L’Association de Coopération Franco-Portugaise de Tourcoing: la ‘mère’ du mouvement associatif portugais dans le Nord de la France

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L’Association de Coopération Franco-Portugaise de Tourcoing est, pour ainsi dire, la mère du mouvement associatif portugais dans le Nord de la France.

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Un peu d’histoire

Avant d’évoquer, la création, buts, action de l’A.C.F.P.T. faisons un peu d’histoire :

La création des premières associations portugaises de France datent des années qui suivent la I Guerre mondiale, une vingtaine de groupements d’Anciens Combattants Portugais voient le jour dans le Nord et Pas-de-Calais.

Des associations de portugais politiquement engagés se créent dans les années 1960, avec le début de la grande vague d’immigrés portugais venant travailler en France.

Une première association est créée en 1962, l’Association des Originaires Portugais (AOP), association anti-gouvernementale qui publie la revue «Tribune Associative».

En 1965 apparaît l’Association Nationale de Portugais de France (ANPF), pro-gouvernementale portugais, qui éditera la revue «Courrier Portugais».

En 1968 on recense en France 14 associations portugaises, 82 en 1973, l’explosion de la création étant 1974, après la fin de la dictature au Portugal, le 25 Avril. On comptait fin 1974, 273 associations. Autre grande date des associations étrangères en France est 1981. La loi n° 81-909 du 9 octobre 1981 dit que les étrangers peuvent en toute liberté créer et diriger une association loi 1901, à but non lucratif, dont le siège social se trouve en France. Et ce, sans que l’approbation préalable du Ministère de l’Intérieur ne soit plus nécessaire. En 1983 la France compte 863 associations lusitaniennes. Combien en compte-t-on aujourd’hui ? Bien difficile à déterminer : beaucoup sont inactives, même si pas dissoutes, le Covid en a fait disparaître ou mis en sommeil beaucoup, dont l’ampleur est encore délicate à déterminer.

Il se dit qu’il y aurait autour de 7 centaines d’associations d’origine portugaise en France de nos jours, une grande partie concentrée essentiellement dans la région parisienne.

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Les associations ‘portugaises’ dans le Nord

En 1962 on comptait dans le Nord 1.884 portugais, 9.104 en 1968, 24.585 en 1975 et 20.340 en 1982. La très grosse majorité des portugais de la région se concentrent dans la région lilloise : à Roubaix 4.812 portugais, Tourcoing 3.280, Lille 1.680, Wattrelos 912 et Cambrai.

Au milieu des années 1980, on recensait 63 organisations portugaises dans la région Nord-Pas-de-Calais, essentiellement dans le Nord, quelques-unes dans le Pas de Calais, dont 29 créées après la loi de 1981. Sa distribution géographique est, évidemment, fonction des villes les plus peuplées par des portugais : 4 associations à Cambrai, 6 à Lille, 9 à Tourcoing (Association de Coopération Franco Portugaise de Tourcoing, Groupe Folklorique Les Cruches du Portugal, Radio Rali, Association Familiale Portugaise de Tourcoing, Groupe Folklorique Fleurs du Minho, Orchestre Mirage, Association Catholique Portugaise, Football Franco Portugais de Tourcoing, Groupe Folklorique Étoiles du Nord), 15 à Roubaix…

À ce jour, très étonnement, le Consulat portugais de Paris, duquel dépend la permanence lilloise, ne recense qu’une association dans le Pas de Calais et 6 dans le Nord !

La première association portugaise créée dans le Nord date de 1966 fut l’Association Franco-Portugaise de Wazemmes, qui n’a jamais déposé de statuts.

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La création d’associations

Contrairement à d’autres régions, notamment la région parisienne, dans le nord, les associations se sont créées spontanément sans interventions gouvernementales, ni portugaises ni françaises, même si les dirigeants avaient des tendances de gauche. Notons que la DGT surveillait et avait son mot à dire sur les associations étrangères installées en France.

Quand on examine la création des associations portugaises de la région et les relations entre elles, on s’aperçoit qu’il y a comme qu’une toile d’araignée ayant comme centre l’Association de Coopération Franco-Portugaise de Tourcoing.

Les premières réunions, plus ou moins régulières, de portugais sur Tourcoing ont lieu dans les années 1960, début 1970, dans le café Grand Place. En 1971, l’association embryonnaire a pour siège le 35 rue de Lattre. Le premier bail des locaux, que l’ACFPT occupe encore aujourd’hui, au 61 rue Dupuytren – immeuble avec une belle façade, construit en 1908 – date de 1975.

L’officialisation de cette association a eu lieu le 1 avril 1974, à peine quelques jours avant la fin de la dictature salazariste au Portugal, le 25 avril 1974.

