Notre Dame/Pierre Léglise Costa: «Une reconstruction doit prendre son temps»

Il y a plus d’une semaine, Notre Dame a été ravagée par un feu qui a causé énormément de dégâts. Aujourd’hui l’heure est à la reconstruction, pourtant personne ne semble être d’accord sur les matériaux à utiliser, les délais à annoncer, ni même comment utiliser tous les fonds recueillis.

Pierre Léglise Costa, historien de l’art, est contre ces polémiques qui ne font rien avancer et qui sont d’ailleurs stériles: «Depuis quelques jours j’assiste à cette bataille s’il faut reconstruire à l’identique ou pas. Personnellement, je pense que faire à l’identique c’est impossible, car on n’a pas exactement les mêmes matériaux qu’on avait au Moyen-Âge, ni le temps pour avoir une forêt entière, ni même la charpente. Je pense qu’on peut utiliser des matériaux très contemporains, très solides, très efficaces, et de toute façon invisible pour les visiteurs. Mais c’est surtout pour soutenir une charpente moderne. Et puis il faut rappeler que le toit et la flèche n’étaient pas du Moyen-Âge, c’était déjà ajouté, arrangé par Viollet-le-Duc au milieu du 19ème siècle, à partir de 1848. Il y a avait aussi des statues qui ont été ajoutées. Les chimères qui sont sur les balcons des tours, les statues qui étaient sur le toit, tout cela avait été ajouté», souligne-t-il au LusoJornal, avant de donner sa propre idée sur la question: «Pourquoi ne pas imaginer refaire la silhouette de Notre Dame au 21ème siècle? Redonner une vie intérieure à la Cathédrale pour les croyants également, mais pas seulement. Il faut maintenir ce lieu extraordinaire, mais avec des matériaux contemporains. Je trouve la discussion inutile car la faire à l’identique, d’accord, mais à l’identique de quoi? Du 13ème siècle, ou de ce qu’avait fait Viollet-le-Duc au milieu du 19ème siècle? Autant faire quelque chose de plus intelligent et moins cher», assure Pierre Léglise Costa.

Les décisions seront donc difficiles à prendre pour définir une stratégie: «Notre Dame appartient à la France, c’est un monument historique dans l’inventaire depuis le 19ème siècle. L’édifice appartient à la France, le culte appartient à l’Eglise de France. Les décisions devront donc venir des autorités françaises, mais à chaque fois qu’elles ont pris des décisions nouvelles ou innovatrices, il y a toujours de la contestation qui vient des conservateurs qui croient détenir la vérité (rires). Je suis assez âgé pour me rappeler de pleins de polémiques autour de monuments parisiens. Garder le passé intact ne sert à rien. Depuis l’histoire des peuples, les choses se font et se refont», affirme l’historien de l’art, qui s’est également prononcé sur les cinq ans de reconstruction que le Président Emmanuel Macron a promis. «Cela me semble un peu court. Cinq ans, si on y regarde bien, cela signifie qu’elle serait prête pour 2024, l’année des Jeux Olympiques. Je pense que c’est pour cela qu’on parle de cinq ans et je trouve que c’est un but superficiel. Toutefois avec des matériaux très contemporains et légers, on pourrait reconstituer un toit pour Notre Dame, qui redonne une forme complète à la Cathédrale, et surtout qui la protège. Il faut protéger, c’est le plus important. Quant à l’intérieur, ça sera long! Les pierres ont été inondées d’eau, et les pierres millénaires, qui datent du 12ème siècle, comme les piliers, sont gorgées d’eau. Il faut qu’elles réagissent, qu’elles sèchent, que les joints sèchent et se refassent ou qu’on en refasse certains. Il faut refaire les voutes qui sont tombées. Tout cela va prendre beaucoup de temps», admet-il au LusoJornal.

