville de Laventie a beaucoup souffert en octobre 1914 lors de la 1ère invasion allemande, la Bataille de La Lys d’avril 1918 est la 2ème.

Béthune est à moins de 10 kilomètres de la ligne ennemie. Petit-Didier souhaite visiter le secteur portugais. L’occasion se présente grâce à un Officier anglais attaché au Corps Expéditionnaire Portugais. Il obtient l’autorisation de l’accompagner.

Ils prennent la direction d’une ferme située entre Lacouture (écriture anglaise) et Richebourg-Saint-Vaast, cantonnement de l’infanterie portugaise n°28. Le trajet sur les routes chaotiques se fait à l’aide d’une voiture militaire traînée par deux mules (photos jointes). Ils traversent la commune d’Essars et le Touret, villages endommagés mais habitables, où se trouvent des troupes portugaises au repos.

Sa description des soldats portugais

Le teint des hommes est bronzé, hâlé par le soleil de leur pays, et tranche avec celui des gens du Nord et même des Anglais les plus colorés. Leur langage est plaisant à entendre, la voix chantante, à la façon méridionale. Beaucoup s’expriment dans un français correct et leurs relations dans le pays sont cordiales. De petite taille et râblés, les soldats portugais sont timides, d’une politesse excessive qui surprend agréablement et tranche avec le flegme britannique. Ils ne sont pas fortunés, leur paie est modeste et peu reçoivent de l’argent de leur pays, mais on sent qu’ils aiment la France pour laquelle ils sont venus combattre.

Sa visite de la zone portugaise

Arrivés à la ferme de Lacouture où les bâtiments servent de campement au bataillon, le repas portugais est pris avec les Officiers, la discussion se fait en langue française. Tout près de la ligne du front, le ciel est brillant des fusées éclairantes, lancées des tranchées allemandes et portugaises.

La nuit, avec son guide anglais, ils revêtent un casque, s’équipent de masques contre les gaz asphyxiants et se dirigent vers les tranchées de première ligne. Au premier abord d’un accès facile, la route devient un caillebotis. Puis le boyau commence, c’est un lacis de zigzag assez long avant d’arriver aux tranchées avancées. Une attaque ennemie de mortiers est redoutée et les oblige à retourner au campement.

Le couchage est fait d’une paillasse sur un lit de camp, d’un traversin et d’une couverture. Cette nuit-là, le canon tire des deux côtés de la ligne.

Ils reprennent leur «pèlerinage» (exception des tranchées) dès le lever du jour.

Richebourg-Saint-Vaast, village de 900 habitants, est vide. Les maisons sont détruites, les arbres déchiquetés. La cloche de l’église est au sol, les tombes du cimetière adossé à l’église ont explosé. Le Christ est demeuré sur la croix du calvaire mais ses bras ont disparu (photos jointes). A Richebourg-L’Avoué, même constat de ruines et dévastation.

Dans la campagne, ils observent dans les champs des ondulations de terrain recouvertes de gazon. Ces réduits invisibles à l’œil sont des abris pour mitrailleuse et munitions, protections contre l’avance de l’ennemi.

Après avoir vu les réseaux de fils de fer barbelé, un Officier d’artillerie portugaise leur montre l’installation de ses batteries de campagne (pièces françaises, Puteaux 1916, fusants, percutants et autres). Ils suivent l’Officier jusqu’au poste de Commandement, invisible, à l’intérieur du sol sous un tertre peu élevé : la «cagna» du Commandant avec ses fils téléphoniques également invisibles.

Survient un tir des Artilleurs portugais, qui n’est pas un exercice… mais une volonté d’atteindre des travailleurs du côté ennemi… Petit-Didier et son guide anglais remercient l’Officier portugais de la séance de tir à laquelle ils viennent d’assister…

Sur la route, un vieil homme fume la pipe sur le seuil de sa maison isolée, un estaminet. Ils boivent une bière fraîche avec le paysan qui raconte son existence près des lignes : une propriété, un lopin de terre où il cultive des légumes qu’il vend aux soldats pour subsister. Fidèle à sa terre, malgré les dangers, il compte bien y finir ses jours.

De retour au cantonnement de La Couture, ils voient la baraque édifiée par le YMCA anglais (Young Men Christian Association). Les soldats portugais s’y procurent à petit prix des couteaux, savons, conserves, mais surtout le tabac dont ils sont grands consommateurs. Pas de liqueur sur le Front, seule la bière est tolérée. Les soldats portugais préfèrent le vin. Trop cher, ils boivent le thé anglais.

A quelques kilomètres du front, certains soldats chargent et déchargent voitures de choux, base de leur alimentation, et voitures de foin, pour aider les fermiers. Des aviateurs allemands rompent la paisibilité des travaux des champs en franchissant les lignes, mais doivent rebrousser chemin sous les tirs d’artillerie portugais.

Le retour à Béthune se fait en passant par la commune de Locon où cantonnent des troupes portugaises et les éléments d’un État-major anglais et par la commune d’Essars. Ainsi se termine l’excursion en secteur portugais (autres excursions en Gohelle région de Lens, Arrageois région d’Arras, la Somme).

Remarques concernant les bornes commémoratives (1) (2)

Les communes de Locon et Essars citées ci-dessus disposent aujourd’hui de bornes commémoratives marquant la ligne de Front de juillet 1918. Elles ont été financées par le Portugal après-guerre. Concernant l’aspect mémoriel, les inscriptions «Don du Portugal» au bas de ces petits monuments tendent à disparaître. La borne en limite d’Essars et Beuvry n’est plus pourvue de cette inscription «Don du Portugal» et rien n’évoque la participation portugaise à la 1 Guerre mondiale.

Pour en savoir plus, le livre «Deux ans dans les Flandres : visions de guerre 1916-1918» se consulte à la Bibliothèque nationale de France.

(1)https://lusojornal.com/pas-de-calais-une-borne-portugaise-inauguree-le-11-novembre-1923/

(2)https://lusojornal.com/i-guerre-mondiale-les-7-bornes-commemoratives-portugaises-du-front-ou-sete-pequenos-padroes/

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