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Les activités de l’association

L’ACFPT se développe très, très, vite. À la fin de 1975 elle possède plus de 1.000 cotisants, son rayon d’action allant bien au-delà de la commune, la cause principale étant la création de cours de portugais. Des autocars parcouraient la région ramenant des jeunes portugais jusqu’à Tourcoing, les parents souhaitant leur faire apprendre leur langue d’origine, de peur aussi d’un jour devoir retourner au pays.

Très vite l’association fut dépassée par la demande très importante d’adolescents souhaitant assister aux cours de portugais, les mercredis et samedis.

Là est la raison pour laquelle nous considérons, d’une certaine façon, que l’Association de Coopération de Tourcoing est la «mère» des associations portugaises du Nord de la France. Fruit, parfois de scissions et de rapprochements, sont nés l’Amicale Luso-Française de Roubaix, le Sporting Club des Portugais de Lille, l’Association Familiale Franco-Portugaise de Tourcoing.

Les statuts élaborés par l’enseignant José Robalo, ont servi d’exemple pour l’officialisation d’autres structures portugaises dans la région. Le 2ème article des statuts de l’ACFPT précisait que l’association n’est ni politique, ni religieuse, ni syndicale, elle a pour objet, d’aider la promotion personnelle en vue de la promotion collective de tous les portugais, accueillir tous les travailleurs et leurs familles arrivant dans la région de Lille, Roubaix, Tourcoing, Armentières et environs, de les renseigner sur la recherche de travail et de logement, de les aider à perfectionner leurs connaissance de la langue française ou de l’apprendre, d’orienter et de servir l’intermédiaire entre les portugais, les administrations françaises et les organismes privés d’actions sociales, de les aider, éventuellement à faire respecter leurs droits devant les juridictions françaises.

Créer une association portugaise en France, alors qu’on était sous période dictatoriale, n’était pas facile, même en France la police politique portugaise, la PIDE, avait ses agents dénonciateurs, d’autant plus que grand nombre de jeunes portugais émigrent vers la France pour échapper au service militaire obligatoire de 2, 3, voir 4 ans dans les Colonies.

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Les cours de Portugais

L’Association de Coopération a été créée par une dizaine de jeunes gens engagés politiquement : enseignants, employés, contremaîtres d’usine…

Citons ici quelques données qui démontrent l’importance et le rôle de l’ACFPT.

Lors de la création de l’association et pour l’année scolaire 1974-1975, 80 enfants étaient inscrits dans les cours de portugais, ce chiffre a vite augmenté, 350 pour l’année 1975-1976, nombre qui diminue l’année suivante avec la création de cours et d’associations portugaises à Roubaix et Lille, 180 pour l’année 1976-1977.

Notons également la création de cours de français pour adultes dans l’Association de Coopération Franco Portugaise de Tourcoing avec, pour l’année 1975-1976, 35 élèves adultes et 25 pour l’année 1976-1977. En 1977 l’association administrait 7 cours, deux fois par semaine, dont un pour adultes.

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Les finances de l’association

Christian Kesteloot visite l’ACFPT le 3 juillet 1977 et dit avoir été bien reçu. Il rapporte le fait que l’association a des difficultés pour payer les impôts – 6.000 francs – qu’on leur demande de payer suite à modification survenue en décembre 1976 de la législation fiscale en matière d’associations. Il écrit disant contacter Mr Boivin, Inspecteur des impôts, afin d’essayer de réduire la somme demandée. Dans son rapport fait auprès de la Mairie de Tourcoing, il déclare que cette association est la plus importante association d’étrangers de Tourcoing et s’il y a une qui mérite qu’on l’aide, c’est bien celle-ci.

Dans un courrier adressé par l’ACFPT en date du 23 octobre 1978 à la Mairie de Tourcoing, l’association demandait une subvention. Des données comptables sont fournies pour justifier telle démarche : les recettes d’une année s’établissent à 87.108 francs, dont cotisations 30 mil francs, 3.650 du folklore, 4.433 des fêtes, 42.900 de la buvette et 6.125 francs de subvention du Gouvernement portugais pour les cours de portugais. Les dépenses de l’année s’établissaient à 85.581 francs, dont 15 mille francs pour payer les autocars qui transportaient les élèves, 25 mille pour payer les 7 enseignants qui donnaient deux cours par semaine et 30 mille francs pour le loyer. Il en résultait un excédent de 1.127 francs. Les besoins déclarés : 2.500 francs pour le théâtre, 8 mille pour l’achat d’un accordéon et autres instruments, 2 mille francs pour achat de livres pour la bibliothèque, 1.550 francs pour l’achat d’une photocopieuse pour le bureau et la publication du journal de l’association et 10 mille francs pour réparation des lieux.

