I Guerre mondiale : Le respect du soldat ennemi décédé – l’exemple allemand des portugais


Les guerres sont terribles, chacune apportant son lot d’armes de plus en plus mortifères, plus ciblées. La I Guerre mondiale a vu l’arrivée de l’aviation, les ballons d’observation, les gazes…

Autre nouveauté, plus honorable : le respect envers le combattant abattu, même si illusoire que cela soit une totale généralité, le déroulement de la bataille ayant à ce niveau son impact.

Sait-on où sont enterrés, par exemple, les soldats tombés pendant les guerres de Napoléon ? Non. A l’époque on ne se préoccupait pas d’enterrer les cadavres des soldats tombés aux champs d’honneur.

On honore, on sait où sont enterrés les soldats que, depuis la I Guerre mondiale, il y a même de nombreux exemples où c’est l’ennemi qui enterre, qui honore : des croix sur des sépultures de soldats portugais, en sont le témoin.

Sur une croix, on peut lire «Hier ruhl ein portugiese» qu’on peut traduire par «Ici repose un portugais», la date du 10 avril 1918, lendemain du début de la Bataille de La Lys, est inscrite sur la simple croix, mais oh combien symbolique ! Le soldat portugais est mort victime de ses blessures en combat. Sur une autre croix est écrit : «hier liegt ein tapferer portugiese», ce qui veut dire : «Ici repose un brave portugais».

Cette dernière a été exposée au Museu Militar de Lisboa, entre le 9 mars 2016, date du centenaire de la déclaration de guerre par l’Allemagne au Portugal, jusqu’au 11 novembre 2018, date centenaire de l’Armistice.

La croix exposée a été trouvée sur la tombe du soldat du CEP Manuel da Silva à Esquin (Laventie) par les Allemands. Corps exhumé à Esquin, puis inhumé au Cimetière de Laventie : Bloc 4, ligne D, tombe 24.

Le 29 décembre 1922, Manuel da Silva est réexhumé, document 1955, par la Commission de sépultures du CEP, João Gaspar, premier gardien du Cimetière portugais de Richebourg a participé et a servi de témoin. Manuel da Silva, dans un premier temps, a été inhumé à Richebourg, carré 2, ligne D, tombe 17. Avec l’arrivée d’autres cadavres de soldats portugais, la numérotation évolue, il occupe définitivement le carré A, ligne 4, tombe 19.

Manuel da Silva, né le 17 décembre 1894, au lieu-dit Barroco, Rio Covo (Santa Eulália), Barcelos, était fils naturel de Joaquim da Silva.

Dans sa fiche militaire on peut lire qu’il a été puni deux fois : le 26 janvier 1918, de 6 jours, pour ne pas s’être présenté le 23 janvier à l’entraînement sans justification et de 8 jours le 12 février, de la même année, pour avoir été trouvé en train de jouer aux cartes dans sa caserne, allant à l’encontre ce qu’il est déterminé par le règlement.

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Autre cas bien plus connu, est celui de l’aviateur Óscar Monteiro Torres (lire ICI), le seul aviateur mort en combat de l’histoire du Portugal.

Óscar Monteiro Torres est parti par voie terrestre en décembre 1916, direction la France, en tant que responsable d’une mission d’aviation. Le 23 mars 1917 on le signale comme s’étant présenté à la Legação Portuguesa de Paris et en partance pour École d’Aviation. Entre août et novembre 1917 il est aux commandes de l’Escadrille n°3. Il passe par le service Groupe de Division d’Entraînement de Plessis-Belleville, il sera par la suite affecté à l’Escadrille française spad n°65. Óscar Monteiro Torres est abattu, en combat au-dessus de Laon (Aisne), le 19 novembre 1917.

En combat, Óscar Monteiro Torres aura abattu un avion d’observation, un Halberstadt, et un avion de chasse, un Fokker. Peu après il sera abattu par le pilote allemand, Rudolf Windisch, de l’escadrille de chasse Fokker, Jasta 32. L’aviateur portugais finit par mourir le lendemain du combat, le 20 novembre 1917, dans l’hôpital militaire de Laon. Il a été enterré par les Allemands avec les honneurs militaires.

Dans la première partie de la fiche militaire de Óscar Monteiro Torres, il y est indiqué qu’on ne savait pas où il avait été inhumé au moment de son décès.