Pour la reconstruction, pas d’inquiétudes, la France a ce qu’il faut. «La France a la chance d’avoir des Compagnonnages. Les Compagnons charpentiers savent faire une charpente. Le Compagnonnage français est extraordinaire depuis le Moyen-Âge. Il y a des Compagnons qui savent faire ce qu’ils appellent des Chefs-d’œuvre. Aujourd’hui on a des procédés, des moyens plus sophistiqués pour reconstituer l’espace, mais à nouveau cela sera très long», rassure l’historien de l’art.

Quant aux œuvres, que peut-on en dire? «Les œuvres d’art, les tableaux, ont pu subir quelques agressions comme la fumée ou de l’eau. Toutefois les tableaux sont restaurables, surtout pour la fumée. On sait faire. Quant au trésor de Notre Dame, il a été préservé. Il faut savoir que des gens courageux ont sorti des objets précieux même pendant le feu, comme les reliques ou les vêtements des prêtres, qui datent par exemple du 17ème siècle ou du temps de Louis XIV, par exemple. Tout va aller pour vérification, ou pour restauration, ou pour conservation», souligne-t-il.

Par rapport à la flèche qui est tombée, Pierre Léglise Costa n’a aucune inquiétude: «Il existe un prototype de l’œuvre de Viollet-le-Duc. Il a été préservé. On peut la refaire à l’identique. Toutefois, je ne suis pas sûr qu’on doit la refaire à l’identique. Cette flèche en bois et en fonte était déjà fausse, par rapport à l’âge de la Cathédrale. Quand Notre Dame a été terminée au 13ème siècle, il n’y avait aucune flèche. Sans parler du toit qui n’était pas en métal, en zinc comme depuis Viollet-le-Duc. Pour moi il faut garder la silhouette de la forme, le volume de Notre Dame. En tout cas, on va employer beaucoup de personnes, de spécialistes. Je pense d’ailleurs que l’intérieur est plus intéressant que de savoir si on va remettre une flèche ou pas», s’emporte l’historien de l’art, avant de conclure sur ce sujet: «Avec tous les dons, il n’y aura aucun problème pour la reconstruction. En tout cas il faut reconstruire Notre Dame pour des raisons historiques, pas seulement religieuses. Notre Dame est importante pour l’histoire de la centralisation du pouvoir royal, pour l’histoire de la constitution de Paris, pour le symbole… Il y a 1000 raisons. Je finirai d’ailleurs par une petite histoire: Notre Dame a des tribunes au-dessus des voutes des bas-côtés, et à l’époque elles permettaient au Moyen-Âge à des voyageurs, des vagabonds ou des pauvres d’y dormir. Cela serait intéressant d’y réfléchir quand on reçoit autant de millions».

Pour l’historien de l’art, voir une partie de la Cathédrale partir en fumée fut un choc: «Ce lundi soir en question, j’étais dans la rue avec mes étudiants américains. La sensation était très étrange. Il faut dire que cinq jours auparavant nous avions fait une visite très détaillée de Notre Dame avec des explications très techniques car ce sont des étudiants en histoire de l’art. On a fait un long parcours intérieur et extérieur de Notre Dame. Elle était donc très présente dans leurs esprits et dans mon esprit, même si pour moi Notre Dame je la connais depuis tout petit. Pour revenir à cette soirée-là, nous étions dans les rues de Paris quand nous avons vu la fumée. Tout le monde recevait des messages. Nous nous sommes approchés de la Seine pour voir ce qu’il se passait, et il y avait une foule incroyable. C’était impressionnant et incroyable. C’était un cauchemar et cela ne paraissait pas réel. On a tout de suite senti qu’il y avait un désastre», nous raconte Pierre Léglise Costa avant de poursuivre: «Je suis rentré chez moi, et le lendemain, je ne sais pas, il y avait une sensation étrange, rien à voir avec la croyance. Mais dans mon esprit j’avais l’habitude d’avoir Notre Dame dans mon paysage. Qu’elle soit accessible et là, ce n’était plus le cas».

 

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