Une des factures de l’autocar – une l’entreprise site le 282 rue Henri Barbusse à Roncq – par nous consultée, indiquait 2.614,57 francs à payer pour les transports pour le cours de novembre 1977 des jours 2, 5, 12, 16, 19, 23 et 30. Une quittance indiquait 7.500 francs à payer pour le loyer du 1er janvier au 31 mars 1978.

La subvention de la mairie de Tourcoing était en général de 1.000 francs par an.

Le 22 décembre 1980 le Secrétaire général adjoint de la Mairie, A. Debaisieux se prononce pour la non-attribution de la subvention sous prétexte de l’existence de deux associations portugaises à Tourcoing, conseillant que les deux fusionnent.

Très vite après la création du premier Bureau de l’association, une campagne de déstabilisation a lieu contre celui-ci, deux tendances politiques s’opposant : la communiste et la socialiste. Le premier Bureau resta en place, toutefois jusqu’en 1981, date à laquelle est créée l’Association Familiale Franco Portugaise, qui choisit comme siège acheté par les membres, le 100 rue de l’Épine et ayant les mêmes activités que «l’association mère».

Une petite révolution se produit au sein de l’Association de Coopération, une quinzaine de jeunes, âgés de 24 à 45 ans, estimant que les dirigeants devenus vieillissants et un peu dépassés, prennent les rênes de cette institution portugaise début des années 1980.

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Les locaux de l’association

Notons le fait que cette association a pour ainsi dire les locaux les plus amples des associations portugaises de la région. Beaucoup d’associés étaient favorables à l’achat des locaux ce qui n’a jamais été fait, au milieu des années 80 le loyer payé était déjà autour de 6.000 francs. Rien qu’au rez-de chaussée, une salle de 450 m² était occupée par une quinzaine de tables pour y manger et jouer aux cartes. Cette salle possédait encore une piste de danse, une scène, discothèque…

L’étage, avec la même superficie, était occupé par différentes salles où l’on pouvait jouer aux cartes, au ping-pong. Ces locaux logeaient également deux groupes folkloriques et un orchestre.

Juste à l’entrée, avant la grande salle, il y avait la salle pour les réunions du Conseil d’administration, avec à l’étage 4 petites salles occupées pendant 2 ans par une radio locale portugaise.

Pour la petite histoire : lors de la création de l’association, chaque adhérent payait 5 francs par mois, cotisation qui a été portée à 10 francs une dizaine d’années plus tard. Concernant les cours de portugais qui s’y déroulaient, le Gouvernement subventionnait à hauteur de 100 francs par an, les parents payant entre 40 et 60 francs par mois. Ces sommes étaient bien dérisoires au vu des dépenses, l’essentiel des recettes venant du bar, cette association étant celle qui a toujours fonctionné avec l’horaire le plus large : toute l’après-midi en semaine et toute la journée le samedi et dimanche.

Au milieu des années 1980, moment où l’association a été le plus active, le gros des dépenses se résument ainsi (par mois) : 6.000 francs de loyer, 3.000 francs de chauffage (mazout), 850 francs d’électricité, 800 francs de téléphone et 1.000 francs pour les cours de portugais. À l’époque, les recettes étaient affichées tous les mois, les dépenses étaient présentées en détail tous les six mois aux adhérents.

Le but initial de la création de l’association était, évidemment, la rencontre de personnes de même nationalité, passer, boire un petit coup, manger, était important, toutefois certaines activités se sont développées au sein de l’association : des cours de portugais administrés par deux professeurs n’appartenant pas au réseau consulaire, deux équipes de football qui participaient au Championnat du district de Flandres. Pendant l’année, des championnats de cartes (Sueca), jeux de la malha, baby-foot, ping-pong, concours de danse, bals le dimanche après-midi et fêtes aux moments les plus importants de l’année : Noël, Pâques, 25 Avril, Fête des Mères, étaient organisés.

D’autres activités ludiques et culturelles ont vu le jour au sein de l’Association de Coopération Franco Portugaise de Tourcoing : le groupe folklorique «Les Cruches du Portugal», qui a même effectué un enregistrement de chants, disque qui a été commercialisé. Composé par 5 membres, dont un d’origine française, c’est ici qui est né l’orchestre «Mirage».

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Les Radios portugaises de la région

À la suite de l’arrivée de la Gauche au pouvoir en France, en 1981, il y a la libération des ondes hertziennes de radio. En avril 1982 est née Radio Rali au sein de l’association, l’une des premières radios portugaises de France. 30 animateurs l’animent. On était au temps des radios dites ‘libres’, la cacophonie régnait sur les ondes, la Cour d’Appel de Douai confirme l’arrêt des émissions fin août 1985. À partir de cette radio, d’autres tentatives ont eu lieu : la création de Radio Club à Wasquehal, Radio Star à Tourcoing, Radio Luso Française et Radio Triomphe à Roubaix.