Contrairement à la majorité des cas, le décès de l’aviateur portugais a été signalé/inscrit dans les registres civils. Nous pouvons lire dans l’acte de décès auquel nous avons eu accès : «le trois décembre 1917, deux heures du soir, l’Autorité Allemande a fait devenant nous, Amédé Michaux, Adjoint à la Mairie de Laon, officier de l’état civil par délégation… une déclaration verbale de laquelle résulte que l’officier aviateur portugais: O. Mont Torres est décédé le 20 novembre 1917 à la Sanitats-Kompagnie Huit, stationnée au Lycée de Laon, et a été inhumé le 21 novembre suivant au cimetière allemand de Laon, cimetière III, tranchée G, tombe numéro deux. De laquelle déclaration a été dressée la présente, le jour, mois et an ci-dessus, que les témoins susnommés ont lecture faite, signé avec nous».

Par manque de connaissance de la Commission de Sépultures ou par manque de moyens, des soldats enterrés dans des cimetières allemands n’ont jamais rejoint le Cimetière de regroupement de Richebourg, témoignant toutefois du respect de l’ennemie de l’époque, allemand, pour les soldats du champs opposé, dans notre cas, des soldats portugais : deux soldats portugais inconnus sont enterrés dans le Cimetière allemand de Salomé (lire ICI), José Delfino au Cimetière allemand de Beaucoup-Ligny (lire ICI), José Pereira et José Pinheiro au Cimetière allemand de Wavrin (lire ICI), Silver (Silva) à celui de Bauvin (lire ICI).

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Nous sommes convaincus que bien d’autres soldats portugais sont enterrés et oubliés dans des cimetières allemands, soldats non encore repérés par les quelques chercheurs sur ce thème, désireux de donner des nouvelles aux descendants de soldats portugais décédés et dont on n’a pas de nouvelles de sa sépulture jusqu’à présent.

Des doutes existent, à l’exemple du Cimetière allemand de Illies. Y-a-t-il encore des Portugais enterrés dans ce cimetière ? Dans un travail universitaire de Silva Correia «Políticas de memória da I Guerra mundial em Portugal 1918-1933 – Entre a experiência e o mito», il y est indiqué que le 25 août 1925 deux soldats portugais sont exhumés du Cimetière allemand de Illies et inhumés à Richebourg.

Sur le même sujet, une note du Serviço de Sepulturas de Guerra no Estrangeiro a été envoyée, en date du 3 mars 1937, dans laquelle il est dit : «Ayant été informés que dans la tombe 1.820 du Cimetière allemand de Illies est enterré un soldat avec indication de Joachin Anto, qu’on suppose être le soldat portugais António Joaquim n°409 de la 1ère compagnie du R.I. 13, je viens vous demander pour que notre Legação de Berlim (Ambassade de Berlin) obtienne bon éclaircissement du Gouvernement du Reich et autorisation pour que soit exhumé et réinhumé au Cimetière portugais de Richebourg l’Avoué. Je demande la même autorisation pour le soldat portugais Mário J. enterré dans le même cimetière», signé le Chef du service : Inácio Pimentel.

Il s’avère qu’en visite au Cimetière allemand de Illies, dans la liste qu’on peut consulter à l’entrée, est indiqué étant enterré dans le Bloc 5, Grab 3: Joachim Anton Musketier +9.5.1915. Soldat d’origine portugaise qui aurait servi les troupes allemandes et mort le 9 mai 1915 ? Et qu’est devenu Mario J ? Il ne semble pas être enterré à Richebourg, à moins qu’il soit devenu inconnu dans le cimetière portugais.

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Des doutes restent à aplanir, des petites histoires dans l’histoire ? Peut-être, mais aussi réponses trouvées ou à trouver, un siècle après pour des familles, à l’exemple des recherches entreprises et en 2008 des fosses communes qui ont été mises à jour, dans lesquelles on trouva 250 corps, dont 219 Australiens à proximité du Bois de Faisans, à Fromelles, enterrés dignement par les Allemands. Le Gouvernement australien dépensera 30 mille euros par cadavre déterré pour retrouver la famille grâce à l’ADN. Nous avons pu assister à la cérémonie d’inauguration du cimetière dédié à ces soldats dernièrement trouvés, à Fromelles, avec la présence de familles qui ont fait le voyage d’Australie pour l’évènement. Cérémonie millimétrée très émouvante (lire ICI).

Christina da Costa, avec l’aide de José Carlos Durães, continue sa recherche de clarification de la tombe du familier José de Sousa (lire ICI), qui serait dans le Cimetière de Saint Venant. Les recherches avancent.

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Question : que se passe dans les guerres en cours : se préoccupe-t-on avec l’enterrement et l’identification du soldat ennemi tombé, abandonné ou impossible de récupérer par les siens ?

La I Guerre mondiale, la plus meurtrière, horrible, avec malgré tout un certain respect pour les soldats d’en face.

LusoJornal