Chose qu’on considère actuellement remarquable, c’est le fait que pendant 5 ans, l’association a édité une petite revue intitulée «P’ra Frente» («En avant»). Deux cents exemplaires étaient imprimés à chaque tirage. Un appel est lancé : si un lecteur possède des exemplaires de cette revue, cela serait très intéressant de nous les transmettre afin que nous fassions suivre vers les Musées sur l’immigration portugaise de France.

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Les membres de l’association

Fruits de plusieurs scissions, du fonctionnement et déclin de l’activité associative portugaise en France, d’un maximum de 1.200 adhérents en 1976, en 1986 l’association n’avait plus que 559, dont seulement 200 avec les cotisations à jour. À ce jour, la grande majorité des associations fonctionnent sans adhérents ou avec un nombre restreint de cotisants.

D’une étude détaillée que nous avons effectuée, à partir du fichier de l’association, nous avons en 1986 pu avoir une image de la nature des adhérents et leur origine :

Parmi les 559 adhérents de l’association en 1986, seulement 3 étaient des femmes. Étonnant. Toutefois les femmes pouvaient participer aux différentes activités sans être obligées d’être adhérentes et de payer une cotisation.

Au niveau des nationalités : 3 adhérents avaient la nationalité nord-africaine, un italien, 26 français, les autres étaient des portugais. À l’époque, très peu de portugais se naturalisent français.

On constate que le nombre d’adhérents et leur origine géographique au Portugal est fonction de la population portugaise sur Tourcoing et environs. Une des caractéristiques de l’immigration portugaise vers la France était que des villages se reforment en France. Les cotisants étaient originaires de villes également textiles au Portugal : Guimarães, Covilhã, Fundão et Porto, villes faisant partie des districts de Braga (28 % des adhérents), Castelo Branco (23,4%) et Porto (15,9%).

Autre enseignement intéressant, est l’année d’arrivée en France de l’adhérent : 10% sont arrivés en 1967, 4,2% en 1968, 13,2% en 1969, 13,7% en 1970, 9% en 1971 et 10,5% en 1972, on ne connaît pas la date d’arrivée de 11,1% des adhérents, 15,7 sont arrivé en 1966 ou avant et 12,6% en 1973 ou après.

Contrairement à la création de l’association, début des années 1970, le rayon d’action en 1986 était plus restreint car 76,9% des associés habitaient à Tourcoing, la ville qui vient juste après est Roubaix, avec 7,5% des adhérents. Actuellement on estime qu’à peine 5% des Portugais ou d’origine portugaise, fréquentent des associations portugaises en France. Au milieu des années 1980, 22,7% des Portugais de Tourcoing fréquentaient une organisation portugaise sur Tourcoing.

Concernant le lieu d’habitation des adhérents de l’ACFPT sur la ville de Tourcoing, quatre quartiers sur les 16 de la ville comptaient 46,9% des adhérents (Pont de Neuville Bourgogne 14,4%, Clinquet Orien 11,3%, Malcense Égalité 10,7% et Belencontre-Fin de la Guerre 10,5%).

Autre enseignement intéressant concerne les professions exercée par les adhérents, un peu fonction de l’activité de la région d’où ils étaient originaires au Portugal et de l’activité dominante à Tourcoing : 79,3% travaillaient dans le textile, 14,1% dans le bâtiment, 6,4% dans l’entretien de voitures, 3,6% étaient chauffeurs, 3,6% conducteurs de machines, 2,8% commerçants. À l’extrémité de la liste on comptait 1,4% de retraités, 1% de chômeurs et 1% d’artisans.

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Conclusion

Au sein de la communauté portugaise, depuis presque 30 ans qu’on se dit que l’Association de Coopération Franco-Portugaise de Tourcoing va fermer : location trop chère, manque d’adhérents, d’activités, etc.

Elle a le mérite d’être là, même si les activités sont plus réduites.

L’ACFPT reste un lieu de rencontres de Portugais de la première et deuxième générations.

Les Portugais sont bien intégrés, d’une façon générale, en France. Le bénévolat devient plus rare et les jeunes générations fréquentent moins les associations, les activités se diversifiant. Jusqu’à quand aura-t-on un mouvement associatif portugais en France? Jusqu’à quand fonctionnera la plus ancienne association portugaise du Nord de la France, d’autant plus que les locaux ont été en vente récemment et qu’elle n’occupe plus la totalité des locaux?

L’avenir nous le dira.

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